A chaque nouvelle gĂ©nĂ©ration de smartphones, nous constatons lâapparition de nouvelles icĂŽnes et de nouveaux boutons difficilement comprĂ©hensibles mĂȘme pour les utilisateurs les plus expĂ©rimentĂ©s. Câest pourquoi nous vous proposons aujourdâhui un petit guide pour vous expliquer la signification des icĂŽnes et des symboles prĂ©sents dans les diffĂ©rents menus dâ barre dâĂ©tatLe tĂ©lĂ©phone mobile est maintenant prĂ©sent dans tous les aspects de la vie. Il est trĂšs difficile voir totalement impossible de sâen passer. Malheureusement avec lâaccroissement du nombre de fonctionnalitĂ©s, lâexpĂ©rience utilisateur sâest largement lâarrivĂ©e de nouvelles interfaces avec des icĂŽnes trĂšs Ă©purĂ©es nâa rien fait pour arranger la situation. Certains pictogrammes sont difficilement identifiables au premier coup dâoeil alors que dâautres sont totalement incomprĂ©hensibles y compris pour les titulaires dâun Bac + vous aider Ă profiter au mieux de votre smartphone, nous avons dĂ©cidĂ© de vous proposer un petit rĂ©capitulatif de toutes les icĂŽnes prĂ©sentes sur lâOS de Google. Nous allons commencer ce tour dâhorizon par la barre dâĂ©tat dâAndroid. Il sâagit de la petite barre noire placĂ©e tout en haut de lâĂ©cran de votre de notifications et symboles affichĂ©s en haut de lâĂ©cranA gauche de celle-ci, vous allez retrouver toutes les icĂŽnes des notifications non lues. Ca peut-ĂȘtre un SMS, un message WhatsApp, un tweet, une capture dâĂ©cran, une nouvelle mise Ă jour provenant du Play Store ou une publication Facebook. Le logo affichĂ© correspond Ă celui de lâapplication liĂ©e Ă la important, la plupart des applications fonctionnant en arriĂšre-plan comme par exemple les antivirus disposent de leurs propres icĂŽnes. Ces derniĂšres sâaffichent en permanence sur lâinterface du tĂ©lĂ©phone. Il nâexiste malheureusement aucune fonction pour les masquer de la barre dâ la partie droite de la barre dâĂ©tat, vous allez pouvoir consulter lâheure, le pourcentage de batterie restant ainsi que la qualitĂ© de la couverture rĂ©seau triangle de votre opĂ©rateur mobile. Dans cette zone figure Ă©galement toutes les icĂŽnes liĂ©es Ă une fonction prĂ©cise de votre smartphone Wi-Fi, Bluetooth, connexion internet, rotation de lâĂ©cran etcâŠ.Le volet de notificationsLes icĂŽnes permettent en thĂ©orie de sâaffranchir de la barriĂšre linguistique. Malheureusement le design minimaliste en vogue sur les OS mobiles ne facilite pas la comprĂ©hension immĂ©diate de lâinformation. Câest cas par exemple des icĂŽnes prĂ©sentes dans le volet de notifications dâ votre doigt en haut de lâĂ©cranFaĂźtes le glisser pour faire apparaĂźtre le volet de notificationsLa barre de rĂ©glages placĂ©e tout en haut vous permettra de faire varier la luminositĂ© de la dalle. Nâoubliez pas que plus votre Ă©cran sera lumineux et plus ce dernier consommera de lâĂ©nergieEn haut Ă gauche vous trouverez lâicĂŽne permettant dâactiver la connexion sans fil Wi-Fi et le BluetoothSur la seconde rangĂ©e se trouve se trouve le bouton permettant dâactiver votre connexion internet mobile 4G, le mode avion dĂ©sactive simultanĂ©ment les connexions cellulaires, le Wi-Fi, le Bluetooth ainsi que la radio FM et la lampe de pocheSur la derniĂšre ligne, vous retrouverez les icĂŽnes permettant dâactiver les fonctionnalitĂ©s suivantes la localisation GPS, le point dâaccĂšs sans fil utiliser son smartphone comme modem sans-fil et les profils audio rĂ©glages sonnerie, mode silencieux, rĂ©unionIl arrive parfois quâon tombe sur une icĂŽne mystĂ©rieuse. Dans ces cas-lĂ pas de panique. Laissez un message dans les commentaires avec un descriptif prĂ©cis de ce curieux pictogramme. Un lecteur du blog se fera un plaisir de vous rĂ©pondre.
Lebout des doigts s'Ă©largit, dĂ©crit le Pr Chouaid. On parle de doigts en baguettes de tambour ou en spatule. Les ongles prennent un aspect convexe, bombĂ©. Les ongles bombĂ©s et luisants ont un aspect "en verre de montre". L'hippocratisme digital peut ĂȘtre discret ou trĂšs prononcĂ©. "En gĂ©nĂ©ral, l'hippocratisme digital n'est pas douloureux.A MARIE-ANTOINE-JULES SENARD MEMBRE DU BARREAU DE PARIS EX-PRESIDENT DE L'ASSEMBLEE NATIONALE ET ANCIEN MINISTRE DE L'INTERIEUR Cher et illustre ami, Permettez-moi d'inscrire votre nom en tĂÂȘte de ce livre et au-dessus mĂÂȘme de sa dĂ©dicace ; car c'est Ă vous, surtout, que j'en dois la publication. En passant par votre magnifique plaidoirie, mon oeuvre a acquis pour moi-mĂÂȘme comme une autoritĂ© imprĂ©vue. Acceptez donc ici l'hommage de ma gratitude, qui, si grande qu'elle puisse ĂÂȘtre, ne sera jamais Ă la hauteur de votre Ă©loquence et de votre dĂ©vouement. GUSTAVE FLAUBERT Paris, le 12 avril 1857 A LOUIS BOUILHET PREMIERE PARTIE I. Nous Ă©tions Ă l'Etude, quand le Proviseur entra suivi d'un nouveau habillĂ© en bourgeois et d'un garçon de classe qui portait un grand pupitre. Ceux qui dormaient se rĂ©veillĂšrent, et chacun se leva comme surpris dans son travail. Le Proviseur nous fit signe de nous rasseoir ; puis, se tournant vers le maĂtre d'Ă©tudes - Monsieur Roger, lui dit-il Ă demi-voix, voici un Ă©lĂšve que je vous recommande, il entre en cinquiĂšme. Si son travail et sa conduite sont mĂ©ritoires, il passera dans les grands, oĂÂč l'appelle son ĂÂąge. RestĂ© dans l'angle, derriĂšre la porte, si bien qu'on l'apercevait Ă peine, le nouveau Ă©tait un gars de la campagne, d'une quinzaine d'annĂ©es environ, et plus haut de taille qu'aucun de nous tous. Il avait les cheveux coupĂ©s droit sur le front, comme un chantre de village, l'air raisonnable et fort embarrassĂ©. Quoiqu'il ne fĂ»t pas large des Ă©paules, son habit-veste de drap vert Ă boutons noirs devait le gĂÂȘner aux entournures et laissait voir, par la fente des parements, des poignets rouges habituĂ©s Ă ĂÂȘtre nus. Ses jambes, en bas bleus, sortaient d'un pantalon jaunĂÂątre trĂšs tirĂ© par les bretelles. Il Ă©tait chaussĂ© de souliers forts, mal cirĂ©s, garnis de clous. On commença la rĂ©citation des leçons. Il les Ă©couta de toutes ses oreilles, attentif comme au sermon, n'osant mĂÂȘme croiser les cuisses, ni s'appuyer sur le coude, et, Ă deux heures, quand la cloche sonna, le maĂtre d'Ă©tudes fut obligĂ© de l'avertir, pour qu'il se mĂt avec nous dans les rangs. Nous avions l'habitude, en entrant en classe, de jeter nos casquettes par terre, afin d'avoir ensuite nos mains plus libres ; il fallait, dĂšs le seuil de la porte, les lancer sous le banc, de façon Ă frapper contre la muraille en faisant beaucoup de poussiĂšre ; c'Ă©tait lĂ le genre. Mais, soit qu'il n'eĂ»t pas remarquĂ© cette manoeuvre ou qu'il n'eĂ»t osĂ© s'y soumettre, la priĂšre Ă©tait finie que le nouveau tenait encore sa casquette sur ses deux genoux. C'Ă©tait une de ces coiffure d'ordre composite, oĂÂč l'on retrouve les Ă©lĂ©ments du bonnet Ă poil, du chapska du chapeau rond, de la casquette de loutre et du bonnet de coton, une de ces pauvres choses, enfin, dont la laideur muette a des profondeurs d'expression comme le visage d'un imbĂ©cile. OvoĂÂŻde et renflĂ©e de baleines, elle commençait par trois boudins circulaires ; puis s'alternaient, sĂ©parĂ©s par une bande rouge, des losanges de velours et de poils de lapin ; venait ensuite une façon de sac qui se terminait par un polygone cartonnĂ©, couvert d'une broderie en soutache compliquĂ©e, et d'oĂÂč pendait, au bout d'un long cordon trop mince, un petit croisillon de fils d'or, en maniĂšre de gland. Elle Ă©tait neuve ; la visiĂšre brillait. - Levez-vous, dit le professeur. Il se leva ; sa casquette tomba. Toute la classe se mit Ă rire. Il se baissa pour la reprendre. Un voisin la fit tomber d'un coup de coude, il la ramassa encore une fois. - DĂ©barrassez-vous donc de votre casque, dit le professeur, qui Ă©tait un homme d'esprit. Il y eut un rire Ă©clatant des Ă©coliers qui dĂ©contenança le pauvre garçon, si bien qu'il ne savait s'il fallait garder sa casquette Ă la main, la laisser par terre ou la mettre sur sa tĂÂȘte. Il se rassit et la posa sur ses genoux. - Levez-vous, reprit le professeur, et dites-moi votre nom. Le nouveau articula, d'une voix bredouillante, un nom inintelligible. - RĂ©pĂ©tez ! Le mĂÂȘme bredouillement de syllabes se fit entendre, couvert par les huĂ©es de la classe. - Plus haut ! cria le maĂtre, plus haut ! Le nouveau , prenant alors une rĂ©solution extrĂÂȘme, ouvrit une bouche dĂ©mesurĂ©e et lança Ă pleins poumons, comme pour appeler quelqu'un, ce mot Charbovari . Ce fut un vacarme qui s'Ă©lança d'un bond, monta en crescendo , avec des Ă©clats de voix aigus on hurlait, on aboyait, on trĂ©pignait, on rĂ©pĂ©tait Charbovari ! Charbovari ! , puis qui roula en notes isolĂ©es, se calmant Ă grand-peine, et parfois qui reprenait tout Ă coup sur la ligne d'un banc oĂÂč saillissait encore çà et lĂ , comme un pĂ©tard mal Ă©teint, quelque rire Ă©touffĂ©. Cependant, sous la pluie des pensums, l'ordre peu Ă peu se rĂ©tablit dans la classe, et le professeur, parvenu Ă saisir le nom de Charles Bovary, se l'Ă©tant fait dicter, Ă©peler et relire, commanda tout de suite au pauvre diable d'aller s'asseoir sur le banc de paresse, au pied de la chaire. Il se mit en mouvement, mais, avant de partir, hĂ©sita. - Que cherchez-vous ? demanda le professeur. - Ma cas..., fit timidement le nouveau , promenant autour de lui des regards inquiets. - Cinq cents vers Ă toute la classe ! exclamĂ© d'une voix furieuse, arrĂÂȘta, comme le Quos ego , une bourrasque nouvelle. - Restez donc tranquilles ! continuait le professeur indignĂ©, et s'essuyant le front avec son mouchoir qu'il venait de prendre dans sa toque Quant Ă vous, le nouveau , vous me copierez vingt fois le verbe ridiculus sum . Puis, d'une voix plus douce - Eh ! vous la retrouverez, votre casquette ; on ne vous l'a pas volĂ©e ! Tout reprit son calme. Les tĂÂȘtes se courbĂšrent sur les cartons, et le nouveau resta pendant deux heures dans une tenue exemplaire, quoiqu'il y eĂ»t bien, de temps Ă autre, quelque boulette de papier lancĂ©e d'un bec de plume qui vĂnt s'Ă©clabousser sur sa figure. Mais il s'essuyait avec la main, et demeurait immobile, les yeux baissĂ©s. Le soir, Ă l'Etude, il tira ses bouts de manches de son pupitre, mit en ordre ses petites affaires, rĂ©gla soigneusement son papier. Nous le vĂmes qui travaillait en conscience, cherchant tous les mots dans le dictionnaire et se donnant beaucoup de mal. GrĂÂące, sans doute, Ă cette bonne volontĂ© dont il fit preuve, il dut de ne pas descendre dans la classe infĂ©rieure ; car, s'il savait passablement ses rĂšgles, il n'avait guĂšre d'Ă©lĂ©gance dans les tournures. C'Ă©tait le curĂ© de son village qui lui avait commencĂ© le latin, ses parents, par Ă©conomie, ne l'ayant envoyĂ© au collĂšge que le plus tard possible. Son pĂšre, M. Charles-Denis-BartholomĂ© Bovary, ancien aide-chirurgien-major, compromis, vers 1812, dans des affaires de conscription, et forcĂ©, vers cette Ă©poque, de quitter le service, avait alors profitĂ© de ses avantages personnels pour saisir au passage une dot de soixante mille francs, qui s'offrait en la fille d'un marchand bonnetier, devenue amoureuse de sa tournure. Bel homme, hĂÂąbleur, faisant sonner haut ses Ă©perons, portant des favoris rejoints aux moustaches, les doigts toujours garnis de bagues et habillĂ© de couleurs voyantes, il avait l'aspect d'un brave, avec l'entrain facile d'un commis voyageur. Une fois mariĂ©, il vĂ©cut deux ou trois ans sur la fortune de sa femme, dĂnant bien, se levant tard, fumant dans de grandes pipes en porcelaine, ne rentrant le soir qu'aprĂšs le spectacle et frĂ©quentant les cafĂ©s. Le beau-pĂšre mourut et laissa peu de chose ; il en fut indignĂ©, se lança dans la fabrique , y perdit quelque argent, puis se retira dans la campagne, oĂÂč il voulut faire valoir . Mais, comme il ne s'entendait guĂšre plus en culture qu'en indienne, qu'il montait ses chevaux au lieu de les envoyer au labour, buvait son cidre en bouteilles au lieu de le vendre en barriques, mangeait les plus belles volailles de sa cour et graissait ses souliers de chasse avec le lard de ses cochons, il ne tarda point Ă s'apercevoir qu'il valait mieux planter lĂ toute spĂ©culation. Moyennant deux cents francs par an, il trouva donc Ă louer dans un village, sur les confins du pays de Caux et de la Picardie, une sorte de logis moitiĂ© ferme, moitiĂ© maison de maĂtre ; et, chagrin, rongĂ© de regrets, accusant le ciel, jaloux contre tout le monde, il s'enferma dĂšs l'ĂÂąge de quarante-cinq ans, dĂ©goĂ»tĂ© des hommes, disait-il, et dĂ©cidĂ© Ă vivre en paix. Sa femme avait Ă©tĂ© folle de lui autrefois ; elle l'avait aimĂ© avec mille servilitĂ©s qui l'avaient dĂ©tachĂ© d'elle encore davantage. EnjouĂ©e jadis, expansive et toute aimante, elle Ă©tait, en vieillissant, devenue Ă la façon du vin Ă©ventĂ© qui se tourne en vinaigre d'humeur difficile, piaillarde, nerveuse. Elle avait tant souffert, sans se plaindre, d'abord, quand elle le voyait courir aprĂšs toutes les gotons de village et que vingt mauvais lieux le lui renvoyaient le soir, blasĂ© et puant l'ivresse ! Puis l'orgueil s'Ă©tait rĂ©voltĂ©. Alors elle s'Ă©tait tue, avalant sa rage dans un stoĂÂŻcisme muet, qu'elle garda jusqu'Ă sa mort. Elle Ă©tait sans cesse en courses, en affaires. Elle allait chez les avouĂ©s, chez le prĂ©sident, se rappelait l'Ă©chĂ©ance des billets, obtenait des retards ; et, Ă la maison, repassait, cousait, blanchissait, surveillait les ouvriers, soldait les mĂ©moires, tandis que, sans s'inquiĂ©ter de rien, Monsieur, continuellement engourdi dans une somnolence boudeuse dont il ne se rĂ©veillait que pour lui dire des choses dĂ©sobligeantes, restait Ă fumer au coin du feu, en crachant dans les cendres. Quand elle eut un enfant, il le fallut mettre en nourrice. RentrĂ© chez eux, le marmot fut gĂÂątĂ© comme un prince. Sa mĂšre le nourrissait de confitures ; son pĂšre le laissait courir sans souliers, et, pour faire le philosophe, disait mĂÂȘme qu'il pouvait bien aller tout nu, comme les enfants des bĂÂȘtes. A l'encontre des tendances maternelles, il avait en tĂÂȘte un certain idĂ©al viril de l'enfance, d'aprĂšs lequel il tĂÂąchait de former son fils, voulant qu'on l'Ă©levĂÂąt durement, Ă la spartiate, pour lui faire une bonne constitution. Il l'envoyait se coucher sans feu, lui apprenait Ă boire de grands coups de rhum et Ă insulter les processions. Mais, naturellement paisible, le petit rĂ©pondait mal Ă ses efforts. Sa mĂšre le traĂnait toujours aprĂšs elle ; elle lui dĂ©coupait des cartons, lui racontait des histoires, s'entretenait avec lui dans des monologues sans fin, pleins de gaietĂ©s mĂ©lancoliques et de chatteries babillardes. Dans l'isolement de sa vie, elle reporta sur cette tĂÂȘte d'enfant toutes ses vanitĂ©s Ă©parses, brisĂ©es. Elle rĂÂȘvait de hautes positions, elle le voyait dĂ©jĂ grand, beau, spirituel, Ă©tabli, dans les ponts et chaussĂ©es ou dans la magistrature. Elle lui apprit Ă lire, et mĂÂȘme lui enseigna, sur un vieux piano qu'elle avait, Ă chanter deux ou trois petites romances. Mais, Ă tout cela, M. Bovary, peu soucieux des lettres, disait que ce n'Ă©tait pas la peine ! Auraient-ils jamais de quoi l'entretenir dans les Ă©coles du gouvernement, lui acheter une charge ou un fonds de commerce ? D'ailleurs, avec du toupet, un homme rĂ©ussit toujours dans le monde . Madame Bovary se mordait les lĂšvres, et l'enfant vagabondait dans le village. Il suivait les laboureurs, et chassait, Ă coups de motte de terre, les corbeaux qui s'envolaient. Il mangeait des mĂ»res le long des fossĂ©s, gardait les dindons avec une gaule, fanait Ă la moisson, courait dans le bois, jouait Ă la marelle sous le porche de l'Ă©glise les jours de pluie, et, aux grandes fĂÂȘtes, suppliait le bedeau de lui laisser sonner les cloches, pour se pendre de tout son corps Ă la grande corde et se sentir emporter par elle dans sa volĂ©e. Aussi poussa-t-il comme un chĂÂȘne. Il acquit de fortes mains, de belles couleurs. A douze ans, sa mĂšre obtint que l'on commençĂÂąt ses Ă©tudes. On en chargea le curĂ©. Mais les leçons Ă©taient si courtes et si mal suivies, qu'elles ne pouvaient servir Ă grand-chose. C'Ă©tait aux moments perdus qu'elles se donnaient, dans la Sacristie, debout, Ă la hĂÂąte, entre un baptĂÂȘme et un enterrement ; ou bien le curĂ© envoyait chercher son Ă©lĂšve aprĂšs l'Angelus , quand il n'avait pas Ă sortir. On montait dans sa chambre, on s'installait les moucherons et les papillons de nuit tournoyaient autour de la chandelle. Il faisait chaud, l'enfant s'endormait ; et le bonhomme, s'assoupissant les mains sur son ventre, ne tardait pas Ă ronfler, la bouche ouverte. D'autres fois, quand M. le curĂ©, revenant de porter le viatique Ă quelque malade des environs, apercevait Charles qui polissonnait dans la campagne, il l'appelait, le sermonnait un quart d'heure et profitait de l'occasion pour lui faire conjuguer son verbe au pied d'un arbre. La pluie venait les interrompre, ou une connaissance qui passait. Du reste, il Ă©tait toujours content de lui, disait mĂÂȘme que le jeune homme avait beaucoup de mĂ©moire. Charles ne pouvait en rester lĂ . Madame fut Ă©nergique. Honteux, ou fatiguĂ© plutĂÂŽt, Monsieur cĂ©da sans rĂ©sistance, et l'on attendit encore un an que le gamin eĂ»t fait sa premiĂšre communion. Six mois se passĂšrent encore ; et, l'annĂ©e d'aprĂšs, Charles fut dĂ©finitivement envoyĂ© au collĂšge de Rouen, oĂÂč son pĂšre l'amena lui-mĂÂȘme, vers la fin d'octobre, Ă l'Ă©poque de la foire Saint-Romain. Il serait maintenant impossible Ă aucun de nous de se rien rappeler de lui. C'Ă©tait un garçon de tempĂ©rament modĂ©rĂ©, qui jouait aux rĂ©crĂ©ations, travaillait Ă l'Ă©tude, Ă©coutant en classe, dormant bien au dortoir, mangeant bien au rĂ©fectoire. Il avait pour correspondant un quincaillier en gros de la rue Ganterie, qui le faisait sortir une fois par mois, le dimanche, aprĂšs que sa boutique Ă©tait fermĂ©e, l'envoyait se promener sur le port Ă regarder les bateaux, puis le ramenait au collĂšge dĂšs sept heures, avant le souper. Le soir de chaque jeudi, il Ă©crivait une longue lettre Ă sa mĂšre, avec de l'encre rouge et trois pains Ă cacheter ; puis il repassait ses cahiers d'histoire, ou bien il lisait un vieux volume d' Anacharsis qui traĂnait dans l'Ă©tude. En promenade, il causait avec le domestique, qui Ă©tait de la campagne comme lui. A force de s'appliquer, il se maintint toujours vers le milieu de la classe ; une fois mĂÂȘme, il gagna un premier accessit d'histoire naturelle. Mais Ă la fin de sa troisiĂšme, ses parents le retirĂšrent du collĂšge pour lui faire Ă©tudier la mĂ©decine, persuadĂ©s qu'il pourrait se pousser seul jusqu'au baccalaurĂ©at. Sa mĂšre lui choisit une chambre, au quatriĂšme, sur l'Eau-de-Robec, chez un teinturier de sa connaissance. Elle conclut les arrangements pour sa pension, se procura des meubles, une table et deux chaises, fit venir de chez elle un vieux lit en merisier, et acheta de plus un petit poĂÂȘle en fonte, avec la provision de bois qui devait chauffer son pauvre enfant. Puis elle partit au bout de la semaine, aprĂšs mille recommandations de se bien conduire, maintenant qu'il allait ĂÂȘtre abandonnĂ© Ă lui-mĂÂȘme. Le programme des cours, qu'il lut sur l'affiche, lui fit un effet d'Ă©tourdissement cours d'anatomie, cours de pathologie, cours de physiologie, cours de pharmacie, cours de chimie, et de botanique, et de clinique, et de thĂ©rapeutique, sans compter l'hygiĂšne ni la matiĂšre mĂ©dicale, tous noms dont il ignorait les Ă©tymologies et qui Ă©taient comme autant de portes de sanctuaires pleins d'augustes tĂ©nĂšbres. Il n'y comprit rien ; il avait beau Ă©couter, il ne saisissait pas. Il travaillait pourtant, il avait des cahiers reliĂ©s, il suivait tous les cours, il ne perdait pas une seule visite. Il accomplissait sa petite tĂÂąche quotidienne Ă la maniĂšre du cheval de manĂšge, qui tourne en place les yeux bandĂ©s, ignorant de la besogne qu'il broie. Pour lui Ă©pargner de la dĂ©pense, sa mĂšre lui envoyait chaque semaine, par le messager, un morceau de veau cuit au four, avec quoi il dĂ©jeunait le matin, quand il Ă©tait rentrĂ© de l'hĂÂŽpital, tout en battant la semelle contre le mur. Ensuite il fallait courir aux leçons, Ă l'amphithĂ©ĂÂątre, Ă l'hospice, et revenir chez lui, Ă travers toutes les rues. Le soir, aprĂšs le maigre dĂner de son propriĂ©taire, il remontait Ă sa chambre et se remettait au travail, dans ses habits mouillĂ©s qui fumaient sur son corps, devant le poĂÂȘle rougi. Dans les beaux soirs d'Ă©tĂ©, Ă l'heure oĂÂč les rues tiĂšdes sont vides, quand les servantes jouent au volant sur le seuil des portes, il ouvrait sa fenĂÂȘtre et s'accoudait. La riviĂšre, qui fait de ce quartier de Rouen comme une ignoble petite Venise, coulait en bas, sous lui, jaune, violette ou bleue, entre ses ponts et ses grilles. Des ouvriers, accroupis au bord, lavaient leurs bras dans l'eau. Sur des perches partant du haut des greniers, des Ă©cheveaux de coton sĂ©chaient Ă l'air. En face, au-delĂ des toits, le grand ciel pur s'Ă©tendait, avec le soleil rouge se couchant. Qu'il devait faire bon lĂ -bas ! Quelle fraĂcheur sous la hĂÂȘtraie ! Et il ouvrait les narines pour aspirer les bonnes odeurs de la campagne, qui ne venaient pas jusqu'Ă lui. Il maigrit, sa taille s'allongea, et sa figure prit une sorte d'expression dolente qui la rendit presque intĂ©ressante. Naturellement, par nonchalance, il en vint Ă se dĂ©lier de toutes les rĂ©solutions qu'il s'Ă©tait faites. Une fois, il manqua la visite, le lendemain son cours, et, savourant la paresse, peu Ă peu, n'y retourna plus. Il prit l'habitude du cabaret, avec la passion des dominos. S'enfermer chaque soir dans un sale appartement public, pour y taper sur des tables de marbre de petits os de mouton marquĂ©s de points noirs, lui semblait un acte prĂ©cieux de sa libertĂ©, qui le rehaussait d'estime vis-Ă -vis de lui-mĂÂȘme. C'Ă©tait comme l'initiation au monde, l'accĂšs des plaisirs dĂ©fendus ; et, en entrant, il posait la main sur le bouton de la porte avec une joie presque sensuelle. Alors, beaucoup de choses comprimĂ©es en lui, se dilatĂšrent ; il apprit par coeur des couplets qu'il chantait aux bienvenues, s'enthousiasma pour BĂ©ranger, sut faire du punch et connut enfin l'amour. GrĂÂące Ă ces travaux prĂ©paratoires, il Ă©choua complĂštement Ă son examen d'officier de santĂ©. On l'attendait le soir mĂÂȘme Ă la maison pour fĂÂȘter son succĂšs ! Il partit Ă pied et s'arrĂÂȘta vers l'entrĂ©e du village, oĂÂč il fit demander sa mĂšre, lui conta tout. Elle l'excusa, rejetant l'Ă©chec sur l'injustice des examinateurs, et le raffermit un peu, se chargeant d'arranger les choses. Cinq ans plus tard seulement, M. Bovary connut la vĂ©ritĂ© ; elle Ă©tait vieille, il l'accepta, ne pouvant d'ailleurs supposer qu'un homme issu de lui fĂ»t un sot. Charles se remit donc au travail et prĂ©para sans discontinuer les matiĂšres de son examen, dont il apprit d'avance toutes les questions par coeur. Il fut reçu avec une assez bonne note. Quel beau jour pour sa mĂšre ! On donna un grand dĂner. OĂÂč irait-il exercer son art ? A Tostes. Il n'y avait lĂ qu'un vieux mĂ©decin. Depuis longtemps madame Bovary guettait sa mort, et le bonhomme n'avait point encore pliĂ© bagage, que Charles Ă©tait installĂ© en face, comme son successeur. Mais ce n'Ă©tait pas tout que d'avoir Ă©levĂ© son fils, de lui avoir fait apprendre la mĂ©decine et dĂ©couvert Tostes pour l'exercer il lui fallait une femme. Elle lui en trouva une la veuve d'un huissier de Dieppe, qui avait quarante-cinq ans et douze cents livres de rente. Quoiqu'elle fĂ»t laide, sĂšche comme un cotret, et bourgeonnĂ©e comme un printemps, certes madame Dubuc ne manquait pas de partis Ă choisir. Pour arriver Ă ses fins, la mĂšre Bovary fut obligĂ©e de les Ă©vincer tous, et elle dĂ©joua mĂÂȘme fort habilement les intrigues d'un charcutier qui Ă©tait soutenu par les prĂÂȘtres. Charles avait entrevu dans le mariage l'avĂšnement d'une condition meilleure, imaginant qu'il serait plus libre et pourrait disposer de sa personne et de son argent. Mais sa femme fut le maĂtre ; il devait devant le monde dire ceci, ne pas dire cela, faire maigre tous les vendredis, s'habiller comme elle l'entendait, harceler par son ordre les clients qui ne payaient pas. Elle dĂ©cachetait ses lettres, Ă©piait ses dĂ©marches, et l'Ă©coutait, Ă travers la cloison, donner ses consultations dans son cabinet, quand il y avait des femmes. Il lui fallait son chocolat tous les matins, des Ă©gards Ă n'en plus finir. Elle se plaignait sans cesse de ses nerfs, de sa poitrine, de ses humeurs. Le bruit des pas lui faisait mal ; on s'en allait, la solitude lui devenait odieuse ; revenait-on prĂšs d'elle, c'Ă©tait pour la voir mourir, sans doute. Le soir, quand Charles rentrait, elle sortait de dessous ses draps ses longs bras maigres, les lui passait autour du cou, et, l'ayant fait asseoir au bord du lit, se mettait Ă lui parler de ses chagrins il l'oubliait, il en aimait une autre ! On lui avait bien dit qu'elle serait malheureuse ; et elle finissait en lui demandant quelque sirop pour sa santĂ© et un peu plus d'amour. II. Une nuit, vers onze heures, ils furent rĂ©veillĂ©s par le bruit d'un cheval qui s'arrĂÂȘta juste Ă la porte. La bonne ouvrit la lucarne du grenier et parlementa quelque temps avec un homme restĂ© en bas, dans la rue. Il venait chercher le mĂ©decin ; il avait une lettre. Nastasie descendit les marches en grelottant, et alla ouvrir la serrure et les verrous, l'un aprĂšs l'autre. L'homme laissa son cheval, et, suivant la bonne, entra tout Ă coup derriĂšre elle. Il tira de dedans son bonnet de laine Ă houppes grises, une lettre enveloppĂ©e dans un chiffon, et la prĂ©senta dĂ©licatement Ă Charles, qui s'accouda sur l'oreiller pour la lire. Nastasie, prĂšs du lit, tenait la lumiĂšre. Madame, par pudeur, restait tournĂ©e vers la ruelle et montrait le dos. Cette lettre, cachetĂ©e d'un petit cachet de cire bleue, suppliait M. Bovary de se rendre immĂ©diatement Ă la ferme des Bertaux, pour remettre une jambe cassĂ©e. Or il y a, de Tostes aux Bertaux, six bonnes lieues de traverse, en passant par Longueville et Saint-Victor. La nuit Ă©tait noire. Madame Bovary jeune redoutait les accidents pour son mari. Donc il fut dĂ©cidĂ© que le valet d'Ă©curie prendrait les devants. Charles partirait trois heures plus tard, au lever de la lune. On enverrait un gamin Ă sa rencontre, afin de lui montrer le chemin de la ferme et d'ouvrir les clĂÂŽtures devant lui. Vers quatre heures du matin, Charles, bien enveloppĂ© dans son manteau, se mit en route pour les Bertaux. Encore endormi par la chaleur du sommeil, il se laissait bercer au trot pacifique de sa bĂÂȘte. Quand elle s'arrĂÂȘtait d'elle-mĂÂȘme devant ces trous entourĂ©s d'Ă©pines que l'on creuse au bord des sillons, Charles se rĂ©veillant en sursaut, se rappelait vite la jambe cassĂ©e, et il tĂÂąchait de se remettre en mĂ©moire toutes les fractures qu'il savait. La pluie ne tombait plus ; le jour commençait Ă venir, et, sur les branches des pommiers sans feuilles, des oiseaux se tenaient immobiles, hĂ©rissant leurs petites plumes au vent froid du matin. La plate campagne s'Ă©talait Ă perte de vue, et les bouquets d'arbres autour des fermes faisaient, Ă intervalles Ă©loignĂ©s, des taches d'un violet noir sur cette grande surface grise, qui se perdait Ă l'horizon dans le ton morne du ciel. Charles, de temps Ă autre, ouvrait les yeux ; puis, son esprit se fatiguant et le sommeil revenant de soi-mĂÂȘme, bientĂÂŽt il entrait dans une sorte d'assoupissement oĂÂč, ses sensations rĂ©centes se confondant avec des souvenirs, lui-mĂÂȘme se percevait double, Ă la fois Ă©tudiant et mariĂ©, couchĂ© dans son lit comme tout Ă l'heure, traversant une salle d'opĂ©rĂ©s comme autrefois. L'odeur chaude des cataplasmes se mĂÂȘlait dans sa tĂÂȘte Ă la verte odeur de la rosĂ©e ; il entendait rouler sur leur tringle les anneaux de fer des lits et sa femme dormir... Comme il passait par Vassonville, il aperçut, au bord d'un fossĂ©, un jeune garçon assis sur l'herbe. - Etes-vous le mĂ©decin ? demanda l'enfant. Et, sur la rĂ©ponse de Charles, il prit ses sabots Ă ses mains et se mit Ă courir devant lui. L'officier de santĂ©, chemin faisant, comprit aux discours de son guide que M. Rouault devait ĂÂȘtre un cultivateur des plus aisĂ©s. Il s'Ă©tait cassĂ© la jambe, la veille au soir, en revenant de faire les Rois , chez un voisin. Sa femme Ă©tait morte depuis deux ans. Il n'avait avec lui que sa demoiselle , qui l'aidait Ă tenir la maison. Les orniĂšres devinrent plus profondes. On approchait des Bertaux. Le petit gars, se coulant alors par un trou de haie, disparut, puis il revint au bout d'une cour en ouvrir la barriĂšre. Le cheval glissait sur l'herbe mouillĂ©e ; Charles se baissait pour passer sous les branches. Les chiens de garde Ă la niche aboyaient en tirant sur leur chaĂne. Quand il entra dans les Bertaux, son cheval eut peur et fit un grand Ă©cart. C'Ă©tait une ferme de bonne apparence. On voyait dans les Ă©curies, par le dessus des portes ouvertes, de gros chevaux de labour qui mangeaient tranquillement dans des rĂÂąteliers neufs. Le long des bĂÂątiments s'Ă©tendait un large fumier, de la buĂ©e s'en Ă©levait, et, parmi les poules et les dindons, picoraient dessus cinq ou six paons, luxe des basses-cours cauchoises. La bergerie Ă©tait longue, la grange Ă©tait haute, Ă murs lisses comme la main. Il y avait sous le hangar deux grandes charrettes et quatre charrues, avec leurs fouets, leurs colliers, leurs Ă©quipages complets, dont les toisons de laine bleue se salissaient Ă la poussiĂšre fine qui tombait des greniers. La cour allait en montant, plantĂ©e d'arbres symĂ©triquement espacĂ©s, et le bruit gai d'un troupeau d'oies retentissait prĂšs de la mare. Une jeune femme, en robe de mĂ©rinos bleu garnie de trois volants, vint sur le seuil de la maison pour recevoir M. Bovary, qu'elle fit entrer dans la cuisine, oĂÂč flambait un grand feu. Le dĂ©jeuner des gens bouillonnait alentour, dans des petits pots de taille inĂ©gale. Des vĂÂȘtements humides sĂ©chaient dans l'intĂ©rieur de la cheminĂ©e. La pelle, les pincettes et le bec du soufflet, tous de proportion colossale, brillaient comme de l'acier poli, tandis que le long des murs s'Ă©tendait une abondante batterie de cuisine, oĂÂč miroitait inĂ©galement la flamme claire du foyer, jointe aux premiĂšres lueurs du soleil arrivant par les carreaux. Charles monta, au premier, voir le malade. Il le trouva dans son lit, suant sous ses couvertures et ayant rejetĂ© bien loin son bonnet de coton. C'Ă©tait un gros petit homme de cinquante ans, Ă la peau blanche, Ă l'oeil bleu, chauve sur le devant de la tĂÂȘte, et qui portait des boucles d'oreilles. Il avait Ă ses cĂÂŽtĂ©s, sur une chaise, une grande carafe d'eau-de-vie, dont il se versait de temps Ă autre pour se donner du coeur au ventre ; mais, dĂšs qu'il vit le mĂ©decin, son exaltation tomba, et, au lieu de sacrer comme il faisait depuis douze heures, il se prit Ă geindre faiblement. La fracture Ă©tait simple, sans complication d'aucune espĂšce. Charles n'eĂ»t osĂ© en souhaiter de plus facile. Alors, se rappelant les allures de ses maĂtres auprĂšs du lit des blessĂ©s, il rĂ©conforta le patient avec toutes sortes de bons mots, caresses chirurgicales qui sont comme l'huile dont on graisse les bistouris. Afin d'avoir des attelles, on alla chercher, sous la charretterie, un paquet de lattes. Charles en choisit une, la coupa en morceaux et la polit avec un Ă©clat de vitre, tandis que la servante dĂ©chirait des draps pour faire des bandes, et que mademoiselle Emma tĂÂąchait de coudre des coussinets. Comme elle fut longtemps avant de trouver son Ă©tui, son pĂšre s'impatienta ; elle ne rĂ©pondit rien ; mais, tout en cousant, elle se piquait les doigts, qu'elle portait ensuite Ă sa bouche pour les sucer. Charles fut surpris de la blancheur de ses ongles. Ils Ă©taient brillants, fins du bout, plus nettoyĂ©s que les ivoires de Dieppe, et taillĂ©s en amande. Sa main pourtant n'Ă©tait pas belle, point assez pĂÂąle peut-ĂÂȘtre, et un peu sĂšche aux phalanges ; elle Ă©tait trop longue aussi, et sans molles inflexions de lignes sur les contours. Ce qu'elle avait de beau, c'Ă©taient les yeux ; quoiqu'ils fussent bruns, ils semblaient noirs Ă cause des cils, et son regard arrivait franchement Ă vous avec une hardiesse candide. Une fois le pansement fait, le mĂ©decin fut invitĂ©, par M. Rouault lui-mĂÂȘme, Ă prendre un morceau avant de partir. Charles descendit dans la salle, au rez-de-chaussĂ©e. Deux couverts, avec des timbales d'argent, y Ă©taient mis sur une petite table, au pied d'un grand lit Ă baldaquin revĂÂȘtu d'une indienne Ă personnages reprĂ©sentant des Turcs. On sentait une odeur d'iris et de draps humides, qui s'Ă©chappait de la haute armoire en bois de chĂÂȘne, faisant face Ă la fenĂÂȘtre. Par terre, dans les angles, Ă©taient rangĂ©s, debout, des sacs de blĂ©. C'Ă©tait le trop-plein du grenier proche, oĂÂč l'on montait par trois marches de pierre. Il y avait, pour dĂ©corer l'appartement, accrochĂ©e Ă un clou, au milieu du mur dont la peinture verte s'Ă©caillait sous le salpĂÂȘtre, une tĂÂȘte de Minerve au crayon noir, encadrĂ©e de dorure, et qui portait au bas, Ă©crit en lettres gothiques " A mon cher papa. " On parla d'abord du malade, puis du temps qu'il faisait, des grands froids, des loups qui couraient les champs, la nuit. Mademoiselle Rouault ne s'amusait guĂšre Ă la campagne, maintenant surtout qu'elle Ă©tait chargĂ©e presque Ă elle seule des soins de la ferme. Comme la salle Ă©tait fraĂche, elle grelottait tout en mangeant, ce qui dĂ©couvrait un peu ses lĂšvres charnues, qu'elle avait coutume de mordillonner Ă ses moments de silence. Son cou sortait d'un col blanc, rabattu. Ses cheveux, dont les deux bandeaux noirs semblaient chacun d'un seul morceau, tant ils Ă©taient lisses, Ă©taient sĂ©parĂ©s sur le milieu de la tĂÂȘte par une raie fine, qui s'enfonçait lĂ©gĂšrement selon la courbe du crĂÂąne ; et, laissant voir Ă peine le bout de l'oreille, ils allaient se confondre par derriĂšre en un chignon abondant, avec un mouvement ondĂ© vers les tempes, que le mĂ©decin de campagne remarqua lĂ pour la premiĂšre fois de sa vie. Ses pommettes Ă©taient roses. Elle portait, comme un homme, passĂ© entre deux boutons de son corsage, un lorgnon d'Ă©caille. Quand Charles, aprĂšs ĂÂȘtre montĂ© dire adieu au pĂšre Rouault, rentra dans la salle avant de partir, il la trouva debout, le front contre la fenĂÂȘtre, et qui regardait dans le jardin, oĂÂč les Ă©chalas des haricots avaient Ă©tĂ© renversĂ©s par le vent. Elle se retourna. - Cherchez-vous quelque chose ? demanda-t-elle. - Ma cravache, s'il vous plaĂt, rĂ©pondit-il. Et il se mit Ă fureter sur le lit, derriĂšre les portes, sous les chaises ; elle Ă©tait tombĂ©e Ă terre, entre les sacs et la muraille. Mademoiselle Emma l'aperçut ; elle se pencha sur les sacs de blĂ©. Charles, par galanterie, se prĂ©cipita et, comme il allongeait aussi son bras dans le mĂÂȘme mouvement, il sentit sa poitrine effleurer le dos de la jeune fille, courbĂ©e sous lui. Elle se redressa toute rouge et le regarda par-dessus l'Ă©paule, en lui tendant son nerf de boeuf. Au lieu de revenir aux Bertaux trois jours aprĂšs, comme il l'avait promis, c'est le lendemain mĂÂȘme qu'il y retourna, puis deux fois la semaine rĂ©guliĂšrement, sans compter les visites inattendues qu'il faisait de temps Ă autre, comme par mĂ©garde. Tout, du reste, alla bien ; la guĂ©rison s'Ă©tablit selon les rĂšgles, et quand, au bout de quarante-six jours, on vit le pĂšre Rouault qui s'essayait Ă marcher seul dans sa masure , on commença Ă considĂ©rer M. Bovary comme un homme de grande capacitĂ©. Le pĂšre Rouault disait qu'il n'aurait pas Ă©tĂ© mieux guĂ©ri par les premiers mĂ©decins d'Yvetot ou mĂÂȘme de Rouen. Quant Ă Charles, il ne chercha point Ă se demander pourquoi il venait aux Bertaux avec plaisir. Y eĂ»t-il songĂ©, qu'il aurait sans doute attribuĂ© son zĂšle Ă la gravitĂ© du cas, ou peut-ĂÂȘtre au profit qu'il en espĂ©rait. Etait-ce pour cela, cependant, que ses visites Ă la ferme faisaient, parmi les pauvres occupations de sa vie, une exception charmante ? Ces jours-lĂ il se levait de bonne heure, partait au galop, poussait sa bĂÂȘte, puis il descendait pour s'essuyer les pieds sur l'herbe, et passait ses gants noirs avant d'entrer. Il aimait Ă se voir arriver dans la cour, Ă sentir contre son Ă©paule la barriĂšre qui tournait, et le coq qui chantait sur le mur, les garçons qui venaient Ă sa rencontre. Il aimait la grange et les Ă©curies ; il aimait le pĂšre Rouault, qui lui tapait dans la main en l'appelant son sauveur ; il aimait les petits sabots de mademoiselle Emma sur les dalles lavĂ©es de la cuisine ; ses talons hauts la grandissaient un peu, et, quand elle marchait devant lui, les semelles de bois, se relevant vite, claquaient avec un bruit sec contre le cuir de la bottine. Elle le reconduisait toujours jusqu'Ă la premiĂšre marche du perron. Lorsqu'on n'avait pas encore amenĂ© son cheval, elle restait lĂ . On s'Ă©tait dit adieu, on ne parlait plus ; le grand air l'entourait, levant pĂÂȘle-mĂÂȘle les petits cheveux follets de sa nuque, ou secouant sur sa hanche les cordons de son tablier, qui se tortillaient comme des banderoles. Une fois, par un temps de dĂ©gel, l'Ă©corce des arbres suintait dans la cour, la neige sur les couvertures des bĂÂątiments se fondait. Elle Ă©tait sur le seuil ; elle alla chercher son ombrelle, elle l'ouvrit. L'ombrelle, de soie gorge de pigeon, que traversait le soleil, Ă©clairait de reflets mobiles la peau blanche de sa figure. Elle souriait lĂ -dessous Ă la chaleur tiĂšde ; et on entendait les gouttes d'eau, une Ă une, tomber sur la moire tendue. Dans les premiers temps que Charles frĂ©quentait les Bertaux, madame Bovary jeune ne manquait pas de s'informer du malade, et mĂÂȘme sur le livre qu'elle tenait en partie double, elle avait choisi pour M. Rouault une belle page blanche. Mais quand elle sut qu'il avait une fille, elle alla aux informations ; et elle apprit que mademoiselle Rouault, Ă©levĂ©e au couvent, chez les Ursulines, avait reçu, comme on dit, une belle Ă©ducation , qu'elle savait, en consĂ©quence, la danse, la gĂ©ographie, le dessin, faire de la tapisserie et toucher du piano. Ce fut le comble ! - C'est donc pour cela, se disait-elle, qu'il a la figure si Ă©panouie quand il va la voir, et qu'il met son gilet neuf, au risque de l'abĂmer Ă la pluie ? Ah ! cette femme ! cette femme !... Et elle la dĂ©testa, d'instinct. D'abord, elle se soulagea par des allusions, Charles ne les comprit pas ; ensuite, par des rĂ©flexions incidentes qu'il laissait passer de peur de l'orage ; enfin, par des apostrophes Ă brĂ»le-pourpoint auxquelles il ne savait que rĂ©pondre. - D'oĂÂč vient qu'il retournait aux Bertaux, puisque M. Rouault Ă©tait guĂ©ri et que ces gens-lĂ n'avaient pas encore payĂ© ? Ah ! c'est qu'il y avait lĂ -bas une personne , quelqu'un qui savait causer, une brodeuse, un bel esprit. C'Ă©tait lĂ ce qu'il aimait il lui fallait des demoiselles de ville ! - Et elle reprenait - La fille au pĂšre Rouault, une demoiselle de ville ! Allons donc ! leur grand-pĂšre Ă©tait berger, et ils ont un cousin qui a failli passer par les assises pour un mauvais coup, dans une dispute. Ce n'est pas la peine de faire tant de fla-fla, ni de se montrer le dimanche Ă l'Ă©glise avec une robe de soie, comme une comtesse. Pauvre bonhomme, d'ailleurs, qui sans les colzas de l'an passĂ© eĂ»t Ă©tĂ© bien embarrassĂ© de payer ses arrĂ©rages ! Par lassitude, Charles cessa de retourner aux Bertaux. HĂ©loĂÂŻse lui avait fait jurer qu'il n'irait plus, la main sur son livre de messe, aprĂšs beaucoup de sanglots et de baisers, dans une grande explosion d'amour. Il obĂ©it donc ; mais la hardiesse de son dĂ©sir protesta contre la servilitĂ© de sa conduite, et, par une sorte d'hypocrisie naĂÂŻve, il estima que cette dĂ©fense de la voir Ă©tait pour lui comme un droit de l'aimer. Et puis la veuve Ă©tait maigre ; elle avait les dents longues ; elle portait en toute saison un petit chĂÂąle noir dont la pointe lui descendait entre les omoplates ; sa taille dure Ă©tait engainĂ©e dans des robes en façon de fourreau, trop courtes, qui dĂ©couvraient ses chevilles, avec les rubans de ses souliers larges s'entrecroisant sur des bas gris. La mĂšre de Charles venait les voir de temps Ă autre ; mais, au bout de quelques jours, la bru semblait l'aiguiser Ă son fil ; et alors, comme deux couteaux, elles Ă©taient Ă le scarifier par leurs rĂ©flexions et leurs observations. Il avait tort de tant manger ! Pourquoi toujours offrir la goutte au premier venu ? Quel entĂÂȘtement que de ne pas vouloir porter de flanelle ! Il arriva qu'au commencement du printemps, un notaire d'Ingouville, dĂ©tenteur de fonds Ă la veuve Dubuc, s'embarqua, par une belle marĂ©e, emportant avec lui tout l'argent de son Ă©tude. HĂ©loĂÂŻse, il est vrai, possĂ©dait encore, outre une part de bateau Ă©valuĂ©e six mille francs, sa maison de la rue Saint-François ; et cependant, de toute cette fortune que l'on avait fait sonner si haut, rien, si ce n'est un peu de mobilier et quelques nippes, n'avait paru dans le mĂ©nage. Il fallut tirer la chose au clair. La maison de Dieppe se trouva vermoulue d'hypothĂšques jusque dans ses pilotis ; ce qu'elle avait mis chez le notaire, Dieu seul le savait, et la part de barque n'excĂ©da point mille Ă©cus. Elle avait donc menti, la bonne dame ! Dans son exaspĂ©ration, M. Bovary pĂšre, brisant une chaise contre les pavĂ©s, accusa sa femme d'avoir fait le malheur de leur fils en l'attelant Ă une haridelle semblable, dont les harnais ne valaient pas la peau. Ils vinrent Ă Tostes. On s'expliqua. Il y eut des scĂšnes. HĂ©loĂÂŻse, en pleurs, se jetant dans les bras de son mari, le conjura de la dĂ©fendre de ses parents. Charles voulut parler pour elle. Ceux-ci se choquĂšrent, et ils partirent. Mais le coup Ă©tait portĂ© . Huit jours aprĂšs, comme elle Ă©tendait du linge dans sa cour, elle fut prise d'un crachement de sang, et le lendemain, tandis que Charles avait le dos tournĂ© pour fermer le rideau de la fenĂÂȘtre, elle dit " Ah ! mon Dieu ! " poussa un soupir et s'Ă©vanouit. Elle Ă©tait morte ! Quel Ă©tonnement ! Quand tout fut fini au cimetiĂšre, Charles rentra chez lui. Il ne trouva personne en bas ; il monta au premier, dans la chambre, vit sa robe encore accrochĂ©e au pied de l'alcĂÂŽve ; alors, s'appuyant contre le secrĂ©taire, il resta jusqu'au soir perdu dans une rĂÂȘverie douloureuse. Elle l'avait aimĂ©, aprĂšs tout. III. Un matin, le pĂšre Rouault vint apporter Ă Charles le payement de sa jambe remise soixante et quinze francs en piĂšces de quarante sous et une dinde. Il avait appris son malheur, et l'en consola tant qu'il put. - Je sais ce que c'est ! disait-il en lui frappant sur l'Ă©paule ; j'ai Ă©tĂ© comme vous, moi aussi ! Quand j'ai eu perdu ma pauvre dĂ©funte, j'allais dans les champs pour ĂÂȘtre tout seul ; je tombais au pied d'un arbre, je pleurais, j'appelais le bon Dieu, je lui disais des sottises ; j'aurais voulu ĂÂȘtre comme les taupes, que je voyais aux branches, qui avaient des vers leur grouillant dans le ventre, crevĂ©, enfin. Et quand je pensais que d'autres, Ă ce moment-lĂ , Ă©taient avec leurs bonnes petites femmes Ă les tenir embrassĂ©es contre eux, je tapais de grands coups par terre avec mon bĂÂąton ; j'Ă©tais quasiment fou, que je ne mangeais plus ; l'idĂ©e d'aller seulement au cafĂ© me dĂ©goĂ»tait, vous ne croiriez pas. Eh bien, tout doucement, un jour chassant l'autre, un printemps sur un hiver et un automne par-dessus un Ă©tĂ©, ça a coulĂ© brin Ă brin, miette Ă miette ; ça s'en est allĂ©, c'est parti, c'est descendu, je veux dire, car il vous reste toujours quelque chose au fond, comme qui dirait... un poids, lĂ , sur la poitrine ! Mais, puisque c'est notre sort Ă tous, on ne doit pas non plus se laisser dĂ©pĂ©rir, et, parce que d'autres sont morts, vouloir mourir... Il faut vous secouer, monsieur Bovary ; ça se passera ! Venez nous voir ; ma fille pense Ă vous de temps Ă autre, savez-vous bien, et elle dit comme ça que vous l'oubliez. VoilĂ le printemps bientĂÂŽt ; nous vous ferons tirer un lapin dans la garenne, pour vous dissiper un peu. Charles suivit son conseil. Il retourna aux Bertaux ; il retrouva tout comme la veille, comme il y avait cinq mois, c'est-Ă -dire. Les poiriers dĂ©jĂ Ă©taient en fleur, et le bonhomme Rouault, debout maintenant, allait et venait, ce qui rendait la ferme plus animĂ©e. Croyant qu'il Ă©tait de son devoir de prodiguer au mĂ©decin le plus de politesses possible, Ă cause de sa position douloureuse, il le pria de ne point se dĂ©couvrir la tĂÂȘte, lui parla Ă voix basse, comme s'il eĂ»t Ă©tĂ© malade, et mĂÂȘme fit semblant de se mettre en colĂšre de ce que l'on n'avait pas apprĂÂȘtĂ© Ă son intention quelque chose d'un peu plus lĂ©ger que tout le reste, tels que des petits pots de crĂšme ou des poires cuites. Il conta des histoires. Charles se surprit Ă rire ; mais le souvenir de sa femme, lui revenant tout Ă coup, l'assombrit. On apporta le cafĂ© ; il n'y pensa plus. Il y pensa moins, Ă mesure qu'il s'habituait Ă vivre seul. L'agrĂ©ment nouveau de l'indĂ©pendance lui rendit bientĂÂŽt la solitude plus supportable. Il pouvait changer maintenant les heures de ses repas, rentrer ou sortir sans donner de raisons, et, lorsqu'il Ă©tait bien fatiguĂ©, s'Ă©tendre de ses quatre membres, tout en large, dans son lit. Donc, il se choya, se dorlota et accepta les consolations qu'on lui donnait. D'autre part, la mort de sa femme ne l'avait pas mal servi dans son mĂ©tier, car on avait rĂ©pĂ©tĂ© durant un mois " Ce pauvre jeune homme ! quel malheur ! " Son nom s'Ă©tait rĂ©pandu, sa clientĂšle s'Ă©tait accrue ; et puis il allait aux Bertaux tout Ă son aise. Il avait un espoir sans but, un bonheur vague ; il se trouvait la figure plus agrĂ©able en brossant ses favoris devant son miroir. Il arriva un jour vers trois heures ; tout le monde Ă©tait aux champs ; il entra dans la cuisine, mais n'aperçut point d'abord Emma, les auvents Ă©taient fermĂ©s. Par les fentes du bois, le soleil allongeait sur les pavĂ©s de grandes raies minces, qui se brisaient Ă l'angle des meubles et tremblaient au plafond. Des mouches, sur la table, montaient le long des verres qui avaient servi, et bourdonnaient en se noyant au fond, dans le cidre restĂ©. Le jour qui descendait par la cheminĂ©e, veloutant la suie de la plaque, bleuissait un peu les cendres froides. Entre la fenĂÂȘtre et le foyer, Emma cousait ; elle n'avait point de fichu, on voyait sur ses Ă©paules nues de petites gouttes de sueur. Selon la mode de la campagne, elle lui proposa de boire quelque chose. Il refusa, elle insista, et enfin lui offrit, en riant, de prendre un verre de liqueur avec elle. Elle alla donc chercher dans l'armoire une bouteille de curaçao, atteignit deux petits verres, emplit l'un jusqu'au bord, versa Ă peine dans l'autre, et, aprĂšs avoir trinquĂ©, le porta Ă sa bouche. Comme il Ă©tait presque vide, elle se renversait pour boire ; et, la tĂÂȘte en arriĂšre, les lĂšvres avancĂ©es, le cou tendu, elle riait de ne rien sentir, tandis que le bout de sa langue, passant entre ses dents fines, lĂ©chait Ă petits coups le fond du verre. Elle se rassit et elle reprit son ouvrage, qui Ă©tait un bas de coton blanc oĂÂč elle faisait des reprises ; elle travaillait le front baissĂ© ; elle ne parlait pas, Charles non plus. L'air passant par le dessous de la porte, poussait un peu de poussiĂšre sur les dalles ; il la regardait se traĂner, et il entendait seulement le battement intĂ©rieur de sa tĂÂȘte, avec le cri d'une poule, au loin, qui pondait dans les cours. Emma, de temps Ă autre, se rafraĂchissait les joues en y appliquant la paume de ses mains, qu'elle refroidissait aprĂšs cela sur la pomme de fer des grands chenets. Elle se plaignit d'Ă©prouver, depuis le commencement de la saison, des Ă©tourdissements ; elle demanda si les bains de mer lui seraient utiles ; elle se mit Ă causer du couvent, Charles de son collĂšge, les phrases leur vinrent. Ils montĂšrent dans sa chambre. Elle lui fit voir ses anciens cahiers de musique, les petits livres qu'on lui avait donnĂ©s en prix et les couronnes en feuilles de chĂÂȘne, abandonnĂ©es dans un bas d'armoire. Elle lui parla encore de sa mĂšre, du cimetiĂšre, et mĂÂȘme lui montra dans le jardin la plate-bande dont elle cueillait les fleurs, tous les premiers vendredis de chaque mois, pour les aller mettre sur sa tombe. Mais le jardinier qu'ils avaient n'y entendait rien ; on Ă©tait si mal servi ! Elle eĂ»t bien voulu, ne fĂ»t-ce au moins que pendant l'hiver, habiter la ville, quoique la longueur des beaux jours rendĂt peut-ĂÂȘtre la campagne plus ennuyeuse encore durant l'Ă©tĂ© ; - et, selon ce qu'elle disait, sa voix Ă©tait claire, aiguĂ, ou se couvrant de langueur tout Ă coup, traĂnait des modulations qui finissaient presque en murmures, quand elle se parlait Ă elle-mĂÂȘme, - tantĂÂŽt joyeuse, ouvrant des yeux naĂÂŻfs, puis les paupiĂšres Ă demi closes, le regard noyĂ© d'ennui, la pensĂ©e vagabondant. Le soir, en s'en retournant, Charles reprit une Ă une les phrases qu'elle avait dites, tĂÂąchant de se les rappeler, d'en complĂ©ter le sens, afin de se faire la portion d'existence qu'elle avait vĂ©cue dans le temps qu'il ne la connaissait pas encore. Mais jamais il ne put la voir en sa pensĂ©e, diffĂ©remment qu'il ne l'avait vue la premiĂšre fois, ou telle qu'il venait de la quitter tout Ă l'heure. Puis il se demanda ce qu'elle deviendrait, si elle se marierait, et Ă qui ? hĂ©las ! le pĂšre Rouault Ă©tait bien riche, et elle !... si belle ! Mais la figure d'Emma revenait toujours se placer devant ses yeux, et quelque chose de monotone comme le ronflement d'une toupie bourdonnait Ă ses oreilles " Si tu te mariais, pourtant ! Si tu te mariais ! " La nuit, il ne dormit pas, sa gorge Ă©tait serrĂ©e, il avait soif ; il se leva pour aller boire Ă son pot Ă l'eau et il ouvrit la fenĂÂȘtre ; le ciel Ă©tait couvert d'Ă©toiles, un vent chaud passait, au loin des chiens aboyaient. Il tourna la tĂÂȘte du cĂÂŽtĂ© des Bertaux. Pensant qu'aprĂšs tout l'on ne risquait rien, Charles se promit de faire la demande quand l'occasion s'en offrirait ; mais, chaque fois qu'elle s'offrit, la peur de ne point trouver les mots convenables lui collait les lĂšvres. Le pĂšre Rouault n'eĂ»t pas Ă©tĂ© fĂÂąchĂ© qu'on le dĂ©barrassĂÂąt de sa fille, qui ne lui servait guĂšre dans sa maison. Il l'excusait intĂ©rieurement, trouvant qu'elle avait trop d'esprit pour la culture, mĂ©tier maudit du ciel, puisqu'on n'y voyait jamais de millionnaire. Loin d'y avoir fait fortune, le bonhomme y perdait tous les ans ; car, s'il excellait dans les marchĂ©s, oĂÂč il se plaisait aux ruses du mĂ©tier, en revanche la culture proprement dite, avec le gouvernement intĂ©rieur de la ferme, lui convenait moins qu'Ă personne. Il ne retirait pas volontiers ses mains de dedans ses poches, et n'Ă©pargnait point la dĂ©pense pour tout ce qui regardait sa vie, voulant ĂÂȘtre bien nourri, bien chauffĂ©, bien couchĂ©. Il aimait le gros cidre, les gigots saignants, les glorias longuement battus. Il prenait ses repas dans la cuisine, seul, en face du feu, sur une petite table qu'on lui apportait toute service, comme au thĂ©ĂÂątre. Lorsqu'il s'aperçut donc que Charles avait les pommettes rouges prĂšs de sa fille, ce qui signifiait qu'un de ces jours on la lui demanderait en mariage, il rumina d'avance toute l'affaire. Il le trouvait bien un peu gringalet, et ce n'Ă©tait pas lĂ un gendre comme il l'eĂ»t souhaitĂ© ; mais on le disait de bonne conduite, Ă©conome, fort instruit, et sans doute qu'il ne chicanerait pas trop sur la dot. Or, comme le pĂšre Rouault allait ĂÂȘtre forcĂ© de vendre vingt-deux ĂÂącres de son bien , qu'il devait beaucoup au maçon, beaucoup au bourrelier, que l'arbre du pressoir Ă©tait Ă remettre - S'il me la demande, se dit-il, je la lui donne. A l'Ă©poque de la Saint-Michel, Charles Ă©tait venu passer trois jours aux Bertaux. La derniĂšre journĂ©e s'Ă©tait Ă©coulĂ©e comme les prĂ©cĂ©dentes, Ă reculer de quart d'heure en quart d'heure. Le pĂšre Rouault lui fit la conduite ; ils marchaient dans un chemin creux, ils s'allaient quitter ; c'Ă©tait le moment. Charles se donna jusqu'au coin de la haie, et enfin, quand on l'eut dĂ©passĂ©e - MaĂtre Rouault, murmura-t-il, je voudrais bien vous dire quelque chose. Ils s'arrĂÂȘtĂšrent. Charles se taisait. - Mais contez-moi votre histoire ! est-ce que je ne sais pas tout ? dit le pĂšre Rouault, en riant doucement. - PĂšre Rouault..., pĂšre Rouault..., balbutia Charles. - Moi, je ne demande pas mieux, continua le fermier. Quoique sans doute la petite soit de mon idĂ©e, il faut pourtant lui demander son avis. Allez-vous-en donc ; je m'en vais retourner chez nous. Si c'est oui, entendez-moi bien, vous n'aurez pas besoin de revenir, Ă cause du monde, et, d'ailleurs, ça la saisirait trop. Mais pour que vous ne vous mangiez pas le sang, je pousserai tout grand l'auvent de la fenĂÂȘtre contre le mur vous pourrez le voir par derriĂšre, en vous penchant sur la haie. Et il s'Ă©loigna. Charles attacha son cheval Ă un arbre. Il courut se mettre dans le sentier ; il attendit. Une demi-heure se passa, puis il compta dix-neuf minutes Ă sa montre. Tout Ă coup un bruit se fit contre le mur ; l'auvent s'Ă©tait rabattu, la cliquette tremblait encore. Le lendemain, dĂšs neuf heures, il Ă©tait Ă la ferme. Emma rougit quand il entra, tout en s'efforçant de rire un peu, par contenance. Le pĂšre Rouault embrassa son futur gendre. On remit Ă causer des arrangements d'intĂ©rĂÂȘt ; on avait, d'ailleurs, du temps devant soi, puisque le mariage ne pouvait dĂ©cemment avoir lieu avant la fin du deuil de Charles, c'est-Ă -dire vers le printemps de l'annĂ©e prochaine. L'hiver se passa cette attente. Mademoiselle Rouault s'occupa de son trousseau. Une partie en fut commandĂ©e Ă Rouen, et elle se confectionna des chemises et des bonnets de nuit, d'aprĂšs des dessins de modes qu'elle emprunta. Dans les visites que Charles faisait Ă la ferme, on causait des prĂ©paratifs de la noce ; on se demandait dans quel appartement se donnerait le dĂner ; on rĂÂȘvait Ă la quantitĂ© de plats qu'il faudrait et qu'elles seraient les entrĂ©es. Emma eĂ»t, au contraire, dĂ©sirĂ© se marier Ă minuit, aux flambeaux ; mais le pĂšre Rouault ne comprit rien Ă cette idĂ©e. Il y eut donc une noce, oĂÂč vinrent quarante-trois personnes, oĂÂč l'on resta seize heures Ă table, qui recommença le lendemain et quelque peu les jours suivants. IV. Les conviĂ©s arrivĂšrent de bonne heure dans des voitures, carrioles Ă un cheval, chars Ă bancs Ă deux roues, vieux cabriolets sans capote, tapissiĂšres Ă rideaux de cuir, et les jeunes gens des villages les plus voisins dans des charrettes oĂÂč ils se tenaient debout, en rang, les mains appuyĂ©es sur les ridelles pour ne pas tomber, allant au trot et secouĂ©s dur. Il en vint de dix lieues loin, de Goderville, de Normanville et de Cany. On avait invitĂ© tous les parents des deux familles, on s'Ă©tait raccommodĂ© avec les amis brouillĂ©s, on avait Ă©crit Ă des connaissances perdues de vue depuis longtemps. De temps Ă autre, on entendait des coups de fouet derriĂšre la haie ; bientĂÂŽt la barriĂšre s'ouvrait c'Ă©tait une carriole qui entrait. Galopant jusqu'Ă la premiĂšre marche du perron, elle s'y arrĂÂȘtait court, et vidait son monde, qui sortait par tous les cĂÂŽtĂ©s en se frottant les genoux et en s'Ă©tirant les bras. Les dames, en bonnet, avaient des robes Ă la façon de la ville, des chaĂnes de montre en or, des pĂšlerines Ă bouts croisĂ©s dans la ceinture, ou de petits fichus de couleur attachĂ©s dans le dos avec une Ă©pingle, et qui leur dĂ©couvraient le cou par derriĂšre. Les gamins, vĂÂȘtus pareillement Ă leurs papas, semblaient incommodĂ©s par leurs habits neufs beaucoup mĂÂȘme Ă©trennĂšrent ce jour-lĂ la premiĂšre paire de bottes de leur existence , et l'on voyait Ă cĂÂŽtĂ© d'eux, ne soufflant mot dans la robe blanche de sa premiĂšre communion rallongĂ©e pour la circonstance, quelque grande fillette de quatorze ou seize ans, leur cousine ou leur soeur aĂnĂ©e sans doute, rougeaude, ahurie, les cheveux gras de pommade Ă la rose, et ayant bien peur de salir ses gants. Comme il n'y avait point assez de valets d'Ă©curie pour dĂ©teler toutes les voitures, les messieurs retroussaient leurs manches et s'y mettaient eux-mĂÂȘmes. Suivant leur position sociale diffĂ©rente, ils avaient des habits, des redingotes, des vestes, des habits-vestes - bons habits, entourĂ©s de toute la considĂ©ration d'une famille, et qui ne sortaient de l'armoire que pour les solennitĂ©s ; redingotes Ă grandes basques flottant au vent, Ă collet cylindrique, Ă poches larges comme des sacs ; vestes de gros drap, qui accompagnaient ordinairement quelque casquette cerclĂ©e de cuivre Ă sa visiĂšre ; habits-vestes trĂšs courts, ayant dans le dos deux boutons rapprochĂ©s comme une paire d'yeux, et dont les pans semblaient avoir Ă©tĂ© coupĂ©s Ă mĂÂȘme un seul bloc, par la hache du charpentier. Quelques-uns encore mais ceux-lĂ , bien sĂ»r, devaient dĂner au bas bout de la table portaient des blouses de cĂ©rĂ©monie, c'est-Ă -dire dont le col Ă©tait rabattu sur les Ă©paules, le dos froncĂ© Ă petits plis et la taille attachĂ©e trĂšs bas par une ceinture cousue. Et les chemises sur les poitrines bombaient comme des cuirasses ! Tout le monde Ă©tait tondu Ă neuf, les oreilles s'Ă©cartaient des tĂÂȘtes, on Ă©tait rasĂ© de prĂšs ; quelques-uns mĂÂȘme qui s'Ă©taient levĂ©s dĂšs avant l'aube, n'ayant pas vu clair Ă se faire la barbe, avaient des balafres en diagonale sous le nez, ou, le long des mĂÂąchoires, des pelures d'Ă©piderme larges comme des Ă©cus de trois francs, et qu'avait enflammĂ©es le grand air pendant la route, ce qui marbrait un peu de plaques roses toutes ces grosses faces blanches Ă©panouies. La mairie se trouvant Ă une demi-lieue de la ferme, on s'y rendit Ă pied, et l'on revint de mĂÂȘme, une fois la cĂ©rĂ©monie faite Ă l'Ă©glise. Le cortĂšge, d'abord uni comme une seule Ă©charpe de couleur, qui ondulait dans la campagne, le long de l'Ă©troit sentier serpentant entre les blĂ©s verts, s'allongea bientĂÂŽt et se coupa en groupes diffĂ©rents, qui s'attardaient Ă causer. Le mĂ©nĂ©trier allait en tĂÂȘte, avec son violon empanachĂ© de rubans Ă la coquille ; les mariĂ©s venaient ensuite, les parents, les amis tout au hasard, et les enfants restaient derriĂšre, s'amusant Ă arracher les clochettes des brins d'avoine, ou Ă se jouer entre eux, sans qu'on les vĂt. La robe d'Emma, trop longue, traĂnait un peu par le bas ; de temps Ă autre, elle s'arrĂÂȘtait pour la tirer, et alors dĂ©licatement, de ses doigts gantĂ©s, elle enlevait les herbes rudes avec les petits dards des chardons, pendant que Charles, les mains vides, attendait qu'elle eĂ»t fini. Le pĂšre Rouault, un chapeau de soie neuf sur la tĂÂȘte et les parements de son habit noir lui couvrant les mains jusqu'aux ongles, donnait le bras Ă madame Bovary mĂšre. Quant Ă M. Bovary pĂšre, qui, mĂ©prisant au fond tout ce monde-lĂ , Ă©tait venu simplement avec une redingote Ă un rang de boutons d'une coupe militaire, il dĂ©bitait des galanteries d'estaminet Ă une jeune paysanne blonde. Elle saluait, rougissait, ne savait que rĂ©pondre. Les autres gens de la noce causaient de leurs affaires ou se faisaient des niches dans le dos, s'excitant d'avance Ă la gaietĂ© ; et, en y prĂÂȘtant l'oreille, on entendait toujours le crin-crin du mĂ©nĂ©trier qui continuait Ă jouer dans la campagne. Quand il s'apercevait qu'on Ă©tait loin derriĂšre lui, il s'arrĂÂȘtait Ă reprendre haleine, cirait longuement de colophane son archet, afin que les cordes grinçassent mieux, et puis il se remettait Ă marcher, abaissant et levant tour Ă tour le manche de son violon, pour se bien marquer la mesure Ă lui-mĂÂȘme. Le bruit de l'instrument faisait partir de loin les petits oiseaux. C'Ă©tait sous le hangar de la charretterie que la table Ă©tait dressĂ©e. Il y avait dessus quatre aloyaux, six fricassĂ©es de poulets, du veau Ă la casserole, trois gigots, et, au milieu, un joli cochon de lait rĂÂŽti, flanquĂ© de quatre endeuilles Ă l'oseille. Aux angles, se dressait l'eau-de-vie dans des carafes. Le cidre doux en bouteilles poussait sa mousse Ă©paisse autour des bouchons, et tous les verres, d'avance, avaient Ă©tĂ© remplis de vin jusqu'au bord. De grands plats de crĂšme jaune, qui flottaient d'eux-mĂÂȘmes au moindre choc de la table, prĂ©sentaient, dessinĂ©s sur leur surface unie, les chiffres des nouveaux Ă©poux en arabesques de nonpareille. On avait Ă©tĂ© chercher un pĂÂątissier Ă Yvetot, pour les tourtes et les nougats. Comme il dĂ©butait dans le pays, il avait soignĂ© les choses ; et il apporta, lui-mĂÂȘme, au dessert, une piĂšce montĂ©e qui fit pousser des cris. A la base, d'abord, c'Ă©tait un carrĂ© de carton bleu figurant un temple avec portiques, colonnades et statuettes de stuc tout autour, dans des niches constellĂ©es d'Ă©toiles en papier dorĂ© ; puis se tenait au second Ă©tage un donjon en gĂÂąteau de Savoie, entourĂ© de menues fortifications en angĂ©lique, amandes, raisins secs, quartiers d'oranges ; et enfin, sur la plate-forme supĂ©rieure, qui Ă©tait une prairie verte oĂÂč il y avait des rochers avec des lacs de confitures et des bateaux en Ă©cales de noisettes, on voyait un petit Amour, se balançant Ă une escarpolette de chocolat, dont les deux poteaux Ă©taient terminĂ©s par deux boutons de rose naturels, en guise de boules, au sommet. Jusqu'au soir, on mangea. Quand on Ă©tait trop fatiguĂ© d'ĂÂȘtre assis, on allait se promener dans les cours ou jouer une partie de bouchon dans la grange ; puis on revenait Ă table. Quelques-uns, vers la fin, s'y endormirent et ronflĂšrent. Mais, au cafĂ©, tout se ranima ; alors on entama des chansons, on fit des tours de force, on portait des poids, on passait sous son pouce, on essayait Ă soulever les charrettes sur ses Ă©paules, on disait des gaudrioles, on embrassait les dames. Le soir, pour partir, les chevaux gorgĂ©s d'avoine jusqu'aux naseaux, eurent du mal Ă entrer dans les brancards ; ils ruaient, se cabraient, les harnais se cassaient, leurs maĂtres juraient ou riaient ; et toute la nuit, au clair de la lune, par les routes du pays, il y eut des carrioles emportĂ©es qui couraient au grand galop, bondissant dans les saignĂ©es, sautant par-dessus les mĂštres de cailloux, s'accrochant aux talus, avec des femmes qui se penchaient en dehors de la portiĂšre pour saisir les guides. Ceux qui restĂšrent aux Bertaux passĂšrent la nuit Ă boire dans la cuisine. Les enfants s'Ă©taient endormis sous les bancs. La mariĂ©e avait suppliĂ© son pĂšre qu'on lui Ă©pargnĂÂąt les plaisanteries d'usage. Cependant, un mareyeur de leurs cousins qui mĂÂȘme avait apportĂ©, comme prĂ©sent de noces, une paire de soles commençait Ă souffler de l'eau avec sa bouche par le trou de la serrure, quand le pĂšre Rouault arriva juste Ă temps pour l'en empĂÂȘcher, et lui expliqua que la position grave de son gendre ne permettait pas de telles inconvenances. Le cousin, toutefois, cĂ©da difficilement Ă ces raisons. En dedans de lui-mĂÂȘme, il accusa le pĂšre Rouault d'ĂÂȘtre fier, et il alla se joindre dans un coin Ă quatre ou cinq autres des invitĂ©s qui, ayant eu par hasard plusieurs fois de suite Ă table les bas morceaux des viandes, trouvaient aussi qu'on les avait mal reçus, chuchotaient sur le compte de leur hĂÂŽte et souhaitaient sa ruine Ă mots couverts. Madame Bovary mĂšre n'avait pas desserrĂ© les dents de la journĂ©e. On ne l'avait consultĂ©e ni sur la toilette de la bru, ni sur l'ordonnance du festin ; elle se retira de bonne heure. Son Ă©poux, au lieu de la suivre, envoya chercher des cigares Ă Saint-Victor et fuma jusqu'au jour, tout en buvant des grogs au kirsch, mĂ©lange inconnu Ă la campagne, et qui fut pour lui comme la source d'une considĂ©ration plus grande encore. Charles n'Ă©tait point de complexion facĂ©tieuse, il n'avait pas brillĂ© pendant la noce. Il rĂ©pondit mĂ©diocrement aux pointes, calembours, mots Ă double entente, compliments et paillardises que l'on se fit un devoir de lui dĂ©cocher dĂšs le potage. Le lendemain, en revanche, il semblait un autre homme. C'est lui plutĂÂŽt que l'on eĂ»t pris pour la vierge de la veille, tandis que la mariĂ©e ne laissait rien dĂ©couvrir oĂÂč l'on pĂ»t deviner quelque chose. Les plus malins ne savaient que rĂ©pondre, et ils la considĂ©raient, quand elle passait prĂšs d'eux, avec des tensions d'esprit dĂ©mesurĂ©es. Mais Charles ne dissimulait rien. Il l'appelait " ma femme " , la tutoyait, s'informait d'elle Ă chacun, la cherchait partout, et souvent il l'entraĂnait dans les cours, oĂÂč on l'apercevait de loin, entre les arbres, qui lui passait le bras sous la taille et continuait Ă marcher Ă demi penchĂ© sur elle, en lui chiffonnant avec sa tĂÂȘte la guimpe de son corsage. Deux jours aprĂšs la noce, les Ă©poux s'en allĂšrent Charles, Ă cause de ses malades, ne pouvait s'absenter plus longtemps. Le pĂšre Rouault les fit reconduire dans sa carriole et les accompagna lui-mĂÂȘme jusqu'Ă Vassonville. LĂ , il embrassa sa fille une derniĂšre fois, mit pied Ă terre et reprit sa route. Lorsqu'il eut fait cent pas environ, il s'arrĂÂȘta, et, comme il vit la carriole s'Ă©loignant, dont les roues tournaient dans la poussiĂšre, il poussa un gros soupir. Puis il se rappela ses noces, son temps d'autrefois, la premiĂšre grossesse de sa femme ; il Ă©tait bien joyeux, lui aussi, le jour qu'il l'avait emmenĂ©e de chez son pĂšre dans sa maison, quand il la portait en croupe en trottant sur la neige ; car on Ă©tait aux environs de NoĂl et la campagne Ă©tait toute blanche ; elle le tenait par un bras, Ă l'autre Ă©tait accrochĂ© son panier ; le vent agitait les longues dentelles de sa coiffure cauchoise, qui lui passaient quelquefois sur la bouche, et, lorsqu'il tournait la tĂÂȘte, il voyait prĂšs de lui, sur son Ă©paule, sa petite mine rosĂ©e qui souriait silencieusement, sous la plaque d'or de son bonnet. Pour se rĂ©chauffer les doigts, elle les lui mettait, de temps en temps, dans la poitrine. Comme c'Ă©tait vieux tout cela ! Leur fils, Ă prĂ©sent, aurait trente ans ! Alors il regarda derriĂšre lui, il n'aperçut rien sur la route. Il se sentit triste comme une maison dĂ©meublĂ©e ; et, les souvenirs tendres se mĂÂȘlant aux pensĂ©es noires dans sa cervelle obscurcie par les vapeurs de la bombance, il eut bien envie un moment d'aller faire un tour du cĂÂŽtĂ© de l'Ă©glise. Comme il eut peur, cependant, que cette vue ne le rendĂt plus triste encore, il s'en revint tout droit chez lui. M. et madame Charles arrivĂšrent Ă Tostes, vers six heures. Les voisins se mirent aux fenĂÂȘtres pour voir la nouvelle femme de leur mĂ©decin. La vieille bonne se prĂ©senta, lui fit ses salutations, s'excusa de ce que le dĂner n'Ă©tait pas prĂÂȘt, et engagea Madame, en attendant, Ă prendre connaissance de sa maison. V. La façade de briques Ă©tait juste Ă l'alignement de la rue, ou de la route plutĂÂŽt. DerriĂšre la porte se trouvaient accrochĂ©s un manteau Ă petit collet, une bride, une casquette de cuir noir, et, dans un coin, Ă terre, une paire de houseaux encore couverts de boue sĂšche. A droite Ă©tait la salle, c'est-Ă -dire l'appartement oĂÂč l'on mangeait et oĂÂč l'on se tenait. Un papier jaune-serin, relevĂ© dans le haut par une guirlande de fleurs pĂÂąles, tremblait tout entier sur sa toile mal tendue ; et sur l'Ă©troit chambranle de la cheminĂ©e resplendissait une pendule Ă tĂÂȘte d'Hippocrate, entre deux flambeaux d'argent plaquĂ©, sous des globes de forme ovale. De l'autre cĂÂŽtĂ© du corridor Ă©tait le cabinet de Charles, petite piĂšce de six pas de large environ, avec une table, trois chaises et un fauteuil de bureau. Les tomes du Dictionnaire des sciences mĂ©dicales , non coupĂ©s, mais dont la brochure avait souffert dans toutes les ventes successives par oĂÂč ils avaient passĂ©, garnissaient presque Ă eux seuls, les six rayons d'une bibliothĂšque en bois de sapin. L'odeur des roux pĂ©nĂ©trait Ă travers la muraille, pendant les consultations, de mĂÂȘme que l'on entendait de la cuisine, les malades tousser dans le cabinet et dĂ©biter toute leur histoire. Venait ensuite, s'ouvrant immĂ©diatement sur la cour, oĂÂč se trouvait l'Ă©curie, une grande piĂšce dĂ©labrĂ©e qui avait un four, et qui servait maintenant de bĂ»cher, de cellier, de garde-magasin, pleine de vieilles ferrailles, de tonneaux vides, d'instruments de culture hors de service, avec quantitĂ© d'autres choses poussiĂ©reuses dont il Ă©tait impossible de deviner l'usage. Le jardin, plus long que large, allait, entre deux murs de bauge couverts d'abricots en espalier, jusqu'Ă une haie d'Ă©pines qui le sĂ©parait des champs. Il y avait au milieu un cadran solaire en ardoise, sur un piĂ©destal de maçonnerie ; quatre plates-bandes garnies d'Ă©glantiers maigres entouraient symĂ©triquement le carrĂ© plus utile des vĂ©gĂ©tations sĂ©rieuses. Tout au fond, sous les sapinettes, un curĂ© de plĂÂątre lisait son brĂ©viaire. Emma monta dans les chambres. La premiĂšre n'Ă©tait point meublĂ©e ; mais la seconde, qui Ă©tait la chambre conjugale, avait un lit d'acajou dans une alcĂÂŽve Ă draperie rouge. Une boĂte en coquillages dĂ©corait la commode ; et, sur le secrĂ©taire, prĂšs de la fenĂÂȘtre, il y avait, dans une carafe, un bouquet de fleurs d'oranger, nouĂ© par des rubans de satin blanc. C'Ă©tait un bouquet de mariĂ©e, le bouquet de l'autre ! Elle le regarda. Charles s'en aperçut, il le prit et l'alla porter au grenier, tandis qu'assise dans un fauteuil on disposait ses affaires autour d'elle , Emma songeait Ă son bouquet de mariage, qui Ă©tait emballĂ© dans un carton, et se demandait, en rĂÂȘvant, ce qu'on en ferait, si par hasard elle venait Ă mourir. Elle s'occupa, les premiers jours, Ă mĂ©diter des changements dans sa maison. Elle retira les globes des flambeaux, fit coller des papiers neufs, repeindre l'escalier et faire des bancs dans le jardin, tout autour du cadran solaire ; elle demanda mĂÂȘme comment s'y prendre pour avoir un bassin Ă jet d'eau avec des poissons. Enfin son mari, sachant qu'elle aimait Ă se promener en voiture, trouva un boc d'occasion, qui, ayant une fois des lanternes neuves et des garde-crotte en cuir piquĂ©, ressembla presque Ă un tilbury. Il Ă©tait donc heureux et sans souci de rien au monde. Un repas en tĂÂȘte-Ă -tĂÂȘte, une promenade le soir sur la grande route, un geste de sa main sur ses bandeaux, la vue de son chapeau de paille rond accrochĂ© Ă l'espagnolette d'une fenĂÂȘtre, et bien d'autres choses encore oĂÂč Charles n'avait jamais soupçonnĂ© de plaisir, composaient maintenant la continuitĂ© de son bonheur. Au lit, le matin, et cĂÂŽte Ă cĂÂŽte sur l'oreiller, il regardait la lumiĂšre du soleil passer parmi le duvet de ses joues blondes, que couvraient Ă demi les pattes escalopĂ©es de son bonnet. Vus de si prĂšs, ses yeux lui paraissaient agrandis, surtout quand elle ouvrait plusieurs fois de suite ses paupiĂšres en s'Ă©veillant ; noirs Ă l'ombre et bleu foncĂ© au grand jour, ils avaient comme des couches de couleurs successives, et qui plus Ă©paisses dans le fond, allaient en s'Ă©claircissant vers la surface de l'Ă©mail. Son oeil, Ă lui, se perdait dans ces profondeurs, et il s'y voyait en petit jusqu'aux Ă©paules, avec le foulard qui le coiffait et le haut de sa chemise entrouvert. Il se levait. Elle se mettait Ă la fenĂÂȘtre pour le voir partir ; et elle restait accoudĂ©e sur le bord, entre deux pots de gĂ©raniums, vĂÂȘtue de son peignoir, qui Ă©tait lĂÂąche autour d'elle. Charles, dans la rue, bouclait ses Ă©perons sur la borne ; et elle continuait Ă lui parler d'en haut, tout en arrachant avec sa bouche quelque bribe de fleur ou de verdure qu'elle soufflait vers lui, et qui voltigeant, se soutenant, faisant dans l'air des demi-cercles comme un oiseau, allait, avant de tomber, s'accrocher aux crins mal peignĂ©s de la vieille jument blanche, immobile Ă la porte. Charles, Ă cheval, lui envoyait un baiser ; elle rĂ©pondait par un signe, elle refermait la fenĂÂȘtre, il partait. Et alors, sur la grande route qui Ă©tendait sans en finir son long ruban de poussiĂšre, par les chemins creux oĂÂč les arbres se courbaient en berceaux, dans les sentiers dont les blĂ©s lui montaient jusqu'aux genoux, avec le soleil sur ses Ă©paules et l'air du matin Ă ses narines, le coeur plein des fĂ©licitĂ©s de la nuit, l'esprit tranquille, la chair contente, il s'en allait ruminant son bonheur, comme ceux qui mĂÂąchent encore, aprĂšs dĂner, le goĂ»t des truffes qu'ils digĂšrent. Jusqu'Ă prĂ©sent, qu'avait-il eu de bon dans l'existence ? Etait-ce son temps de collĂšge, oĂÂč il restait enfermĂ© entre ces hauts murs, seul au milieu de ses camarades plus riches ou plus forts que lui dans leurs classes, qu'il faisait rire par son accent, qui se moquaient de ses habits, et dont les mĂšres venaient au parloir avec des pĂÂątisseries dans leur manchon ? Etait-ce plus tard, lorsqu'il Ă©tudiait la mĂ©decine et n'avait jamais la bourse assez ronde pour payer la contredanse Ă quelque petite ouvriĂšre qui fĂ»t devenue sa maĂtresse ? Ensuite il avait vĂ©cu pendant quatorze mois avec la veuve, dont les pieds, dans le lit, Ă©taient froids comme des glaçons. Mais, Ă prĂ©sent, il possĂ©dait pour la vie cette jolie femme qu'il adorait. L'univers, pour lui, n'excĂ©dait pas le tour soyeux de son jupon ; et il se reprochait de ne pas l'aimer, il avait envie de la revoir ; il s'en revenait vite, montait l'escalier, le coeur battant. Emma, dans sa chambre, Ă©tait Ă faire sa toilette ; il arrivait Ă pas muets, il la baisait dans le dos, elle poussait un cri. Il ne pouvait se retenir de toucher continuellement Ă son peigne, Ă ses bagues, Ă son fichu ; quelquefois, il lui donnait sur les joues de gros baisers Ă pleine bouche, ou c'Ă©taient de petits baisers Ă la file tout le long de son bras nu, depuis le bout des doigts jusqu'Ă l'Ă©paule ; et elle le repoussait, Ă demi souriante et ennuyĂ©e, comme on fait Ă un enfant qui se pend aprĂšs vous. Avant qu'elle se mariĂÂąt, elle avait cru avoir de l'amour ; mais le bonheur qui aurait dĂ» rĂ©sulter de cet amour n'Ă©tant pas venu, il fallait qu'elle se fĂ»t trompĂ©e, songea-t-elle. Et Emma cherchait Ă savoir ce que l'on entendait au juste dans la vie par les mots de fĂ©licitĂ©, de passion et d'ivresse , qui lui avaient paru si beaux dans les livres. VI. Elle avait lu Paul et Virginie et elle avait rĂÂȘvĂ© la maisonnette de bambous, le nĂšgre Domingo, le chien FidĂšle, mais surtout l'amitiĂ© douce de quelque bon petit frĂšre, qui va chercher pour vous des fruits rouges dans des grands arbres plus hauts que des clochers, ou qui court pieds nus sur le sable, vous apportant un nid d'oiseau. Lorsqu'elle eut treize ans, son pĂšre l'amena lui-mĂÂȘme Ă la ville, pour la mettre au couvent. Ils descendirent dans une auberge du quartier Saint-Gervais oĂÂč ils eurent Ă leur souper des assiettes peintes qui reprĂ©sentaient l'histoire de mademoiselle de la ValliĂšre. Les explications lĂ©gendaires, coupĂ©es çà et lĂ par l'Ă©gratignure des couteaux, glorifiaient toutes la religion, les dĂ©licatesses du coeur et les pompes de la Cour. Loin de s'ennuyer au couvent les premiers temps, elle se plut dans la sociĂ©tĂ© des bonnes soeurs, qui, pour l'amuser, la conduisaient dans la chapelle, oĂÂč l'on pĂ©nĂ©trait du rĂ©fectoire par un long corridor. Elle jouait fort peu durant les rĂ©crĂ©ations, comprenait bien le catĂ©chisme, et c'est elle qui rĂ©pondait toujours Ă M. le vicaire dans les questions difficiles. Vivant donc sans jamais sortir de la tiĂšde atmosphĂšre des classes et parmi ces femmes au teint blanc portant des chapelets Ă croix de cuivre, elle s'assoupit doucement Ă la langueur mystique qui s'exhale des parfums de l'autel, de la fraĂcheur des bĂ©nitiers et du rayonnement des cierges. Au lieu de suivre la messe, elle regardait dans son livre les vignettes pieuses bordĂ©es d'azur, et elle aimait la brebis malade, le SacrĂ©-Coeur percĂ© de flĂšches aiguĂs, oĂÂč le pauvre JĂ©sus, qui tombe en marchant sur sa croix. Elle essaya, par mortification, de rester tout un jour sans manger. Elle cherchait dans sa tĂÂȘte quelque voeu Ă accomplir. Quand elle allait Ă confesse, elle inventait de petits pĂ©chĂ©s afin de rester lĂ plus longtemps, Ă genoux dans l'ombre, les mains jointes, le visage Ă la grille sous le chuchotement du prĂÂȘtre. Les comparaisons de fiancĂ©, d'Ă©poux, d'amant cĂ©leste et de mariage Ă©ternel qui reviennent dans les sermons lui soulevaient au fond de l'ĂÂąme des douceurs inattendues. Le soir, avant la priĂšre, on faisait dans l'Ă©tude une lecture religieuse. C'Ă©tait, pendant la semaine, quelque rĂ©sumĂ© d'Histoire Sainte ou les ConfĂ©rences, de l'abbĂ© Frayssinous, et, le dimanche, des passages du GĂ©nie du Christianisme par rĂ©crĂ©ation. Comme elle Ă©couta, les premiĂšres fois, la lamentation sonore des mĂ©lancolies romantiques se rĂ©pĂ©tant Ă tous les Ă©chos de la terre et de l'Ă©ternitĂ© ! Si son enfance se fĂ»t Ă©coulĂ©e dans l'arriĂšre-boutique d'un quartier marchand, elle se serait peut-ĂÂȘtre ouverte alors aux envahissements lyriques de la nature, qui, d'ordinaire, ne nous arrivent que par la traduction des Ă©crivains. Mais elle connaissait trop la campagne ; elle savait le bĂÂȘlement des troupeaux, les laitages, les charrues. HabituĂ©e aux aspects calmes, elle se tournait, au contraire, vers les accidentĂ©s. Elle n'aimait la mer qu'Ă cause de ses tempĂÂȘtes, et la verdure seulement lorsqu'elle Ă©tait clairsemĂ©e parmi les ruines. Il fallait qu'elle pĂ»t retirer des choses une sorte de profit personnel ; et elle rejetait comme inutile tout ce qui ne contribuait pas Ă la consommation immĂ©diate de son coeur, - Ă©tant de tempĂ©rament plus sentimentale qu'artiste, cherchant des Ă©motions et non des paysages. Il y avait au couvent une vieille fille qui venait tous les mois, pendant huit jours, travailler Ă la lingerie. ProtĂ©gĂ©e par l'archevĂÂȘchĂ© comme appartenant Ă une ancienne famille de gentilshommes ruinĂ©s sous la RĂ©volution, elle mangeait au rĂ©fectoire Ă la table des bonnes soeurs, et faisait avec elles, aprĂšs le repas, un petit bout de causette avant de remonter Ă son ouvrage. Souvent les pensionnaires s'Ă©chappaient de l'Ă©tude pour l'aller voir. Elle savait par coeur des chansons galantes du siĂšcle passĂ©, qu'elle chantait Ă demi-voix, tout en poussant son aiguille. Elle contait des histoires, vous apprenait des nouvelles, faisait en ville vos commissions, et prĂÂȘtait aux grandes, en cachette, quelque roman, qu'elle avait toujours dans les poches de son tablier, et dont la bonne demoiselle elle-mĂÂȘme avalait de longs chapitres, dans les intervalles de sa besogne. Ce n'Ă©taient qu'amours, amants, amantes, dames persĂ©cutĂ©es s'Ă©vanouissant dans des pavillons solitaires, postillons qu'on tue Ă tous les relais, chevaux qu'on crĂšve Ă toutes les pages, forĂÂȘts sombres, troubles du coeur, serments, sanglots, larmes et baisers nacelles au clair de lune rossignols dans les bosquets, messieurs braves comme des lions, doux comme des agneaux, vertueux comme on ne l'est pas, toujours bien mis, et qui pleurent comme des urnes. Pendant six mois, Ă quinze ans, Emma se graissa donc les mains Ă cette poussiĂšre des vieux cabinets de lecture. Avec Walter Scott, plus tard, elle s'Ă©prit de choses historiques, rĂÂȘva bahuts, salle des gardes et mĂ©nestrels. Elle aurait voulu vivre dans quelque vieux manoir, comme ces chĂÂątelaines au long corsage, qui, sous le trĂšfle des ogives, passaient leurs jours, le coude sur la pierre et le menton dans la main, Ă regarder venir du fond de la campagne un cavalier Ă plume blanche qui galope sur un cheval noir. Elle eut dans ce temps-lĂ le culte de Marie Stuart, et des vĂ©nĂ©rations enthousiastes Ă l'endroit des femmes illustres ou infortunĂ©es. Jeanne d'Arc, HĂ©loĂÂŻse, AgnĂšs Sorel, la belle FerronniĂšre et ClĂ©mence Isaure, pour elle, se dĂ©tachaient comme des comĂštes sur l'immensitĂ© tĂ©nĂ©breuse de l'histoire, oĂÂč saillissaient encore çà et lĂ , mais plus perdus dans l'ombre et sans aucun rapport entre eux, Saint Louis avec son chĂÂȘne, Bayard mourant, quelques fĂ©rocitĂ©s de Louis XI, un peu de Saint-BarthĂ©lemy, le panache du BĂ©arnais, et toujours le souvenir des assiettes peintes oĂÂč Louis XIV Ă©tait vantĂ©. A la classe de musique, dans les romances qu'elle chantait, il n'Ă©tait question que de petits anges aux ailes d'or, de madones, de lagunes, de gondoliers, pacifiques compositions qui lui laissaient entrevoir, Ă travers la niaiserie du style et les imprudences de la note, l'attirante fantasmagorie des rĂ©alitĂ©s sentimentales. Quelques-unes de ses camarades apportaient au couvent les keepsakes qu'elles avaient reçus en Ă©trennes. Il les fallait cacher, c'Ă©tait une affaire ; on les lisait au dortoir. Maniant dĂ©licatement leurs belles reliures de satin, Emma fixait ses regards Ă©blouis sur le nom des auteurs inconnus qui avaient signĂ©, le plus souvent, comtes ou vicomtes, au bas de leurs piĂšces. Elle frĂ©missait, en soulevant de son haleine le papier de soie des gravures, qui se levait Ă demi pliĂ© et retombait doucement contre la page. C'Ă©tait derriĂšre la balustrade d'un balcon, un jeune homme en court manteau qui serrait dans ses bras une jeune fille en robe blanche, portant une aumĂÂŽniĂšre Ă sa ceinture ; ou bien les portraits anonymes des ladies anglaises Ă boucles blondes, qui, sous leur chapeau de paille vous regardent avec leurs grands yeux clairs. On en voyait d'Ă©talĂ©es dans des voitures, glissant au milieu des parcs, oĂÂč un lĂ©vrier sautait devant l'attelage que conduisaient au trot deux petits postillons en culotte blanche. D'autres, rĂÂȘvant sur des sofas prĂšs d'un billet dĂ©cachetĂ©, contemplaient la lune, par la fenĂÂȘtre entrouverte, Ă demi drapĂ©e d'un rideau noir. Les naĂÂŻves, une larme sur la joue, becquetaient une tourterelle Ă travers les barreaux d'une cage gothique, ou, souriant la tĂÂȘte sur l'Ă©paule, effeuillaient une marguerite de leurs doigts pointus, retroussĂ©s comme des souliers Ă la poulaine. Et vous y Ă©tiez aussi, sultans Ă longues pipes, pĂÂąmĂ©s sous des tonnelles, aux bras des bayadĂšres, djiaours, sabres turcs, bonnets grecs, et vous surtout, paysages blafards des contrĂ©es dithyrambiques, qui souvent nous montrez Ă la fois des palmiers, des sapins, des tigres Ă droite, un lion Ă gauche, des minarets tartares Ă l'horizon, au premier plan des ruines romaines, puis des chameaux accroupis ; - le tout encadrĂ© d'une forĂÂȘt vierge bien nettoyĂ©e, et avec un grand rayon de soleil perpendiculaire tremblotant dans l'eau, oĂÂč se dĂ©tachent en Ă©corchures blanches, sur un fond d'acier gris, de loin en loin, des cygnes qui nagent. Et l'abat-jour du quinquet, accrochĂ© dans la muraille au-dessus de la tĂÂȘte d'Emma, Ă©clairait tous ces tableaux du monde, qui passaient devant elle les uns aprĂšs les autres, dans le silence du dortoir et au bruit lointain de quelque fiacre attardĂ© qui roulait encore sur les boulevards. Quand sa mĂšre mourut, elle pleura beaucoup les premiers jours. Elle se fit faire un tableau funĂšbre avec les cheveux de la dĂ©funte, et, dans une lettre qu'elle envoyait aux Bertaux, toute pleine de rĂ©flexions tristes sur la vie, elle demandait qu'on l'ensevelĂt plus tard dans le mĂÂȘme tombeau. Le bonhomme la crut malade et vint la voir. Emma fut intĂ©rieurement satisfaite de se sentir arrivĂ©e du premier coup Ă ce rare idĂ©al des existences pĂÂąles, oĂÂč ne parviennent jamais les coeurs mĂ©diocres. Elle se laissa donc glisser dans les mĂ©andres lamartiniens, Ă©couta les harpes sur les lacs, tous les chants de cygnes mourants, toutes les chutes de feuilles, les vierges pures qui montent au ciel, et la voix de l'Eternel discourant dans les vallons. Elle s'en ennuya, n'en voulut point convenir, continua par habitude, ensuite par vanitĂ©, et fut enfin surprise de se sentir apaisĂ©e, et sans plus de tristesse au coeur que de rides sur son front. Les bonnes religieuses, qui avaient si bien prĂ©sumĂ© de sa vocation, s'aperçurent avec de grands Ă©tonnements que mademoiselle Rouault semblait Ă©chapper Ă leur soin. Elles lui avaient, en effet, tant prodiguĂ© les offices, les retraites, les neuvaines et les sermons, si bien prĂÂȘchĂ© le respect que l'on doit aux saints et aux martyrs, et donnĂ© tant de bons conseils pour la modestie du corps et le salut de son ĂÂąme, qu'elle fit comme les chevaux que l'on tire par la bride elle s'arrĂÂȘta court et le mors lui sortit des dents. Cet esprit, positif au milieu de ses enthousiasmes, qui avait aimĂ© l'Ă©glise pour ses fleurs, la musique pour les paroles des romances, et la littĂ©rature pour ses excitations passionnelles, s'insurgeait devant les mystĂšres de la foi, de mĂÂȘme qu'elle s'irritait davantage contre la discipline, qui Ă©tait quelque chose d'antipathique Ă sa constitution. Quand son pĂšre la retira de pension, on ne fut point fĂÂąchĂ© de la voir partir. La supĂ©rieure trouvait mĂÂȘme qu'elle Ă©tait devenue, dans les derniers temps, peu rĂ©vĂ©rencieuse envers la communautĂ©. Emma, rentrĂ©e chez elle, se plut d'abord au commandement des domestiques, prit ensuite la campagne en dĂ©goĂ»t et regretta son couvent. Quand Charles vint aux Bertaux pour la premiĂšre fois, elle se considĂ©rait comme fort dĂ©sillusionnĂ©e, n'ayant plus rien Ă apprendre, ne devant plus rien sentir. Mais l'anxiĂ©tĂ© d'un Ă©tat nouveau, ou peut-ĂÂȘtre l'irritation causĂ©e par la prĂ©sence de cet homme, avait suffi Ă lui faire croire qu'elle possĂ©dait enfin cette passion merveilleuse qui jusqu'alors s'Ă©tait tenue comme un grand oiseau au plumage rose planant dans la splendeur des ciels poĂ©tiques ; - et elle ne pouvait s'imaginer Ă prĂ©sent que ce calme oĂÂč elle vivait fĂ»t le bonheur qu'elle avait rĂÂȘvĂ©. VII. Elle songeait quelquefois que c'Ă©taient lĂ pourtant les plus beaux jours de sa vie, la lune de miel, comme on disait. Pour en goĂ»ter la douceur, il eĂ»t fallu, sans doute, s'en aller vers ces pays Ă noms sonores oĂÂč les lendemains de mariage ont de plus suaves paresses ! Dans des chaises de poste, sous des stores de soie bleue, on monte au pas des routes escarpĂ©es, Ă©coutant la chanson du postillon, qui se rĂ©pĂšte dans la montagne avec les clochettes des chĂšvres et le bruit sourd de la cascade. Quand le soleil se couche, on respire au bord des golfes le parfum des citronniers ; puis, le soir, sur la terrasse des villas, seuls et les doigts confondus, on regarde les Ă©toiles en faisant des projets. Il lui semblait que certains lieux sur la terre devaient produire du bonheur, comme une plante particuliĂšre au sol et qui pousse mal tout autre part. Que ne pouvait-elle s'accouder sur le balcon des chalets suisses ou enfermer sa tristesse dans un cottage Ă©cossais, avec un mari vĂÂȘtu d'un habit de velours noir Ă longues basques, et qui porte des bottes molles, un chapeau pointu et des manchettes ! Peut-ĂÂȘtre aurait-elle souhaitĂ© faire Ă quelqu'un la confidence de toutes ces choses. Mais comment dire un insaisissable malaise, qui change d'aspect comme les nuĂ©es, qui tourbillonne comme le vent ? Les mots lui manquaient donc, l'occasion, la hardiesse. Si Charles l'avait voulu cependant, s'il s'en fĂ»t doutĂ©, si son regard, une seule fois, fĂ»t venu Ă la rencontre de sa pensĂ©e, il lui semblait qu'une abondance subite se serait dĂ©tachĂ©e de son coeur, comme tombe la rĂ©colte d'un espalier quand on y porte la main. Mais, Ă mesure que se serrait davantage l'intimitĂ© de leur vie, un dĂ©tachement intĂ©rieur se faisait qui la dĂ©liait de lui. La conversation de Charles Ă©tait plate comme un trottoir de rue, et les idĂ©es de tout le monde y dĂ©filaient dans leur costume ordinaire, sans exciter d'Ă©motion, de rire ou de rĂÂȘverie. Il n'avait jamais Ă©tĂ© curieux, disait-il, pendant qu'il habitait Rouen, d'aller voir au thĂ©ĂÂątre les acteurs de Paris. Il ne savait ni nager, ni faire des armes, ni tirer le pistolet, et il ne put, un jour, lui expliquer un terme d'Ă©quitation qu'elle avait rencontrĂ© dans un roman. Un homme, au contraire, ne devait-il pas tout connaĂtre, exceller en des activitĂ©s multiples, vous initier aux Ă©nergies de la passion, aux raffinements de la vie, Ă tous les mystĂšres ? Mais il n'enseignait rien, celui-lĂ , ne savait rien, ne souhaitait rien. Il la croyait heureuse ; et elle lui en voulait de ce calme si bien assis, de cette pesanteur sereine, du bonheur mĂÂȘme qu'elle lui donnait. Elle dessinait quelquefois ; et c'Ă©tait pour Charles un grand amusement que de rester lĂ , tout debout, Ă la regarder penchĂ©e sur son carton, clignant des yeux afin de mieux voir son ouvrage, ou arrondissant, sur son pouce, des boulettes de mie de pain. Quant au piano, plus les doigts y couraient vite, plus il s'Ă©merveillait. Elle frappait sur les touches avec aplomb, et parcourait du haut en bas tout le clavier sans s'interrompre. Ainsi secouĂ© par elle, le vieil instrument, dont les cordes frisaient, s'entendait jusqu'au bout du village si la fenĂÂȘtre Ă©tait ouverte, et souvent le clerc de l'huissier qui passait sur la grande route, nu-tĂÂȘte et en chaussons, s'arrĂÂȘtait Ă l'Ă©couter, sa feuille de papier Ă la main. Emma, d'autre part, savait conduire sa maison. Elle envoyait aux malades le compte des visites dans des lettres bien tournĂ©es qui ne sentaient pas la facture. Quand ils avaient, le dimanche, quelque voisin Ă dĂner, elle trouvait moyen d'offrir un plat coquet, s'entendait Ă poser sur des feuilles de vigne les pyramides de reines-claudes, servait renversĂ©s les pots de confitures dans une assiette, et mĂÂȘme elle parlait d'acheter des rince-bouche pour le dessert. Il rejaillissait de tout cela beaucoup de considĂ©ration sur Bovary. Charles finissait par s'estimer davantage de ce qu'il possĂ©dait une pareille femme. Il montrait avec orgueil, dans la salle, deux petits croquis d'elle, Ă la mine de plomb, qu'il avait fait encadrer de cadres trĂšs larges et suspendus contre le papier de la muraille Ă de longs cordons verts. Au sortir de la messe, on le voyait sur sa porte avec de belles pantoufles en tapisserie. Il rentrait tard, Ă dix heures, minuit quelquefois. Alors il demandait Ă manger, et, comme la bonne Ă©tait couchĂ©e, c'Ă©tait Emma qui le servait. Il retirait sa redingote pour dĂner plus Ă son aise. Il disait les uns aprĂšs les autres tous les gens qu'il avait rencontrĂ©s, les villages oĂÂč il avait Ă©tĂ©, les ordonnances qu'il avait Ă©crites, et satisfait de lui-mĂÂȘme, il mangeait le reste du miroton, Ă©pluchait son fromage, croquait une pomme, vidait sa carafe, puis s'allait mettre au lit, se couchait sur le dos et ronflait. Comme il avait eu longtemps l'habitude du bonnet de coton, son foulard ne lui tenait pas aux oreilles ; aussi ses cheveux, le matin, Ă©taient rabattus pĂÂȘle-mĂÂȘle sur sa figure et blanchis par le duvet de son oreiller, dont les cordons se dĂ©nouaient pendant la nuit. Il portait toujours de fortes bottes, qui avaient au cou-de-pied deux plis Ă©pais obliquant vers les chevilles, tandis que le reste de l'empeigne se continuait en ligne droite, tendu comme par un pied de bois. Il disait que c'Ă©tait bien assez bon pour la campagne . Sa mĂšre l'approuvait en cette Ă©conomie ; car elle le venait voir comme autrefois, lorsqu'il y avait eu chez elle quelque bourrasque un peu violente ; et cependant madame Bovary mĂšre semblait prĂ©venue contre sa bru. Elle lui trouvait un genre trop relevĂ© pour leur position de fortune ; le bois, le sucre et la chandelle filaient comme dans une grande maison , et la quantitĂ© de braise qui se brĂ»lait Ă la cuisine aurait suffi pour vingt-cinq plats ! Elle rangeait son linge dans les armoires et lui apprenait Ă surveiller le boucher quand il apportait la viande. Emma recevait ces leçons ; madame Bovary les prodiguait ; et les mots de ma fille et de ma mĂšre s'Ă©changeaient tout le long du jour, accompagnĂ©s d'un petit frĂ©missement des lĂšvres, chacune lançant des paroles douces d'une voix tremblante de colĂšre. Du temps de madame Dubuc, la vieille femme se sentait encore la prĂ©fĂ©rĂ©e ; mais, Ă prĂ©sent, l'amour de Charles pour Emma lui semblait une dĂ©sertion de sa tendresse, un envahissement sur ce qui lui appartenait ; et elle observait le bonheur de son fils avec un silence triste, comme quelqu'un de ruinĂ© qui regarde, Ă travers les carreaux, des gens attablĂ©s dans son ancienne maison. Elle lui rappelait, en maniĂšre de souvenirs, ses peines et ses sacrifices, et, les comparant aux nĂ©gligences d'Emma, concluait qu'il n'Ă©tait point raisonnable de l'adorer d'une façon si exclusive. Charles ne savait que rĂ©pondre ; il respectait sa mĂšre, et il aimait infiniment sa femme ; il considĂ©rait le jugement de l'une comme infaillible, et cependant il trouvait l'autre irrĂ©prochable. Quand madame Bovary Ă©tait partie, il essayait de hasarder timidement, et dans les mĂÂȘmes termes, une ou deux des plus anodines observations qu'il avait entendu faire Ă sa maman ; Emma, lui prouvant d'un mot qu'il se trompait, le renvoyait Ă ses malades. Cependant, d'aprĂšs des thĂ©ories qu'elle croyait bonnes, elle voulut se donner de l'amour. Au clair de lune, dans le jardin, elle rĂ©citait tout ce qu'elle savait par coeur de rimes passionnĂ©es et lui chantait en soupirant des adagios mĂ©lancoliques ; mais elle se trouvait ensuite aussi calme qu'auparavant, et Charles n'en paraissait ni plus amoureux ni plus remuĂ©. Quand elle eut ainsi un peu battu le briquet sur son coeur sans en faire jaillir une Ă©tincelle, incapable, du reste, de comprendre ce qu'elle n'Ă©prouvait pas, comme de croire Ă tout ce qui ne se manifestait point par des formes convenues, elle se persuada sans peine que la passion de Charles n'avait plus rien d'exorbitant. Ses expansions Ă©taient devenues rĂ©guliĂšres ; il l'embrassait Ă de certaines heures. C'Ă©tait une habitude parmi les autres, et comme un dessert prĂ©vu d'avance, aprĂšs la monotonie du dĂner. Un garde-chasse, guĂ©ri par Monsieur, d'une fluxion de poitrine, avait donnĂ© Ă Madame une petite levrette d'Italie ; elle la prenait pour se promener, car elle sortait quelquefois, afin d'ĂÂȘtre seule un instant et de n'avoir plus sous les yeux l'Ă©ternel jardin avec la route poudreuse. Elle allait jusqu'Ă la hĂÂȘtraie de Banneville, prĂ©s du pavillon abandonnĂ© qui fait l'angle du mur, du cĂÂŽtĂ© des champs. Il y a dans le saut-de-loup, parmi les herbes, de longs roseaux Ă feuilles coupantes. Elle commençait par regarder tout alentour, pour voir si rien n'avait changĂ© depuis la derniĂšre fois qu'elle Ă©tait venue. Elle retrouvait aux mĂÂȘmes places les digitales et les ravenelles, les bouquets d'orties entourant les gros cailloux, et les plaques de lichen le long des trois fenĂÂȘtres, dont les volets toujours clos s'Ă©grenaient de pourriture, sur leurs barres de fer rouillĂ©es. Sa pensĂ©e, sans but d'abord, vagabondait au hasard, comme sa levrette, qui faisait des cercles dans la campagne, jappait aprĂšs les papillons jaunes, donnait la chasse aux musaraignes, ou mordillait les coquelicots sur le bord d'une piĂšce de blĂ©. Puis ses idĂ©es peu Ă peu se fixaient, et, assise sur le gazon, qu'elle fouillait Ă petits coups avec le bout de son ombrelle, Emma se rĂ©pĂ©tait - Pourquoi, mon Dieu ! me suis-je mariĂ©e ? Elle se demandait s'il n'y aurait pas eu moyen, par d'autres combinaisons du hasard, de rencontrer un autre homme ; et elle cherchait Ă imaginer quels eussent Ă©tĂ© ces Ă©vĂ©nements non survenus, cette vie diffĂ©rente, ce mari qu'elle ne connaissait pas. Tous, en effet, ne ressemblaient pas Ă celui-lĂ . Il aurait pu ĂÂȘtre beau, spirituel, distinguĂ©, attirant, tels qu'ils Ă©taient sans doute, ceux qu'avaient Ă©pousĂ©s ses anciennes camarades du couvent. Que faisaient-elles maintenant ? A la ville, avec le bruit des rues, le bourdonnement des thĂ©ĂÂątres et les clartĂ©s du bal, elles avaient des existences oĂÂč le coeur se dilate, oĂÂč les sens s'Ă©panouissent. Mais elle, sa vie Ă©tait froide comme un grenier dont la lucarne est au nord, et l'ennui, araignĂ©e silencieuse, filait sa toile dans l'ombre Ă tous les coins de son coeur. Elle se rappelait les jours de distribution de prix, oĂÂč elle montait sur l'estrade pour aller chercher ses petites couronnes. Avec ses cheveux en tresse, sa robe blanche et ses souliers de prunelles dĂ©couverts, elle avait une façon gentille, et les messieurs, quand elle regagnait sa place, se penchaient pour lui faire des compliments ; la cour Ă©tait pleine de calĂšches, on lui disait adieu par les portiĂšres, le maĂtre de musique passait en saluant, avec sa boĂte Ă violon. Comme c'Ă©tait loin, tout cela ! comme c'Ă©tait loin ! Elle appelait Djali, la prenait entre ses genoux, passait ses doigts sur sa longue tĂÂȘte fine et lui disait - Allons, baisez maĂtresse, vous qui n'avez pas de chagrins. Puis, considĂ©rant la mine mĂ©lancolique du svelte animal qui bĂÂąillait avec lenteur, elle s'attendrissait, et, le comparant Ă elle-mĂÂȘme, lui parlait tout haut, comme Ă quelqu'un d'affligĂ© que l'on console. Il arrivait parfois des rafales de vent, brises de la mer qui, roulant d'un bond sur tout le plateau du pays de Caux, apportaient, jusqu'au loin dans les champs, une fraĂcheur salĂ©e. Les joncs sifflaient Ă ras de terre, et les feuilles des hĂÂȘtres bruissaient en un frisson rapide, tandis que les cimes, se balançant toujours, continuaient leur grand murmure. Emma serrait son chĂÂąle contre ses Ă©paules et se levait. Dans l'avenue, un jour vert rabattu par le feuillage Ă©clairait la mousse rase qui craquait doucement sous ses pieds. Le soleil se couchait ; le ciel Ă©tait rouge entre les branches, et les troncs pareils des arbres plantĂ©s en ligne droite semblaient une colonnade brune se dĂ©tachant sur un fond d'or ; une peur la prenait, elle appelait Djali, s'en retournait vite Ă Tostes par la grande route, s'affaissait dans un fauteuil, et de toute la soirĂ©e ne parlait pas. Mais, vers la fin de septembre, quelque chose d'extraordinaire tomba dans sa vie elle fut invitĂ©e Ă la Vaubyessard, chez le marquis d'Andervilliers. SecrĂ©taire d'Etat sous la Restauration, le Marquis, cherchant Ă rentrer dans la vie politique, prĂ©parait de longue main sa candidature Ă la Chambre des dĂ©putĂ©s. Il faisait, l'hiver, de nombreuses distributions de fagots, et, au Conseil gĂ©nĂ©ral, rĂ©clamait avec exaltation toujours des routes pour son arrondissement. Il avait eu, lors des grandes chaleurs, un abcĂšs dans la bouche, dont Charles l'avait soulagĂ© comme par miracle, en y donnant Ă point un coup de lancette. L'homme d'affaires, envoyĂ© Ă Tostes pour payer l'opĂ©ration, conta, le soir, qu'il avait vu dans le jardinet du mĂ©decin des cerises superbes. Or, les cerisiers poussaient mal Ă la Vaubyessard, M. le Marquis demanda quelques boutures Ă Bovary, se fit un devoir de l'en remercier lui-mĂÂȘme, aperçut Emma, trouva qu'elle avait une jolie taille et qu'elle ne saluait point en paysanne ; si bien qu'on ne crut pas au chĂÂąteau outrepasser les bornes de la condescendance, ni d'autre part commettre une maladresse, en invitant le jeune mĂ©nage. Un mercredi, Ă trois heures, M. et madame Bovary, montĂ©s dans leur boc , partirent pour la Vaubyessard, avec une grande malle attachĂ©e par-derriĂšre et une boĂte Ă chapeau qui Ă©tait posĂ©e devant le tablier. Charles avait, de plus, un carton entre les jambes. Ils arrivĂšrent Ă la nuit tombante, comme on commençait Ă allumer des lampions dans le parc, afin d'Ă©clairer les voitures. VIII. Le chĂÂąteau, de construction moderne, Ă l'italienne avec deux ailes avançant et trois perrons, se dĂ©ployait au bas d'une immense pelouse oĂÂč paissaient quelques vaches, entre des bouquets de grands arbres espacĂ©s, tandis que des bannettes d'arbustes, rhododendrons, seringas et boules-de-neige bombaient leurs touffes de verdure inĂ©gales sur la ligne courbe du chemin sablĂ©. Une riviĂšre passait sous un pont ; Ă travers la brume, on distinguait des bĂÂątiments Ă toit de chaume, Ă©parpillĂ©s dans la prairie, que bordaient en pente douce deux coteaux couverts de bois, et par-derriĂšre, dans les massifs, se tenaient, sur deux lignes parallĂšles, les remises et les Ă©curies, restes conservĂ©s de l'ancien chĂÂąteau dĂ©moli. Le boc de Charles s'arrĂÂȘta devant le perron du milieu ; des domestiques parurent ; le Marquis s'avança, et, offrant son bras Ă la femme du mĂ©decin, l'introduisit dans le vestibule. Il Ă©tait pavĂ© de dalles en marbre, trĂšs haut, et le bruit des pas, avec celui des voix, y retentissait comme dans une Ă©glise. En face montait un escalier droit, et Ă gauche une galerie donnant sur le jardin conduisait Ă la salle de billard dont on entendait, dĂšs la porte, caramboler les boules d'ivoire. Comme elle la traversait pour aller au salon, Emma vit autour du jeu des hommes Ă figure grave, le menton posĂ© sur de hautes cravates, dĂ©corĂ©s tous, et qui souriaient silencieusement, en poussant leur queue. Sur la boiserie sombre du lambris, de grands cadres dorĂ©s portaient, au bas de leur bordure, des noms Ă©crits en lettres noires. Elle lut " Jean-Antoine d'Andervilliers d'Yverbonville, comte de la Vaubyessard et baron de la Fresnaye, tuĂ© Ă la bataille de Coutras, le 20 octobre 1587. " Et sur un autre " Jean-Antoine-Henry-Guy d'Andervilliers de la Vaubyessard, amiral de France et chevalier de l'ordre de Saint-Michel, blessĂ© au combat de la Hougue-Saint-Vaast, le 29 mai 1692, mort Ă la Vaubyessard le 23 janvier 1693. " Puis on distinguait Ă peine ceux qui suivaient, car la lumiĂšre des lampes, rabattue sur le tapis vert du billard, laissait flotter une ombre dans l'appartement. Brunissant les toiles horizontales, elle se brisait contre elles en arĂÂȘtes fines, selon les craquelures du vernis ; et de tous ces grands carrĂ©s noirs brodĂ©s d'or sortaient, çà et lĂ , quelque portion plus claire de la peinture, un front pĂÂąle, deux yeux qui vous regardaient, des perruques se dĂ©roulant sur l'Ă©paule poudrĂ©e des habits rouges, ou bien la boucle d'une jarretiĂšre au haut d'un mollet rebondi. Le Marquis ouvrit la porte du salon ; une des dames se leva la Marquise elle-mĂÂȘme , vint Ă la rencontre d'Emma et la fit asseoir prĂšs d'elle, sur une causeuse, oĂÂč elle se mit Ă lui parler amicalement, comme si elle la connaissait depuis longtemps. C'Ă©tait une femme de la quarantaine environ, Ă belles Ă©paules, Ă nez busquĂ©, Ă la voix traĂnante, et portant, ce soir-lĂ , sur ses cheveux chĂÂątains, un simple fichu de guipure qui retombait par-derriĂšre, en triangle. Une jeune personne blonde se tenait Ă cĂÂŽtĂ©, dans une chaise Ă dossier long ; et des messieurs, qui avaient une petite fleur Ă la boutonniĂšre de leur habit, causaient avec les dames, tout autour de la cheminĂ©e. A sept heures, on servit le dĂner. Les hommes, plus nombreux, s'assirent Ă la premiĂšre table, dans le vestibule, et les dames Ă la seconde, dans la salle Ă manger, avec le Marquis et la Marquise. Emma se sentit, en entrant, enveloppĂ©e par un air chaud, mĂ©lange du parfum des fleurs et du beau linge, du fumet des viandes et de l'odeur des truffes. Les bougies des candĂ©labres allongeaient des flammes sur les cloches d'argent ; les cristaux Ă facettes, couverts d'une buĂ©e mate, se renvoyaient des rayons pĂÂąles ; des bouquets Ă©taient en ligne sur toute la longueur de la table, et, dans les assiettes Ă large bordure, les serviettes, arrangĂ©es en maniĂšre de bonnet d'Ă©vĂÂȘque, tenaient entre le bĂÂąillement de leurs deux plis chacune un petit pain de forme ovale. Les pattes rouges des homards dĂ©passaient les plats ; de gros fruits dans des corbeilles Ă jour s'Ă©tageaient sur la mousse ; les cailles avaient leurs plumes, des fumĂ©es montaient ; et, en bas de soie, en culotte courte, en cravate blanche, en jabot, grave comme un juge, le maĂtre d'hĂÂŽtel, passant entre les Ă©paules des convives les plats tout dĂ©coupĂ©s, faisait d'un coup de sa cuiller sauter pour vous le morceau qu'on choisissait. Sur le grand poĂÂȘle de porcelaine Ă baguette de cuivre, une statue de femme drapĂ©e jusqu'au menton regardait immobile la salle pleine de monde. Madame Bovary remarqua que plusieurs dames n'avaient pas mis leurs gants dans leur verre. Cependant, au haut bout de la table, seul parmi toutes ces femmes, courbĂ© sur son assiette remplie, et la serviette nouĂ©e dans le dos comme un enfant, un vieillard mangeait, laissant tomber de sa bouche des gouttes de sauce. Il avait les yeux Ă©raillĂ©s et portait une petite queue enroulĂ©e d'un ruban noir. C'Ă©tait le beau-pĂšre du marquis, le vieux duc de LaverdiĂšre, l'ancien favori du comte d'Artois, dans le temps des parties de chasse au Vaudreuil, chez le marquis de Conflans, et qui avait Ă©tĂ©, disait-on, l'amant de la reine Marie-Antoinette entre MM. de Coigny et de Lauzun. Il avait menĂ© une vie bruyante de dĂ©bauches, pleine de duels, de paris, de femmes enlevĂ©es, avait dĂ©vorĂ© sa fortune et effrayĂ© toute sa famille. Un domestique, derriĂšre sa chaise, lui nommait tout haut, dans l'oreille, les plats qu'il dĂ©signait du doigt en bĂ©gayant ; et sans cesse les yeux d'Emma revenaient d'eux-mĂÂȘmes sur ce vieil homme Ă lĂšvres pendantes, comme sur quelque chose d'extraordinaire et d'auguste. Il avait vĂ©cu Ă la Cour et couchĂ© dans le lit des reines ! On versa du vin de Champagne Ă la glace. Emma frissonna de toute sa peau en sentant ce froid dans sa bouche. Elle n'avait jamais vu de grenades ni mangĂ© d'ananas. Le sucre en poudre mĂÂȘme lui parut plus blanc et plus fin qu'ailleurs. Les dames, ensuite, montĂšrent dans leurs chambres s'apprĂÂȘter pour le bal. Emma fit sa toilette avec la conscience mĂ©ticuleuse d'une actrice Ă son dĂ©but. Elle disposa ses cheveux d'aprĂšs les recommandations du coiffeur, et elle entra dans sa robe de barĂšge, Ă©talĂ©e sur le lit. Le pantalon de Charles le serrait au ventre. - Les sous-pieds vont me gĂÂȘner pour danser, dit-il. - Danser ? reprit Emma. - Oui ! - Mais tu as perdu la tĂÂȘte ! On se moquerait de toi, reste Ă ta place. D'ailleurs, c'est plus convenable pour un mĂ©decin, ajouta-t-elle. Charles se tut. Il marchait de long en large, attendant qu'Emma fĂ»t habillĂ©e. Il la voyait par-derriĂšre, dans la glace, entre deux flambeaux. Ses yeux noirs semblaient plus noirs. Ses bandeaux, doucement bombĂ©s vers les oreilles, luisaient d'un Ă©clat bleu ; une rose Ă son chignon tremblait sur une tige mobile, avec des gouttes d'eau factices au bout de ses feuilles. Elle avait une robe de safran pĂÂąle, relevĂ©e par trois bouquets de roses pompon mĂÂȘlĂ©es de verdure. Charles vint l'embrasser sur l'Ă©paule. - Laisse-moi ! dit-elle, tu me chiffonnes. On entendit une ritournelle de violon et les sons d'un cor. Elle descendit l'escalier, se retenant de courir. Les quadrilles Ă©taient commencĂ©s. Il arrivait du monde. On se poussait. Elle se plaça prĂšs de la porte, sur une banquette. Quand la contredanse fut finie, le parquet resta libre pour les groupes d'hommes causant debout et les domestiques en livrĂ©e qui apportaient de grands plateaux. Sur la ligne des femmes assises, les Ă©ventails peints s'agitaient, les bouquets cachaient Ă demi le sourire des visages, et les flacons Ă bouchons d'or tournaient dans des mains entrouvertes dont les gants blancs marquaient la forme des ongles et serraient la chair au poignet. Les garnitures de dentelles, les broches de diamants, les bracelets Ă mĂ©daillon frissonnaient aux corsages, scintillaient aux poitrines, bruissaient sur les bras nus. Les chevelures, bien collĂ©es sur les fronts et tordues Ă la nuque, avaient, en couronnes, en grappes ou en rameaux, des myosotis, du jasmin, des fleurs de grenadier, des Ă©pis ou des bleuets. Pacifiques Ă leurs places, des mĂšres Ă figure renfrognĂ©e portaient des turbans rouges. Le coeur d'Emma lui battit un peu lorsque, son cavalier la tenant par le bout des doigts, elle vint se mettre en ligne et attendit le coup d'archet pour partir. Mais bientĂÂŽt l'Ă©motion disparut ; et, se balançant au rythme de l'orchestre, elle glissait en avant, avec des mouvements lĂ©gers du cou. Un sourire lui montait aux lĂšvres Ă certaines dĂ©licatesses du violon, qui jouait seul, quelquefois, quand les autres instruments se taisaient ; on entendait le bruit clair des louis d'or qui se versaient Ă cĂÂŽtĂ©, sur le tapis des tables ; puis tout reprenait Ă la fois, le cornet Ă pistons lançait un Ă©clat sonore, les pieds retombaient en mesure, les jupes se bouffaient et frĂÂŽlaient, les mains se donnaient, se quittaient ; les mĂÂȘmes yeux, s'abaissant devant vous, revenaient se fixer sur les vĂÂŽtres. Quelques hommes une quinzaine de vingt-cinq Ă quarante ans, dissĂ©minĂ©s parmi les danseurs ou causant Ă l'entrĂ©e des portes, se distinguaient de la foule par un air de famille, quelles que fussent leurs diffĂ©rences d'ĂÂąge, de toilette ou de figure. Leurs habits, mieux faits, semblaient d'un drap plus souple, et leurs cheveux, ramenĂ©s en boucles vers les tempes, lustrĂ©s par des pommades plus fines. Ils avaient le teint de la richesse, ce teint blanc que rehaussent la pĂÂąleur des porcelaines, les moires du satin, le vernis des beaux meubles, et qu'entretient dans sa santĂ© un rĂ©gime discret de nourritures exquises. Leur cou tournait Ă l'aise sur des cravates basses ; leurs favoris longs tombaient sur des cols rabattus ; ils s'essuyaient les lĂšvres Ă des mouchoirs brodĂ©s d'un large chiffre, d'oĂÂč sortait une odeur suave. Ceux qui commençaient Ă vieillir avaient l'air jeune, tandis que quelque chose de mĂ»r s'Ă©tendait sur le visage des jeunes. Dans leurs regards indiffĂ©rents flottait la quiĂ©tude de passions journellement assouvies ; et, Ă travers leurs maniĂšres douces, perçait cette brutalitĂ© particuliĂšre que communique la domination de choses Ă demi faciles, dans lesquelles la force s'exerce et oĂÂč la vanitĂ© s'amuse, le maniement des chevaux de race et la sociĂ©tĂ© des femmes perdues. A trois pas d'Emma, un cavalier en habit bleu causait Italie avec une jeune femme pĂÂąle, portant une parure de perles. Ils vantaient la grosseur des piliers de Saint-Pierre, Tivoli, le VĂ©suve, Castellamare et les Cassines, les roses de GĂÂȘnes, le ColisĂ©e au clair de lune. Emma Ă©coutait de son autre oreille une conversation pleine de mots qu'elle ne comprenait pas. On entourait un tout jeune homme qui avait battu, la semaine d'avant, Miss-Arabelle et Romulus , et gagnĂ© deux mille louis Ă sauter un fossĂ©, en Angleterre. L'un se plaignait de ses coureurs qui engraissaient ; un autre, des fautes d'impression qui avaient dĂ©naturĂ© le nom de son cheval. L'air du bal Ă©tait lourd ; les lampes pĂÂąlissaient. On refluait dans la salle de billard. Un domestique monta sur une chaise et cassa deux vitres ; au bruit des Ă©clats de verre, madame Bovary tourna la tĂÂȘte et aperçut dans le jardin, contre les carreaux, des faces de paysans qui regardaient. Alors le souvenir des Bertaux lui arriva. Elle revit la ferme, la mare bourbeuse, son pĂšre en blouse sous les pommiers, et elle se revit elle-mĂÂȘme, comme autrefois, Ă©crĂ©mant avec son doigt les terrines de lait dans la laiterie. Mais, aux fulgurations de l'heure prĂ©sente, sa vie passĂ©e, si nette jusqu'alors, s'Ă©vanouissait tout entiĂšre, et elle doutait presque de l'avoir vĂ©cue. Elle Ă©tait lĂ ; puis autour du bal, il n'y avait plus que de l'ombre, Ă©talĂ©e sur tout le reste. Elle mangeait alors une glace au marasquin, qu'elle tenait de la main gauche dans une coquille de vermeil, et fermait Ă demi les yeux, la cuiller entre les dents. Une dame, prĂšs d'elle, laissa tomber son Ă©ventail. Un danseur passait. - Que vous seriez bon, monsieur, dit la dame, de vouloir bien ramasser mon Ă©ventail, qui est derriĂšre ce canapĂ© ! Le monsieur s'inclina, et, pendant qu'il faisait le mouvement d'Ă©tendre son bras, Emma vit la main de la jeune dame qui jetait dans son chapeau quelque chose de blanc, pliĂ© en triangle. Le monsieur, ramenant l'Ă©ventail, l'offrit Ă la dame, respectueusement ; elle le remercia d'un signe de tĂÂȘte et se mit Ă respirer son bouquet. AprĂšs le souper, oĂÂč il y eut beaucoup de vins d'Espagne et de vins du Rhin, des potages Ă la bisque et au lait d'amandes, des puddings Ă la Trafalgar et toutes sortes de viandes froides avec des gelĂ©es alentour qui tremblaient dans les plats, les voitures, les unes aprĂšs les autres, commencĂšrent Ă s'en aller. En Ă©cartant du coin le rideau de mousseline, on voyait glisser dans l'ombre la lumiĂšre de leurs lanternes. Les banquettes s'Ă©claircirent ; quelques joueurs restaient encore ; les musiciens rafraĂchissaient, sur leur langue, le bout de leurs doigts ; Charles dormait Ă demi, le dos appuyĂ© contre une porte. A trois heures du matin, le cotillon commença. Emma ne savait pas valser. Tout le monde valsait, mademoiselle d'Andervilliers elle-mĂÂȘme et la marquise ; il n'y avait plus que les hĂÂŽtes du chĂÂąteau, une douzaine de personnes Ă peu prĂšs. Cependant, un des valseurs, qu'on appelait familiĂšrement vicomte , et dont le gilet trĂšs ouvert semblait moulĂ© sur sa poitrine, vint une seconde fois encore inviter madame Bovary, l'assurant qu'il la guiderait et qu'elle s'en tirerait bien. Ils commencĂšrent lentement, puis allĂšrent plus vite. Ils tournaient tout tournait autour d'eux, les lampes, les meubles, les lambris, et le parquet, comme un disque sur un pivot. En passant auprĂšs des portes, la robe d'Emma, par le bas, s'Ă©raflait au pantalon ; leurs jambes entraient l'une dans l'autre ; il baissait ses regards vers elle, elle levait les siens vers lui ; une torpeur la prenait, elle s'arrĂÂȘta. Ils repartirent ; et, d'un mouvement plus rapide, le vicomte, l'entraĂnant, disparut avec elle jusqu'au bout de la galerie, oĂÂč, haletante, elle faillit tomber, et, un instant, s'appuya la tĂÂȘte sur sa poitrine. Et puis, tournant toujours, mais plus doucement, il la reconduisit Ă sa place ; elle se renversa contre la muraille et mit la main devant ses yeux. Quand elle les rouvrit, au milieu du salon, une dame assise sur un tabouret avait devant elle trois valseurs agenouillĂ©s. Elle choisit le Vicomte, et le violon recommença. On les regardait. Ils passaient et revenaient, elle immobile du corps et le menton baissĂ©, et lui toujours dans sa mĂÂȘme pose, la taille cambrĂ©e, le coude arrondi, la bouche en avant. Elle savait valser, celle-lĂ ! Ils continuĂšrent longtemps et fatiguĂšrent tous les autres. On causa quelques minutes encore, et, aprĂšs les adieux ou plutĂÂŽt le bonjour, les hĂÂŽtes du chĂÂąteau s'allĂšrent coucher. Charles se traĂnait Ă la rampe, les genoux lui rentraient dans le corps . Il avait passĂ© cinq heures de suite, tout debout devant les tables, Ă regarder jouer au whist sans y rien comprendre. Aussi poussa-t-il un grand soupir de satisfaction lorsqu'il eut retirĂ© ses bottes. Emma mit un chĂÂąle sur ses Ă©paules, ouvrit la fenĂÂȘtre et s'accouda. La nuit Ă©tait noire. Quelques gouttes de pluie tombaient. Elle aspira le vent humide qui lui rafraĂchissait les paupiĂšres. La musique du bal bourdonnait encore Ă ses oreilles, et elle faisait des efforts pour se tenir Ă©veillĂ©e, afin de prolonger l'illusion de cette vie luxueuse qu'il lui faudrait tout Ă l'heure abandonner. Le petit jour parut. Elle regarda les fenĂÂȘtres du chĂÂąteau, longuement, tĂÂąchant de deviner quelles Ă©taient les chambres de tous ceux qu'elle avait remarquĂ©s la veille. Elle aurait voulu savoir leurs existences, y pĂ©nĂ©trer, s'y confondre. Mais elle grelottait de froid. Elle se dĂ©shabilla et se blottit entre les draps, contre Charles qui dormait. Il y eut beaucoup de monde au dĂ©jeuner. Le repas dura dix minutes ; on ne servit aucune liqueur, ce qui Ă©tonna le mĂ©decin. Ensuite mademoiselle d'Andervilliers ramassa des morceaux de brioche dans une bannette, pour les porter aux cygnes sur la piĂšce d'eau, et on s'alla promener dans la serre chaude, oĂÂč des plantes bizarres, hĂ©rissĂ©es de poils, s'Ă©tageaient en pyramides sous des vases suspendus, qui, pareils Ă des nids de serpents trop pleins, laissaient retomber, de leurs bords, de longs cordons verts entrelacĂ©s. L'orangerie, que l'on trouvait au bout, menait Ă couvert jusqu'aux communs du chĂÂąteau. Le Marquis, pour amuser la jeune femme, la mena voir les Ă©curies. Au-dessus des rĂÂąteliers en forme de corbeille, des plaques de porcelaine portaient en noir le nom des chevaux. Chaque bĂÂȘte s'agitait dans sa stalle, quand on passait prĂšs d'elle, en claquant de la langue. Le plancher de la sellerie luisait Ă l'oeil comme le parquet d'un salon. Les harnais de voiture Ă©taient dressĂ©s dans le milieu sur deux colonnes tournantes, et les mors, les fouets, les Ă©triers, les gourmettes rangĂ©s en ligne tout le long de la muraille. Charles, cependant, alla prier un domestique d'atteler son boc . On l'amena devant le perron, et, tous les paquets y Ă©tant fourrĂ©s, les Ă©poux Bovary firent leurs politesses au Marquis et Ă la Marquise, et repartirent pour Tostes. Emma, silencieuse, regardait tourner les roues. Charles, posĂ© sur le bord extrĂÂȘme de la banquette, conduisait les deux bras Ă©cartĂ©s, et le petit cheval trottait l'amble dans les brancards, qui Ă©taient trop larges pour lui. Les guides molles battaient sur sa croupe en s'y trempant d'Ă©cume, et la boĂte ficelĂ©e derriĂšre le boc donnait contre la caisse de grands coups rĂ©guliers. Ils Ă©taient sur les hauteurs de Thibourville, lorsque devant eux, tout Ă coup, des cavaliers passĂšrent en riant, avec des cigares Ă la bouche. Emma crut reconnaĂtre le Vicomte ; elle se dĂ©tourna, et n'aperçut Ă l'horizon que le mouvement des tĂÂȘtes s'abaissant et montant, selon la cadence inĂ©gale du trot ou du galop. Un quart de lieue plus loin, il fallut s'arrĂÂȘter pour raccommoder, avec de la corde, le reculement qui Ă©tait rompu. Mais Charles, donnant au harnais un dernier coup d'oeil, vit quelque chose par terre, entre les jambes de son cheval ; et il ramassa un porte-cigares tout bordĂ© de soie verte et blasonnĂ© Ă son milieu comme la portiĂšre d'un carrosse. - Il y a mĂÂȘme deux cigares dedans, dit-il ; ce sera pour ce soir, aprĂšs dĂner. - Tu fumes donc ? demanda-t-elle. - Quelquefois, quand l'occasion se prĂ©sente. Il mit sa trouvaille dans sa poche et fouetta le bidet. Quand ils arrivĂšrent chez eux, le dĂner n'Ă©tait point prĂÂȘt. Madame s'emporta. Nastasie rĂ©pondit insolemment. - Partez ! dit Emma. - C'est se moquer, je vous chasse. Il y avait pour dĂner de la soupe Ă l'oignon, avec un morceau de veau Ă l'oseille. Charles, assis devant Emma, dit en se frottant les mains d'un air heureux - Cela fait plaisir de se retrouver chez soi ! On entendait Nastasie qui pleurait. Il aimait un peu cette pauvre fille. Elle lui avait, autrefois, tenu sociĂ©tĂ© pendant bien des soirs, dans les dĂ©soeuvrements de son veuvage. C'Ă©tait sa premiĂšre pratique, sa plus ancienne connaissance du pays. - Est-ce que tu l'as renvoyĂ©e pour tout de bon ? dit-il enfin. - Oui. Qui m'en empĂÂȘche ? rĂ©pondit-elle. Puis ils se chauffĂšrent dans la cuisine, pendant qu'on apprĂÂȘtait leur chambre. Charles se mit Ă fumer. Il fumait en avançant les lĂšvres, crachant Ă toute minute, se reculant Ă chaque bouffĂ©e. - Tu vas te faire mal, dit-elle dĂ©daigneusement. Il dĂ©posa son cigare, et courut avaler, Ă la pompe, un verre d'eau froide. Emma, saisissant le porte-cigares, le jeta vivement au fond de l'armoire. La journĂ©e fut longue, le lendemain ! Elle se promena dans son jardinet, passant et revenant par les mĂÂȘmes allĂ©es, s'arrĂÂȘtant devant les plates-bandes, devant l'espalier, devant le curĂ© de plĂÂątre, considĂ©rant avec Ă©bahissement toutes ces choses d'autrefois qu'elle connaissait si bien. Comme le bal dĂ©jĂ lui semblait loin ! Qui donc Ă©cartait, Ă tant de distance, le matin d'avant-hier et le soir d'aujourd'hui ? Son voyage Ă la Vaubyessard avait fait un trou dans sa vie, Ă la maniĂšre de ces grandes crevasses qu'un orage, en une seule nuit, creuse quelquefois dans les montagnes. Elle se rĂ©signa pourtant ; elle serra pieusement dans la commode sa belle toilette et jusqu'Ă ses souliers de satin, dont la semelle s'Ă©tait jaunie Ă la cire glissante du parquet. Son coeur Ă©tait comme eux au frottement de la richesse, il s'Ă©tait placĂ© dessus quelque chose qui ne s'effacerait pas. Ce fut donc une occupation pour Emma que le souvenir de ce bal. Toutes les fois que revenait le mercredi, elle se disait en s'Ă©veillant Ah ! il y a huit jours... il y a quinze jours..., il y a trois semaines, j'y Ă©tais ! Et peu Ă peu, les physionomies se confondirent dans sa mĂ©moire, elle oublia l'air des contredanses, elle ne vit plus si nettement les livrĂ©es et les appartements ; quelques dĂ©tails s'en allĂšrent, mais le regret lui resta. IX. Souvent, lorsque Charles Ă©tait sorti, elle allait prendre dans l'armoire, entre les plis du linge oĂÂč elle l'avait laissĂ©, le porte-cigares en soie verte. Elle le regardait, l'ouvrait, et mĂÂȘme elle flairait l'odeur de sa doublure, mĂÂȘlĂ©e de verveine et de tabac. A qui appartenait-il ?... Au Vicomte. C'Ă©tait peut-ĂÂȘtre un cadeau de sa maĂtresse. On avait brodĂ© cela sur quelque mĂ©tier de palissandre, meuble mignon que l'on cachait Ă tous les yeux, qui avait occupĂ© bien des heures et oĂÂč s'Ă©taient penchĂ©es les boucles molles de la travailleuse pensive. Un souffle d'amour avait passĂ© parmi les mailles du canevas ; chaque coup d'aiguille avait fixĂ© lĂ une espĂ©rance ou un souvenir, et tous ces fils de soie entrelacĂ©s n'Ă©taient que la continuitĂ© de la mĂÂȘme passion silencieuse. Et puis le Vicomte, un matin, l'avait emportĂ© avec lui. De quoi avait-on parlĂ©, lorsqu'il restait sur les cheminĂ©es Ă large chambranle, entre les vases de fleurs et les pendules Pompadour ? Elle Ă©tait Ă Tostes. Lui, il Ă©tait Ă Paris, maintenant ; lĂ -bas ! Comment Ă©tait ce Paris ? Quel nom dĂ©mesurĂ© ! Elle se le rĂ©pĂ©tait Ă demi-voix, pour se faire plaisir ; il sonnait Ă ses oreilles comme un bourdon de cathĂ©drale, il flamboyait Ă ses yeux jusque sur l'Ă©tiquette de ses pots de pommade. La nuit, quand les mareyeurs, dans leurs charrettes, passaient sous ses fenĂÂȘtres en chantant La Marjolaine , elle s'Ă©veillait ; et Ă©coutant le bruit des roues ferrĂ©es, qui, Ă la sortie du pays, s'amortissait vite sur la terre - Ils y seront demain ! se disait-elle. Et elle les suivait dans sa pensĂ©e, montant et descendant les cĂÂŽtes, traversant les villages, filant sur la grande route Ă la clartĂ© des Ă©toiles. Au bout d'une distance indĂ©terminĂ©e, il se trouvait toujours une place confuse oĂÂč expirait son rĂÂȘve. Elle s'acheta un plan de Paris, et, du bout de son doigt, sur la carte, elle faisait des courses dans la capitale. Elle remontait les boulevards, s'arrĂÂȘtant Ă chaque angle, entre les lignes des rues, devant les carrĂ©s blancs qui figurent les maisons. Les yeux fatiguĂ©s Ă la fin, elle fermait ses paupiĂšres, et elle voyait dans les tĂ©nĂšbres se tordre au vent des becs de gaz, avec des marche-pieds de calĂšches, qui se dĂ©ployaient Ă grand fracas devant le pĂ©ristyle des thĂ©ĂÂątres. Elle s'abonna Ă la Corbeille , journal des femmes, et au Sylphe des salons . Elle dĂ©vorait, sans en rien passer, tous les comptes rendus de premiĂšres reprĂ©sentations, de courses et de soirĂ©es, s'intĂ©ressait au dĂ©but d'une chanteuse, Ă l'ouverture d'un magasin. Elle savait les modes nouvelles, l'adresse des bons tailleurs, les jours de Bois ou d'OpĂ©ra. Elle Ă©tudia, dans EugĂšne Sue, des descriptions d'ameublements ; elle lut Balzac et George Sand, y cherchant des assouvissements imaginaires pour ses convoitises personnelles. A table mĂÂȘme, elle apportait son livre, et elle tournait les feuillets, pendant que Charles mangeait en lui parlant. Le souvenir du Vicomte revenait toujours dans ses lectures. Entre lui et les personnages inventĂ©s, elle Ă©tablissait des rapprochements. Mais le cercle dont il Ă©tait le centre peu Ă peu s'Ă©largit autour de lui, et cette aurĂ©ole qu'il avait, s'Ă©cartant de sa figure, s'Ă©tala plus au loin, pour illuminer d'autres rĂÂȘves. Paris, plus vague que l'OcĂ©an, miroitait donc aux yeux d'Emma dans une atmosphĂšre vermeille. La vie nombreuse qui s'agitait en ce tumulte y Ă©tait cependant divisĂ©e par parties, classĂ©e en tableaux distincts. Emma n'en apercevait que deux ou trois qui lui cachaient tous les autres, et reprĂ©sentaient Ă eux seuls l'humanitĂ© complĂšte. Le monde des ambassadeurs marchait sur des parquets luisants, dans des salons lambrissĂ©s de miroirs, autour de tables ovales couvertes d'un tapis de velours Ă crĂ©pines d'or. Il y avait lĂ des robes Ă queue, de grands mystĂšres, des angoisses dissimulĂ©es sous des sourires. Venait ensuite la sociĂ©tĂ© des duchesses ; on y Ă©tait pĂÂąle ; on se levait Ă quatre heures ; les femmes, pauvres anges ! portaient du point d'Angleterre au bas de leur jupon, et les hommes, capacitĂ©s mĂ©connues sous des dehors futiles, crevaient leurs chevaux par partie de plaisir, allaient passer Ă Bade la saison d'Ă©tĂ©, et, vers la quarantaine enfin, Ă©pousaient des hĂ©ritiĂšres. Dans les cabinets de restaurants oĂÂč l'on soupe aprĂšs minuit riait, Ă la clartĂ© des bougies, la foule bigarrĂ©e des gens de lettres et des actrices. Ils Ă©taient, ceux-lĂ , prodigues comme des rois, pleins d'ambitions idĂ©ales et de dĂ©lires fantastiques. C'Ă©tait une existence au-dessus des autres, entre ciel et terre, dans les orages, quelque chose de sublime. Quant au reste du monde, il Ă©tait perdu, sans place prĂ©cise, et comme n'existant pas. Plus les choses, d'ailleurs, Ă©taient voisines, plus sa pensĂ©e s'en dĂ©tournait. Tout ce qui l'entourait immĂ©diatement, campagne ennuyeuse, petits bourgeois imbĂ©ciles, mĂ©diocritĂ© de l'existence, lui semblait une exception dans le monde, un hasard particulier oĂÂč elle se trouvait prise, tandis qu'au-delĂ s'Ă©tendait Ă perte de vue l'immense pays des fĂ©licitĂ©s et des passions. Elle confondait, dans son dĂ©sir, les sensualitĂ©s du luxe avec les joies du coeur, l'Ă©lĂ©gance des habitudes et les dĂ©licatesses du sentiment. Ne fallait-il pas Ă l'amour, comme aux plantes indiennes, des terrains prĂ©parĂ©s, une tempĂ©rature particuliĂšre ? Les soupirs au clair de lune, les longues Ă©treintes, les larmes qui coulent sur les mains qu'on abandonne, toutes les fiĂšvres de la chair et les langueurs de la tendresse ne se sĂ©paraient donc pas du balcon des grands chĂÂąteaux qui sont pleins de loisirs, d'un boudoir Ă stores de soie avec un tapis bien Ă©pais, des jardiniĂšres remplies, un lit montĂ© sur une estrade, ni du scintillement des pierres prĂ©cieuses et des aiguillettes de la livrĂ©e. Le garçon de la poste, qui, chaque matin, venait panser la jument, traversait le corridor avec ses gros sabots ; sa blouse avait des trous, ses pieds Ă©taient nus dans des chaussons. C'Ă©tait lĂ le groom en culotte courte dont il fallait se contenter ! Quand son ouvrage Ă©tait fini, il ne revenait plus de la journĂ©e ; car Charles, en rentrant, mettait lui-mĂÂȘme son cheval Ă l'Ă©curie, retirait la selle et passait le licou, pendant que la bonne apportait une botte de paille et la jetait, comme elle le pouvait, dans la mangeoire. Pour remplacer Nastasie qui enfin partit de Tostes, en versant des ruisseaux de larmes , Emma prit Ă son service une jeune fille de quatorze ans, orpheline et de physionomie douce. Elle lui interdit les bonnets de coton, lui apprit qu'il fallait vous parler Ă la troisiĂšme personne, apporter un verre d'eau dans une assiette, frapper aux portes avant d'entrer, et Ă repasser, Ă empeser, Ă l'habiller, voulut en faire sa femme de chambre. La nouvelle bonne obĂ©issait sans murmure pour n'ĂÂȘtre point renvoyĂ©e ; et, comme Madame, d'habitude, laissait la clef au buffet, FĂ©licitĂ©, chaque soir prenait une petite provision de sucre qu'elle mangeait toute seule, dans son lit, aprĂšs avoir fait sa priĂšre. L'aprĂšs-midi, quelquefois, elle allait causer en face avec les postillons. Madame se tenait en haut, dans son appartement. Elle portait une robe de chambre tout ouverte, qui laissait voir, entre les revers Ă chĂÂąle du corsage, une chemisette plissĂ©e avec trois boutons d'or. Sa ceinture Ă©tait une cordeliĂšre Ă gros glands, et ses petites pantoufles de couleur grenat avaient une touffe de rubans larges, qui s'Ă©talait sur le couvre-pied. Elle s'Ă©tait achetĂ© un buvard, une papeterie, un porte-plume et des enveloppes, quoiqu'elle n'eĂ»t personne Ă qui Ă©crire ; elle Ă©poussetait son Ă©tagĂšre, se regardait dans la glace, prenait un livre, puis, rĂÂȘvant entre les lignes, le laissait tomber sur ses genoux. Elle avait envie de faire des voyages ou de retourner vivre Ă son couvent. Elle souhaitait Ă la fois mourir et habiter Paris. Charles, Ă la neige Ă la pluie, chevauchait par les chemins de traverse. Il mangeait des omelettes sur la table des fermes, entrait son bras dans des lits humides, recevait au visage le jet tiĂšde des saignĂ©es, Ă©coutait des rĂÂąles, examinait des cuvettes, retroussait bien du linge sale ; mais il trouvait, tous les soirs, un feu flambant, la table servie, des meubles souples, et une femme en toilette fine, charmante et sentant frais, Ă ne savoir mĂÂȘme d'oĂÂč venait cette odeur, ou si ce n'Ă©tait pas sa peau qui parfumait sa chemise. Elle le charmait par quantitĂ© de dĂ©licatesses c'Ă©tait tantĂÂŽt une maniĂšre nouvelle de façonner pour les bougies des bobĂšches de papier, un volant qu'elle changeait Ă sa robe, ou le nom extraordinaire d'un mets bien simple, et que la bonne avait manquĂ©, mais que Charles, jusqu'au bout, avalait avec plaisir. Elle vit Ă Rouen des dames qui portaient Ă leur montre un paquet de breloques ; elle acheta des breloques. Elle voulut sur sa cheminĂ©e deux grands vases de verre bleu, et, quelque temps aprĂšs, un nĂ©cessaire d'ivoire, avec un dĂ© de vermeil. Moins Charles comprenait ces Ă©lĂ©gances, plus il en subissait la sĂ©duction. Elles ajoutaient quelque chose au plaisir de ses sens et Ă la douceur de son foyer. C'Ă©tait comme une poussiĂšre d'or qui sablait tout du long le petit sentier de sa vie. Il se portait bien, il avait bonne mine ; sa rĂ©putation Ă©tait Ă©tablie tout Ă fait. Les campagnards le chĂ©rissaient parce qu'il n'Ă©tait pas fier. Il caressait les enfants, n'entrait jamais au cabaret, et, d'ailleurs, inspirait de la confiance par sa moralitĂ©. Il rĂ©ussissait particuliĂšrement dans les catarrhes et maladies de poitrine. Craignant beaucoup de tuer son monde, Charles, en effet, n'ordonnait guĂšre que des potions calmantes, de temps Ă autre de l'Ă©mĂ©tique, un bain de pieds ou des sangsues. Ce n'est pas que la chirurgie lui fit peur ; il vous saignait les gens largement, comme des chevaux, et il avait pour l'extraction des dents une poigne d'enfer . Enfin, pour se tenir au courant , il prit un abonnement Ă la Ruche mĂ©dicale , journal nouveau dont il avait reçu le prospectus. Il en lisait un peu aprĂšs son dĂner ; mais la chaleur de l'appartement, jointe Ă la digestion, faisait qu'au bout de cinq minutes il s'endormait ; et il restait lĂ , le menton sur ses deux mains, et les cheveux Ă©talĂ©s comme une criniĂšre jusqu'au pied de la lampe. Emma le regardait en haussant les Ă©paules. Que n'avait-elle, au moins, pour mari un de ces hommes d'ardeurs taciturnes qui travaillent la nuit dans les livres, et portent enfin, Ă soixante ans, quand vient l'ĂÂąge des rhumatismes, une brochette de croix, sur leur habit noir, mal fait. Elle aurait voulu que ce nom de Bovary, qui Ă©tait le sien, fĂ»t illustre, le voir Ă©talĂ© chez les libraires, rĂ©pĂ©tĂ© dans les journaux, connu par toute la France. Mais Charles n'avait point d'ambition Un mĂ©decin d'Yvetot, avec qui derniĂšrement il s'Ă©tait trouvĂ© en consultation, l'avait humiliĂ© quelque peu, au lit mĂÂȘme du malade, devant les parents assemblĂ©s. Quand Charles lui raconta, le soir, cette anecdote, Emma s'emporta bien haut contre le confrĂšre. Charles en fut attendri. Il la baisa au front avec une larme. Mais elle Ă©tait exaspĂ©rĂ©e de honte, elle avait envie de le battre, elle alla dans le corridor ouvrir la fenĂÂȘtre et huma l'air frais pour se calmer. - Quel pauvre homme ! quel pauvre homme ! disait-elle tout bas, en se mordant les lĂšvres. Elle se sentait, d'ailleurs, plus irritĂ©e de lui. Il prenait, avec l'ĂÂąge, des allures Ă©paisses ; il coupait, au dessert, le bouchon des bouteilles vides ; il se passait, aprĂšs manger, la langue sur les dents ; il faisait, en avalant sa soupe, un gloussement Ă chaque gorgĂ©e, et, comme il commençait d'engraisser, ses yeux, dĂ©jĂ petits, semblaient remontĂ©s vers les tempes par la bouffissure de ses pommettes. Emma, quelquefois, lui rentrait dans son gilet la bordure rouge de ses tricots, rajustait sa cravate, ou jetait Ă l'Ă©cart les gants dĂ©teints qu'il se disposait Ă passer ; et ce n'Ă©tait pas, comme il croyait, pour lui ; c'Ă©tait pour elle-mĂÂȘme, par expansion d'Ă©goĂÂŻsme, agacement nerveux. Quelquefois aussi, elle lui parlait des choses qu'elle avait lues, comme d'un passage de roman, d'une piĂšce nouvelle, ou de l'anecdote du grand monde que l'on racontait dans le feuilleton ; car, enfin, Charles Ă©tait quelqu'un, une oreille toujours ouverte, une approbation toujours prĂÂȘte. Elle faisait bien des confidences Ă sa levrette ! Elle en eĂ»t fait aux bĂ»ches de la cheminĂ©e et au balancier de la pendule. Au fond de son ĂÂąme, cependant, elle attendait un Ă©vĂ©nement. Comme les matelots en dĂ©tresse, elle promenait sur la solitude de sa vie des yeux dĂ©sespĂ©rĂ©s, cherchant au loin quelque voile blanche dans les brumes de l'horizon. Elle ne savait pas quel serait ce hasard, le vent qui le pousserait jusqu'Ă elle, vers quel rivage il la mĂšnerait, s'il Ă©tait chaloupe ou vaisseau Ă trois ponts, chargĂ© d'angoisses ou plein de fĂ©licitĂ©s jusqu'aux sabords. Mais, chaque matin, Ă son rĂ©veil, elle l'espĂ©rait pour la journĂ©e, et elle Ă©coutait tous les bruits, se levait en sursaut, s'Ă©tonnait qu'il ne vĂnt pas ; puis, au coucher du soleil, toujours plus triste, dĂ©sirait ĂÂȘtre au lendemain. Le printemps reparut. Elle eut des Ă©touffements aux premiĂšres chaleurs, quand les poiriers fleurirent. DĂšs le commencement de juillet, elle compta sur ses doigts combien de semaines lui restaient pour arriver au mois d'octobre, pensant que le marquis d'Andervilliers, peut-ĂÂȘtre, donnerait encore un bal Ă la Vaubyessard. Mais tout septembre s'Ă©coula sans lettres ni visites. AprĂšs l'ennui de cette dĂ©ception, son coeur de nouveau resta vide, et alors la sĂ©rie des mĂÂȘmes journĂ©es recommença. Elles allaient donc maintenant se suivre ainsi Ă la file, toujours pareilles, innombrables, et n'apportant rien ! Les autres existences, si plates qu'elles fussent, avaient du moins la chance d'un Ă©vĂ©nement. Une aventure amenait parfois des pĂ©ripĂ©ties Ă l'infini, et le dĂ©cor changeait. Mais, pour elle, rien n'arrivait, Dieu l'avait voulu ! L'avenir Ă©tait un corridor tout noir, et qui avait au fond sa porte bien fermĂ©e. Elle abandonna la musique. Pourquoi jouer ? qui l'entendrait ? Puisqu'elle ne pourrait jamais, en robe de velours Ă manches courtes, sur un piano d'Erard, dans un concert, battant de ses doigts lĂ©gers les touches d'ivoire, sentir, comme une brise, circuler autour d'elle un murmure d'extase, ce n'Ă©tait pas la peine de s'ennuyer Ă Ă©tudier. Elle laissa dans l'armoire ses cartons Ă dessin et la tapisserie. A quoi bon ? Ă quoi bon ? La couture l'irritait. - J'ai tout lu, se disait-elle. Et elle restait Ă faire rougir les pincettes, ou regardant la pluie tomber. Comme elle Ă©tait triste le dimanche, quand on sonnait les vĂÂȘpres ! Elle Ă©coutait, dans un hĂ©bĂ©tement attentif, tinter un Ă un les coups fĂÂȘlĂ©s de la cloche. Quelque chat sur les toits, marchant lentement, bombait son dos aux rayons pĂÂąles du soleil. Le vent, sur la grande route, soufflait des traĂnĂ©es de poussiĂšres. Au loin, parfois, un chien hurlait et la cloche, Ă temps Ă©gaux, continuait sa sonnerie monotone qui se perdait dans la campagne. Cependant on sortait de l'Ă©glise. Les femmes en sabots cirĂ©s, les paysans en blouse neuve, les petits enfants qui sautillaient nu-tĂÂȘte devant eux, tout rentrait chez soi. Et, jusqu'Ă la nuit, cinq ou six hommes, toujours les mĂÂȘmes, restaient Ă jouer au bouchon, devant la grande porte de l'auberge. L'hiver fut froid. Les carreaux, chaque matin, Ă©taient chargĂ©s de givre, et la lumiĂšre, blanchĂÂątre Ă travers eux, comme par des verres dĂ©polis, quelquefois ne variait pas de la journĂ©e. DĂšs quatre heures du soir, il fallait allumer la lampe. Les jours qu'il faisait beau, elle descendait dans le jardin. La rosĂ©e avait laissĂ© sur les choux des guipures d'argent avec de longs fils clairs qui s'Ă©tendaient de l'un Ă l'autre. On n'entendait pas d'oiseaux, tout semblait dormir, l'espalier couvert de paille et la vigne comme un grand serpent malade sous le chaperon du mur, oĂÂč l'on voyait, en s'approchant, se traĂner des cloportes Ă pattes nombreuses. Dans les sapinettes, prĂšs de la haie, le curĂ© en tricorne qui lisait son brĂ©viaire avait perdu le pied droit et mĂÂȘme le plĂÂątre, s'Ă©caillant Ă la gelĂ©e, avait fait des gales blanches sur sa figure. Puis elle remontait, fermait la porte, Ă©talait les charbons, et, dĂ©faillant Ă la chaleur du foyer, sentait l'ennui plus lourd qui retombait sur elle. Elle serait bien descendue causer avec la bonne, mais une pudeur la retenait. Tous les jours, Ă la mĂÂȘme heure, le maĂtre d'Ă©cole, en bonnet de soie noire, ouvrait les auvents de sa maison, et le garde-champĂÂȘtre passait, portant son sabre sur sa blouse. Soir et matin, les chevaux de la poste, trois par trois, traversaient la rue pour aller boire Ă la mare. De temps Ă autre, la porte d'un cabaret faisait tinter sa sonnette, et, quand il y avait du vent, l'on entendait grincer sur leurs deux tringles les petites cuvettes en cuivre du perruquier, qui servaient d'enseigne Ă sa boutique. Elle avait pour dĂ©coration une vieille gravure de modes collĂ©e contre un carreau et un buste de femme en cire, dont les cheveux Ă©taient jaunes. Lui aussi, le perruquier, il se lamentait de sa vocation arrĂÂȘtĂ©e, de son avenir perdu, et, rĂÂȘvant quelque boutique dans une grande ville, comme Ă Rouen, par exemple, sur le port, prĂšs du thĂ©ĂÂątre, il restait toute la journĂ©e Ă se promener en long, depuis la mairie jusqu'Ă l'Ă©glise, sombre, et attendant la clientĂšle. Lorsque madame Bovary levait les yeux, elle le voyait toujours lĂ , comme une sentinelle en faction, avec son bonnet grec sur l'oreille et sa veste de lasting. Dans l'aprĂšs-midi, quelquefois, une tĂÂȘte d'homme apparaissait derriĂšre les vitres de la salle, tĂÂȘte hĂÂąlĂ©e, Ă favoris noirs, et qui souriait lentement d'un large sourire doux Ă dents blanches. Une valse aussitĂÂŽt commençait, et, sur l'orgue, dans un petit salon, des danseurs hauts comme le doigt, femmes en turban rose, Tyroliens en jaquette, singes en habit noir, messieurs en culotte courte, tournaient, tournaient entre les fauteuils, les canapĂ©s, les consoles, se rĂ©pĂ©tant dans les morceaux de miroir que raccordait Ă leurs angles un filet de papier dorĂ©. L'homme faisait aller sa manivelle, regardant Ă droite, Ă gauche et vers les fenĂÂȘtres. De temps Ă autre, tout en lançant contre la borne un long jet de salive brune, il soulevait du genou son instrument, dont la bretelle dure lui fatiguait l'Ă©paule ; et, tantĂÂŽt dolente et traĂnarde, ou joyeuse et prĂ©cipitĂ©e, la musique de la boĂte s'Ă©chappait en bourdonnant Ă travers un rideau de taffetas rose, sous une grille de cuivre en arabesque. C'Ă©taient des airs que l'on jouait ailleurs sur les thĂ©ĂÂątres, que l'on chantait dans les salons, que l'on dansait le soir sous des lustres Ă©clairĂ©s, Ă©chos du monde qui arrivaient jusqu'Ă Emma. Des sarabandes Ă n'en plus finir se dĂ©roulaient dans sa tĂÂȘte, et, comme une bayadĂšre sur les fleurs d'un tapis, sa pensĂ©e bondissait avec les notes, se balançait de rĂÂȘve en rĂÂȘve, de tristesse en tristesse. Quand l'homme avait reçu l'aumĂÂŽne dans sa casquette, il rabattait une vieille couverture de laine bleue, passait son orgue sur son dos et s'Ă©loignait d'un pas lourd. Elle le regardait partir. Mais c'Ă©tait surtout aux heures des repas qu'elle n'en pouvait plus, dans cette petite salle au rez-de-chaussĂ©e, avec le poĂÂȘle qui fumait, la porte qui criait, les murs qui suintaient, les pavĂ©s humides ; toute l'amertume de l'existence lui semblait servie sur son assiette, et, Ă la fumĂ©e du bouilli, il montait du fond de son ĂÂąme comme d'autres bouffĂ©es d'affadissement. Charles Ă©tait long Ă manger ; elle grignotait quelques noisettes, ou bien, appuyĂ©e du coude, s'amusait, avec la pointe de son couteau, Ă faire des raies sur la toile cirĂ©e. Elle laissait maintenant tout aller dans son mĂ©nage, et madame Bovary mĂšre, lorsqu'elle vint passer Ă Tostes une partie du carĂÂȘme, s'Ă©tonna fort de ce changement. Elle, en effet, si soigneuse autrefois et dĂ©licate, elle restait Ă prĂ©sent des journĂ©es entiĂšres sans s'habiller, portait des bas de coton gris, s'Ă©clairait Ă la chandelle. Elle rĂ©pĂ©tait qu'il fallait Ă©conomiser, puisqu'ils n'Ă©taient pas riches, ajoutant qu'elle Ă©tait trĂšs contente, trĂšs heureuse, que Tostes lui plaisait beaucoup, et autres discours nouveaux qui fermaient la bouche Ă la belle-mĂšre. Du reste, Emma ne semblait plus disposĂ©e Ă suivre ses conseils ; une fois mĂÂȘme, madame Bovary s'Ă©tant avisĂ©e de prĂ©tendre que les maĂtres devaient surveiller la religion de leurs domestiques, elle lui avait rĂ©pondu d'un oeil si colĂšre et avec un sourire tellement froid, que la bonne femme ne s'y frotta plus. Emma devenait difficile, capricieuse. Elle se commandait des plats pour elle, n'y touchait point, un jour ne buvait que du lait pur, et, le lendemain, des tasses de thĂ© Ă la douzaine. Souvent elle s'obstinait Ă ne pas sortir, puis elle suffoquait, ouvrait les fenĂÂȘtres, s'habillait en robe lĂ©gĂšre. Lorsqu'elle avait bien rudoyĂ© sa servante, elle lui faisait des cadeaux ou l'envoyait se promener chez les voisines, de mĂÂȘme qu'elle jetait parfois aux pauvres toutes les piĂšces blanches de sa bourse, quoiqu'elle ne fĂ»t guĂšre tendre cependant, ni facilement accessible Ă l'Ă©motion d'autrui, comme la plupart des gens issus de campagnards, qui gardent toujours Ă l'ĂÂąme quelque chose de la callositĂ© des mains paternelles. Vers la fin de fĂ©vrier, le pĂšre Rouault, en souvenir de sa guĂ©rison, apporta lui-mĂÂȘme Ă son gendre une dinde superbe, et il resta trois jours Ă Tostes. Charles Ă©tant Ă ses malades, Emma lui tint compagnie. Il fuma dans la chambre, cracha sur les chenets, causa culture, veaux, vaches, volailles et conseil municipal ; si bien qu'elle referma la porte, quand il fut parti, avec un sentiment de satisfaction qui la surprit elle-mĂÂȘme. D'ailleurs, elle ne cachait plus son mĂ©pris pour rien, ni pour personne ; et elle se mettait quelque fois Ă exprimer des opinions singuliĂšres, blĂÂąmant ce que l'on approuvait, et approuvant des choses perverses ou immorales ce qui faisait ouvrir de grands yeux Ă son mari. Est-ce que cette misĂšre durerait toujours ? est-ce qu'elle n'en sortirait pas ? Elle valait bien cependant toutes celles qui vivaient heureuses ! Elle avait vu des duchesses Ă la Vaubyessard qui avaient la taille plus lourde et les façons plus communes, et elle exĂ©crait l'injustice de Dieu ; elle s'appuyait la tĂÂȘte aux murs pour pleurer ; elle enviait les existences tumultueuses, les nuits masquĂ©es, les insolents plaisirs avec tous les Ă©perduments qu'elle ne connaissait pas et qu'ils devaient donner. Elle pĂÂąlissait et avait des battements de coeur. Charles lui administra de la valĂ©riane et des bains de camphre. Tout ce que l'on essayait semblait l'irriter davantage. En de certains jours, elle bavardait avec une abondance fĂ©brile ; Ă ces exaltations succĂ©daient tout Ă coup des torpeurs oĂÂč elle restait sans parler, sans bouger. Ce qui la ranimait alors, c'Ă©tait de se rĂ©pandre sur les bras un flacon d'eau de Cologne. Comme elle se plaignait de Tostes continuellement, Charles imagina que la cause de sa maladie Ă©tait sans doute dans quelque influence locale, et, s'arrĂÂȘtant Ă cette idĂ©e, il songea sĂ©rieusement Ă aller s'Ă©tablir ailleurs. DĂšs lors, elle but du vinaigre pour se faire maigrir, contracta une petite toux sĂšche et perdit complĂštement l'appĂ©tit. Il en coĂ»tait Ă Charles d'abandonner Tostes aprĂšs quatre ans de sĂ©jour et au moment oĂÂč il commençait Ă s'y poser . S'il le fallait, cependant ! Il la conduisit Ă Rouen voir son ancien maĂtre. C'Ă©tait une maladie nerveuse on devait la changer d'air. AprĂšs s'ĂÂȘtre tournĂ© de cĂÂŽtĂ© et d'autre, Charles apprit qu'il y avait dans l'arrondissement de NeufchĂÂątel, un fort bourg nommĂ© Yonville-l'Abbaye, dont le mĂ©decin, qui Ă©tait un rĂ©fugiĂ© polonais, venait de dĂ©camper la semaine prĂ©cĂ©dente. Alors il Ă©crivit au pharmacien de l'endroit pour savoir quel Ă©tait le chiffre de la population, la distance oĂÂč se trouvait le confrĂšre le plus voisin, combien par annĂ©e gagnait son prĂ©dĂ©cesseur, etc. ; et, les rĂ©ponses ayant Ă©tĂ© satisfaisantes, il se rĂ©solut Ă dĂ©mĂ©nager vers le printemps, si la santĂ© d'Emma ne s'amĂ©liorait pas. Un jour qu'en prĂ©vision de son dĂ©part elle faisait des rangements dans un tiroir, elle se piqua les doigts Ă quelque chose. C'Ă©tait un fil de fer de son bouquet de mariage. Les boutons d'oranger Ă©taient jaunes de poussiĂšre, et les rubans de satin, Ă lisĂ©rĂ© d'argent, s'effiloquaient par le bord. Elle le jeta dans le feu. Il s'enflamma plus vite qu'une paille sĂšche. Puis ce fut comme un buisson rouge sur les cendres, et qui se rongeait lentement. Elle le regarda brĂ»ler. Les petites baies de carton Ă©clataient, les fils d'archal se tordaient, le galon se fondait ; et les corolles de papier, racornies, se balançant le long de la plaque comme des papillons noirs, enfin s'envolĂšrent par la cheminĂ©e. Quand on partit de Tostes, au mois de mars, madame Bovary Ă©tait enceinte. DEUXIEME PARTIE I. Yonville-l'Abbaye ainsi nommĂ© Ă cause d'une ancienne abbaye de Capucins dont les ruines n'existent mĂÂȘme plus est un bourg Ă huit lieues de Rouen, entre la route d'Abbeville et celle de Beauvais, au fond d'une vallĂ©e qu'arrose la Rieule, petite riviĂšre qui se jette dans l'Andelle, aprĂšs avoir fait tourner trois moulins vers son embouchure, et oĂÂč il y a quelques truites, que les garçons, le dimanche, s'amusent Ă pĂ©cher Ă la ligne. On quitte la grande route Ă la BoissiĂšre et l'on continue Ă plat jusqu'au haut de la cĂÂŽte des Leux, d'oĂÂč l'on dĂ©couvre la vallĂ©e. La riviĂšre qui la traverse en fait comme deux rĂ©gions de physionomie distincte tout ce qui est Ă gauche est en herbage, tout ce qui est Ă droite est en labour. La prairie s'allonge sous un bourrelet de collines basses pour se rattacher par-derriĂšre aux pĂÂąturages du pays de Bray, tandis que, du cĂÂŽtĂ© de l'est, la plaine, montant doucement, va s'Ă©largissant et Ă©tale Ă perte de vue ses blondes piĂšces de blĂ©. L'eau qui court au bord de l'herbe sĂ©pare d'une raie blanche la couleur des prĂ©s et celle des sillons, et la campagne ainsi ressemble Ă un grand manteau dĂ©pliĂ© qui a un collet de velours vert bordĂ© d'un galon d'argent. Au bout de l'horizon, lorsqu'on arrive, on a devant soi les chĂÂȘnes de la forĂÂȘt d'Argueil, avec les escarpements de la cĂÂŽte Saint-Jean, rayĂ©s du haut en bas par de longues traĂnĂ©es rouges, inĂ©gales ; ce sont les traces de pluies, et ces tons de brique, tranchant en filets minces sur la couleur grise de la montagne, viennent de la quantitĂ© de sources ferrugineuses qui coulent au-delĂ dans le pays d'alentour. On est ici sur les confins de la Normandie, de la Picardie et de l'Ile-de-France, contrĂ©e bĂÂątarde oĂÂč le langage est sans accentuation, comme le paysage sans caractĂšre. C'est lĂ que l'on fait les pires fromages de NeufchĂÂątel de tout l'arrondissement, et, d'autre part, la culture y est coĂ»teuse, parce qu'il faut beaucoup de fumier pour engraisser ces terres friables pleines de sable et de cailloux. Jusqu'en 1835, il n'y avait point de route praticable pour arriver Ă Yonville ; mais on a Ă©tabli vers cette Ă©poque un chemin de grande vicinalitĂ© qui relie la route d'Abbeville Ă celle d'Amiens, et sert quelquefois aux rouliers allant de Rouen dans les Flandres. Cependant, Yonville-l'Abbaye est demeurĂ©e stationnaire, malgrĂ© ses dĂ©bouchĂ©s nouveaux . Au lieu d'amĂ©liorer les cultures, on s'y obstine encore aux herbages, quelques dĂ©prĂ©ciĂ©s qu'ils soient, et le bourg paresseux, s'Ă©cartant de la plaine, a continuĂ© naturellement Ă s'agrandir vers la riviĂšre. On l'aperçoit de loin, tout couchĂ© en long sur la rive, comme un gardeur de vaches qui fait la sieste au bord de l'eau. Au bas de la cĂÂŽte, aprĂšs le pont, commence une chaussĂ©e plantĂ©e de jeunes trembles, qui vous mĂšne en droite ligne jusqu'aux premiĂšres maisons du pays. Elles sont encloses de haies, au milieu de cours pleines de bĂÂątiments Ă©pars, pressoirs, charretteries et bouilleries dissĂ©minĂ©es sous les arbres touffus portant des Ă©chelles, des gaules ou des faux accrochĂ©es dans leur branchage. Les toits de chaume, comme des bonnets de fourrure rabattus sur des yeux, descendent jusqu'au tiers Ă peu prĂšs des fenĂÂȘtres basses, dont les gros verres bombĂ©s sont garnis d'un noeud dans le milieu, Ă la façon des culs de bouteilles. Sur le mur de plĂÂątre que traversent en diagonale des lambourdes noires s'accroche parfois quelque maigre poirier, et les rez-de-chaussĂ©e ont Ă leur porte une petite barriĂšre tournante pour les dĂ©fendre des poussins, qui viennent picorer, sur le seuil, des miettes de pain bis trempĂ© de cidre. Cependant les cours se font plus Ă©troites, les habitations se rapprochent, les haies disparaissent ; un fagot de fougĂšres se balance sous une fenĂÂȘtre au bout d'un manche Ă balai ; il y a la forge d'un marĂ©chal et ensuite un charron avec deux ou trois charrettes neuves, en dehors, qui empiĂštent sur la route. Puis, Ă travers une claire-voie, apparaĂt une maison blanche au-delĂ d'un rond de gazon que dĂ©core un Amour, le doigt posĂ© sur la bouche ; deux vases en fonte sont Ă chaque bout du perron ; des panonceaux brillent Ă la porte ; c'est la maison du notaire, et la plus belle du pays. L'Ă©glise est de l'autre cĂÂŽtĂ© de la rue, vingt pas plus loin, Ă l'entrĂ©e de la place. Le petit cimetiĂšre qui l'entoure, clos d'un mur Ă hauteur d'appui, est si bien rempli de tombeaux, que les vieilles pierres Ă ras du sol font un dallage continu, oĂÂč l'herbe a dessinĂ© de soi-mĂÂȘme des carrĂ©s verts rĂ©guliers. L'Ă©glise a Ă©tĂ© rebĂÂątie Ă neuf dans les derniĂšres annĂ©es du rĂšgne de Charles X. La voĂ»te en bois commence Ă se pourrir par le haut et, de place en place, a des enfonçures noires dans sa couleur bleue. Au dessus de la porte, oĂÂč seraient les orgues, se tient un jubĂ© pour les hommes, avec un escalier tournant qui retentit sous les sabots. Le grand jour, arrivant par les vitraux tout unis, Ă©claire obliquement les bancs rangĂ©s en travers de la muraille, que tapisse çà et lĂ quelque paillasson clouĂ©, ayant au dessous de lui ces mots en grosses lettres " Banc de M. un tel " . Plus loin, Ă l'endroit oĂÂč le vaisseau se rĂ©trĂ©cit, le confessionnal fait pendant Ă une statuette de la Vierge, vĂÂȘtue d'une robe de satin, coiffĂ©e d'un voile de tulle semĂ© d'Ă©toiles d'argent, et tout empourprĂ©e aux pommettes comme une idole des Ăles Sandwich ; enfin une copie de la Sainte Famille, envoi du ministre de l'IntĂ©rieur , dominant le maĂtre-autel entre quatre chandeliers, termine au fond la perspective. Les stalles du choeur, en bois de sapin, sont restĂ©es sans ĂÂȘtre peintes. Les halles, c'est-Ă -dire un toit de tuiles supportĂ© par une vingtaine de poteaux, occupent Ă elles seules la moitiĂ© environ de la grande place d'Yonville. La mairie, construite sur les dessins d'un architecte de Paris , est une maniĂšre de temple grec qui fait l'angle, Ă cĂÂŽtĂ© de la maison du pharmacien. Elle a, au rez-de-chaussĂ©e, trois colonnes ioniques et, au premier Ă©tage, une galerie Ă plein cintre, tandis que le tympan qui la termine est rempli par un coq gaulois, appuyĂ© d'une patte sur la Charte et tenant de l'autre les balances de la justice. Mais ce qui attire le plus les yeux, c'est, en face de l'auberge du Lion d'or , la pharmacie de M. Homais ! Le soir, principalement, quand son quinquet est allumĂ© et que les bocaux rouges et verts qui embellissent sa devanture allongent au loin, sur le sol, leurs deux clartĂ©s de couleur, alors, Ă travers elles, comme dans des feux de Bengale, s'entrevoit l'ombre du pharmacien accoudĂ© sur son pupitre. Sa maison, du haut en bas, est placardĂ©e d'inscriptions Ă©crites en anglaise, en ronde, en moulĂ©e " Eaux de Vichy, de Seltz et de BarĂšges, robs dĂ©puratifs, mĂ©decine Raspail, racabout des Arabes, pastilles Darcet, pĂÂąte Regnault, bandages, bains, chocolats de santĂ©, etc " . Et l'enseigne, qui tient toute la largeur de la boutique, porte en lettres d'or Homais, pharmacien . Puis, au fond de la boutique, derriĂšre les grandes balances scellĂ©es sur le comptoir, le mot laboratoire se dĂ©roule au-dessus d'une porte vitrĂ©e qui, Ă moitiĂ© de sa hauteur, rĂ©pĂšte encore une fois Homais , en lettres d'or, sur un fond noir. Il n'y a plus ensuite rien Ă voir dans Yonville. La rue la seule , longue d'une portĂ©e de fusil et bordĂ©e de quelques boutiques, s'arrĂÂȘte court au tournant de la route. Si on la laisse sur la droite et que l'on suive le bas de la cĂÂŽte Saint-Jean, bientĂÂŽt on arrive au cimetiĂšre. Lors du cholĂ©ra, pour l'agrandir, on a abattu un pan de mur et achetĂ© trois ĂÂącres de terre Ă cĂÂŽtĂ© ; mais toute cette portion nouvelle est presque inhabitĂ©e, les tombes, comme autrefois, continuant Ă s'entasser vers la porte. Le gardien, qui est en mĂÂȘme temps fossoyeur et bedeau Ă l'Ă©glise tirant ainsi des cadavres de la paroisse un double bĂ©nĂ©fice , a profitĂ© du terrain vide pour y semer des pommes de terre. D'annĂ©e en annĂ©e, cependant, son petit champ se rĂ©trĂ©cit, et, lorsqu'il survient une Ă©pidĂ©mie, il ne sait pas s'il doit se rĂ©jouir des dĂ©cĂšs ou s'affliger des sĂ©pultures. - Vous vous nourrissez des morts, Lestiboudois ! lui dit enfin, un jour, M. le curĂ©. Cette parole sombre le fit rĂ©flĂ©chir ; elle l'arrĂÂȘta pour quelque temps ; mais, aujourd'hui encore, il continue la culture de ses tubercules, et mĂÂȘme soutient avec aplomb qu'ils poussent naturellement. Depuis les Ă©vĂ©nements que l'on va raconter, rien, en effet, n'a changĂ© Ă Yonville. Le drapeau tricolore de fer-blanc tourne toujours au haut du clocher de l'Ă©glise ; la boutique du marchand de nouveautĂ©s agite encore au vent ses deux banderoles d'indienne ; les foetus du pharmacien, comme des paquets d'amadou blanc, se pourrissent de plus en plus dans leur alcool bourbeux, et, au-dessus de la grande porte de l'auberge, le vieux lion d'or, dĂ©teint par les pluies, montre toujours aux passants sa frisure de caniche. Le soir que les Ă©poux Bovary devaient arriver Ă Yonville, madame veuve Lefrançois, la maĂtresse de cette auberge, Ă©tait si fort affairĂ©e, qu'elle suait Ă grosses gouttes en remuant ses casseroles. C'Ă©tait, le lendemain, jour de marchĂ© dans le bourg. Il fallait d'avance tailler les viandes, vider les poulets, faire de la soupe et du cafĂ©. Elle avait, de plus, le repas de ses pensionnaires, celui du mĂ©decin, de sa femme et de leur bonne ; le billard retentissait d'Ă©clats de rire ; trois meuniers, dans la petite salle, appelaient pour qu'on leur apportĂÂąt de l'eau-de-vie ; le bois flambait, la braise craquait, et, sur la longue table de la cuisine, parmi les quartiers de mouton cru, s'Ă©levaient des piles d'assiettes qui tremblaient aux secousses du billot oĂÂč l'on hachait des Ă©pinards. On entendait, dans la basse-cour, crier les volailles que la servante poursuivait pour leur couper le cou. Un homme en pantoufles de peau verte, quelque peu marquĂ© de petite vĂ©role et coiffĂ© d'un bonnet de velours Ă gland d'or, se chauffait le dos contre la cheminĂ©e. Sa figure n'exprimait rien que la satisfaction de soi-mĂÂȘme, et il avait l'air aussi calme dans la vie que le chardonneret suspendu au-dessus de sa tĂÂȘte, dans une cage d'osier c'Ă©tait le pharmacien. - ArtĂ©mise ! criait la maĂtresse d'auberge, casse de la bourrĂ©e, emplis les carafes, apporte de l'eau-de-vie, dĂ©pĂÂȘche-toi ! Au moins, si je savais quel dessert offrir Ă la sociĂ©tĂ© que vous attendez ! BontĂ© divine ! les commis du dĂ©mĂ©nagement recommencent leur tintamarre dans le billard ! Et leur charrette qui est restĂ©e sous la grande porte ? L'hirondelle est capable de la dĂ©foncer en arrivant ! Appelle Polyte pour qu'il la remise !... Dire que, depuis le matin, monsieur Homais, ils ont peut-ĂÂȘtre fait quinze parties et bu huit pots de cidre !... Mais ils vont me dĂ©chirer le tapis, continuait-elle en les regardant de loin, son Ă©cumoire Ă la main. - Le mal ne serait pas grand, rĂ©pondit M. Homais, vous en achĂšteriez un autre. - Un autre billard ! s'exclama la veuve. - Puisque celui-lĂ ne tient plus, madame Lefrançois, je vous le rĂ©pĂšte, vous vous faites tort ! Vous vous faites grand tort ! Et puis les amateurs, Ă prĂ©sent, veulent des blouses Ă©troites et des queues lourdes. On ne joue plus la bille ; tout est changĂ© ! Il faut marcher avec son siĂšcle ! Regardez Tellier, plutĂÂŽt... L'hĂÂŽtesse devint rouge de dĂ©pit. Le pharmacien ajouta - Son billard, vous avez beau dire, est plus mignon que le vĂÂŽtre ; et qu'on ait l'idĂ©e, par exemple, de monter une poule patriotique pour la Pologne ou les inondĂ©s de Lyon... - Ce ne sont pas des gueux comme lui qui nous font peur ! interrompit l'hĂÂŽtesse, en haussant ses grosses Ă©paules. Allez ! allez ! monsieur Homais, tant que le Lion d'Or vivra, on y viendra. Nous avons du foin dans nos bottes, nous autres ! Au lieu qu'un de ces matins vous verrez le CafĂ© Français fermĂ©, et avec une belle affiche sur les auvents !... Changer mon billard, continuait-elle en se parlant Ă elle-mĂÂȘme, lui qui m'est si commode pour ranger ma lessive, et sur lequel, dans le temps de la chasse, j'ai mis coucher jusqu'Ă six voyageurs !... Mais ce lambin d'Hivert qui n'arrive pas ! - L'attendez-vous pour le dĂner de vos messieurs ? demanda le pharmacien. - L'attendre ? Et M. Binet donc ! A six heures battant vous allez le voir entrer, car son pareil n'existe pas sur la terre pour l'exactitude. Il lui faut toujours sa place dans la petite salle ! On le tuerait plutĂÂŽt que de le faire dĂner ailleurs ! et dĂ©goĂ»tĂ© qu'il est ! et si difficile pour le cidre ! Ce n'est pas comme M. LĂ©on ; lui, il arrive quelquefois Ă sept heures, sept heures et demie mĂÂȘme ; il ne regarde seulement pas Ă ce qu'il mange. Quel bon jeune homme ! Jamais un mot plus haut que l'autre. - C'est qu'il y a bien de la diffĂ©rence, voyez-vous, entre quelqu'un qui a reçu de l'Ă©ducation et un ancien carabinier qui est percepteur. Six heures sonnĂšrent. Binet entra. Il Ă©tait vĂÂȘtu d'une redingote bleue, tombant droit d'elle-mĂÂȘme tout autour de son corps maigre, et sa casquette de cuir, Ă pattes nouĂ©es par des cordons sur le sommet de sa tĂÂȘte, laissait voir, sous la visiĂšre relevĂ©e, un front chauve, qu'avait dĂ©primĂ© l'habitude du casque. Il portait un gilet de drap noir, un col de crin, un pantalon gris, et, en toute saison, des bottes bien cirĂ©es qui avaient deux renflements parallĂšles, Ă cause de la saillie de ses orteils. Pas un poil ne dĂ©passait la ligne de son collier blond, qui, contournant la mĂÂąchoire, encadrait comme la bordure d'une plate-bande sa longue figure terne, dont les yeux Ă©taient petits et le nez busquĂ©. Fort Ă tous les jeux de cartes, bon chasseur et possĂ©dant une belle Ă©criture, il avait chez lui un tour, oĂÂč il s'amusait Ă tourner des ronds de serviette dont il encombrait sa maison, avec la jalousie d'un artiste et l'Ă©goĂÂŻsme d'un bourgeois. Il se dirigea vers la petite salle mais il fallut d'abord en faire sortir les trois meuniers ; et, pendant tout le temps que l'on fut Ă mettre son couvert, Binet resta silencieux Ă sa place, auprĂšs du poĂÂȘle ; puis il ferma la porte et retira sa casquette, comme d'usage. - Ce ne sont pas les civilitĂ©s qui lui useront la langue ! dit le pharmacien, dĂšs qu'il fut seul avec l'hĂÂŽtesse. - Jamais il ne cause davantage, rĂ©pondit-elle ; il est venu ici, la semaine derniĂšre, deux voyageurs en draps, des garçons pleins d'esprit qui contaient, le soir, un tas de farces que j'en pleurais de rire eh bien ! il restait lĂ , comme une alose, sans dire un mot. - Oui, fit le pharmacien, pas d'imagination, pas de saillies, rien de ce qui constitue l'homme de sociĂ©tĂ© ! - On dit pourtant qu'il a des moyens, objecta l'hĂÂŽtesse. - Des moyens ! rĂ©pliqua M. Homais ; lui ! des moyens ? Dans sa partie, c'est possible, ajouta-t-il d'un ton plus calme. Et il reprit - Ah ! qu'un nĂ©gociant qui a des relations considĂ©rables, qu'un jurisconsulte, un mĂ©decin, un pharmacien soient tellement absorbĂ©s qu'ils en deviennent fantasques et bourrus mĂÂȘme, je le comprends ; on en cite des traits dans l'histoire ! Mais, au moins, c'est qu'ils pensent Ă quelque chose. Moi, par exemple, combien de fois m'est-il arrivĂ© de chercher ma plume sur mon bureau pour Ă©crire une Ă©tiquette, et de trouver, en dĂ©finitive, que je l'avais placĂ©e Ă mon oreille ! Cependant, madame Lefrançois alla sur le seuil regarder si l'Hirondelle n'arrivait pas. Elle tressaillit. Un homme vĂÂȘtu de noir entra tout Ă coup dans la cuisine. On distinguait, aux derniĂšres lueurs du crĂ©puscule, qu'il avait une figure rubiconde et le corps athlĂ©tique. - Qu'y a-t-il pour votre service, monsieur le curĂ© ? demanda la maĂtresse d'auberge, tout en atteignant sur la cheminĂ©e un des flambeaux de cuivre qui s'y trouvaient rangĂ©s en colonnade avec leurs chandelles ; voulez-vous prendre quelque chose ? un doigt de cassis, un verre de vin ? L'ecclĂ©siastique refusa fort civilement. Il venait chercher son parapluie, qu'il avait oubliĂ© l'autre jour au couvent d'Ernemont, et, aprĂšs avoir priĂ© madame Lefrançois de le lui faire remettre au presbytĂšre dans la soirĂ©e, il sortit pour se rendre Ă l'Ă©glise, oĂÂč l'on sonnait l'AngĂ©lus . Quand le pharmacien n'entendit plus sur la place le bruit de ses souliers, il trouva fort inconvenante sa conduite de tout Ă l'heure. Ce refus d'accepter un rafraĂchissement lui semblait une hypocrisie des plus odieuses ; les prĂÂȘtres gouaillaient tous sans qu'on les vĂt, et cherchaient Ă ramener le temps de la dĂme. L'hĂÂŽtesse prit la dĂ©fense de son curĂ© - D'ailleurs, il en plierait quatre comme vous sur son genou. Il a, l'annĂ©e derniĂšre, aidĂ© nos gens Ă rentrer la paille ; il en portait jusqu'Ă six bottes Ă la fois, tant il est fort ! - Bravo ! dit le pharmacien. Envoyez donc vos filles Ă confesse Ă des gaillards d'un tempĂ©rament pareil ! Moi, si j'Ă©tais le gouvernement, je voudrais qu'on saignĂÂąt les prĂÂȘtres une fois par mois. Oui, madame Lefrançois, tous les mois, une large phlĂ©botomie, dans l'intĂ©rĂÂȘt de la police et des moeurs ! - Taisez-vous donc, monsieur Homais ! vous ĂÂȘtes un impie ! vous n'avez pas de religion ! Le pharmacien rĂ©pondit - J'ai une religion, ma religion, et mĂÂȘme j'en ai plus qu'eux tous, avec leurs momeries et leurs jongleries ! J'adore Dieu, au contraire ! Je crois en l'Etre suprĂÂȘme, Ă un CrĂ©ateur, quel qu'il soit, peu m'importe, qui nous a placĂ©s ici-bas pour y remplir nos devoirs de citoyen et de pĂšre de famille ; mais je n'ai pas besoin d'aller, dans une Ă©glise, baiser des plats d'argent et engraisser de ma poche un tas de farceurs qui se nourrissent mieux que nous ! Car on peut l'honorer aussi bien dans un bois, dans un champ, oĂÂč mĂÂȘme en contemplant la voĂ»te Ă©thĂ©rĂ©e, comme les anciens. Mon Dieu, Ă moi, c'est le Dieu de Socrate, de Franklin, de Voltaire et de BĂ©ranger ! Je suis pour la Profession de foi du vicaire savoyard et les immortels principes de 89 ! Aussi je n'admets pas un bonhomme du bon Dieu qui se promĂšne dans son parterre la canne Ă la main, loge ses amis dans le ventre des baleines, meurt en poussant un cri et ressuscite au bout de trois jours choses absurdes en elles-mĂÂȘmes et complĂštement opposĂ©es, d'ailleurs, Ă toutes les lois de la physique ; ce qui nous dĂ©montre, en passant, que les prĂÂȘtres ont toujours croupi dans une ignorance turpide, oĂÂč ils s'efforcent d'engloutir avec eux les populations. Il se tut, cherchant des yeux un public autour de lui, car, dans son effervescence, le pharmacien, un moment, s'Ă©tait cru en plein conseil municipal. Mais la maĂtresse d'auberge ne l'Ă©coutait plus elle tendait son oreille Ă un roulement Ă©loignĂ©. On distingua le bruit d'une voiture mĂÂȘlĂ© Ă un claquement de fers lĂÂąches qui battaient la terre, et l'Hirondelle , enfin, s'arrĂÂȘta devant la porte. C'Ă©tait un coffre jaune portĂ© par deux grandes roues qui, montant jusqu'Ă la hauteur de la bĂÂąche, empĂÂȘchaient les voyageurs de voir la route et leur salissaient les Ă©paules. Les petits carreaux de ses vasistas Ă©troits tremblaient dans leurs chĂÂąssis quand la voiture Ă©tait fermĂ©e, et gardaient des taches de boue, çà et lĂ , parmi leur vieille couche de poussiĂšre, que les pluies d'orage mĂÂȘme ne lavaient pas tout Ă fait. Elle Ă©tait attelĂ©e de trois chevaux, dont le premier en arbalĂšte, et, lorsqu'on descendait les cĂÂŽtes, elle touchait du fond en cahotant. Quelques bourgeois d'Yonville arrivĂšrent sur la place ; ils parlaient tous Ă la fois, demandant des nouvelles, des explications et des bourriches Hivert ne savait auquel rĂ©pondre. C'Ă©tait lui qui faisait Ă la ville les commissions du pays. Il allait dans les boutiques, rapportait des rouleaux de cuir au cordonnier, de la ferraille au marĂ©chal, un baril de harengs pour sa maĂtresse, des bonnets de chez la modiste, des toupets de chez le coiffeur ; et, le long de la route, en s'en revenant, il distribuait ses paquets, qu'il jetait par-dessus les clĂÂŽtures des cours, debout sur son siĂšge, et criant Ă pleine poitrine, pendant que ses chevaux allaient tout seuls. Un accident l'avait retardĂ© ; la levrette de madame Bovary s'Ă©tait enfuie Ă travers champs. On l'avait sifflĂ©e un grand quart d'heure. Hivert mĂÂȘme Ă©tait retournĂ© d'une demi-lieue en arriĂšre, croyant l'apercevoir Ă chaque minute ; mais il avait fallu continuer la route. Emma avait pleurĂ©, s'Ă©tait emportĂ©e ; elle avait accusĂ© Charles de ce malheur. M. Lheureux, marchand d'Ă©toffes, qui se trouvait avec elle dans la voiture, avait essayĂ© de la consoler par quantitĂ© d'exemples de chiens perdus, reconnaissant leur maĂtre au bout de longues annĂ©es. On en citait un, disait-il, qui Ă©tait revenu de Constantinople Ă Paris. Un autre avait fait cinquante lieues en ligne droite et passĂ© quatre riviĂšres Ă la nage ; et son pĂšre Ă lui-mĂÂȘme avait possĂ©dĂ© un caniche qui, aprĂšs douze ans d'absence, lui avait tout Ă coup sautĂ© sur le dos, un soir, dans la rue comme il allait dĂner en ville. II. Emma descendit la premiĂšre, puis FĂ©licitĂ©, M. Lheureux, une nourrice, et l'on fut obligĂ© de rĂ©veiller Charles dans son coin, oĂÂč il s'Ă©tait endormi complĂštement, dĂšs que la nuit Ă©tait venue. Homais se prĂ©senta ; il offrit ses hommages Ă Madame, ses civilitĂ©s Ă Monsieur, dit qu'il Ă©tait charmĂ© d'avoir pu leur rendre quelque service, et ajouta d'un air cordial qu'il avait osĂ© s'inviter lui-mĂÂȘme, sa femme, d'ailleurs, Ă©tait absente. Madame Bovary, quand elle fut dans la cuisine, s'approcha de la cheminĂ©e. Du bout de ses deux doigts elle prit sa robe Ă la hauteur du genou, et, l'ayant ainsi remontĂ©e jusqu'aux chevilles, elle tendit Ă la flamme, par-dessus le gigot qui tournait, son pied chaussĂ© d'une bottine noire. Le feu l'Ă©clairait en entier, pĂ©nĂ©trant d'une lumiĂšre crue la trame de sa robe, les pores Ă©gaux de sa peau blanche et mĂÂȘme les paupiĂšres de ses yeux qu'elle clignait de temps Ă autre. Une grande couleur rouge passait sur elle selon le souffle du vent qui venait par la porte entrouverte. De l'autre cĂÂŽtĂ© de la cheminĂ©e, un jeune homme Ă chevelure blonde la regardait silencieusement. Comme il s'ennuyait beaucoup Ă Yonville, oĂÂč il Ă©tait clerc chez maĂtre Guillaumin, souvent M. LĂ©on Dupuis c'Ă©tait lui, le second habituĂ© du Lion d'Or reculait l'instant de son repas, espĂ©rant qu'il viendrait quelque voyageur Ă l'auberge avec qui causer dans la soirĂ©e. Les jours que sa besogne Ă©tait finie, il lui fallait bien, faute de savoir que faire, arriver Ă l'heure exacte, et subir depuis la soupe jusqu'au fromage le tĂÂȘte-Ă -tĂÂȘte de Binet. Ce fut donc avec joie qu'il accepta la proposition de l'hĂÂŽtesse de dĂner en la compagnie des nouveaux venus, et l'on passa dans la grande salle, oĂÂč madame Lefrançois, par pompe, avait fait dresser les quatre couverts. Homais demanda la permission de garder son bonnet grec, de peur des coryzas. Puis, se tournant vers sa voisine - Madame, sans doute, est un peu lasse ? on est si Ă©pouvantablement cahotĂ© dans notre Hirondelle ! - Il est vrai, rĂ©pondit Emma ; mais le dĂ©rangement m'amuse toujours ; j'aime Ă changer de place. - C'est une chose si maussade, soupira le clerc, que de vivre clouĂ© aux mĂÂȘmes endroits ! - Si vous Ă©tiez comme moi, dit Charles, sans cesse obligĂ© d'ĂÂȘtre Ă cheval... - Mais, reprit LĂ©on s'adressant Ă madame Bovary, rien n'est plus agrĂ©able, il me semble ; quand on le peut, ajouta-t-il. - Du reste, disait l'apothicaire, l'exercice de la mĂ©decine n'est pas fort pĂ©nible en nos contrĂ©es ; car l'Ă©tat de nos routes permet l'usage du cabriolet, et, gĂ©nĂ©ralement, l'on paye assez bien, les cultivateurs Ă©tant aisĂ©s. Nous avons, sous le rapport mĂ©dical, Ă part les cas ordinaires d'entĂ©rite, bronchite, affections bilieuses, etc., de temps Ă autre quelques fiĂšvres intermittentes Ă la moisson, mais, en somme, peu de choses graves, rien de spĂ©cial Ă noter, si ce n'est beaucoup d'humeurs froides, et qui tiennent sans doute aux dĂ©plorables conditions hygiĂ©niques de nos logements de paysans. Ah ! vous trouverez bien des prĂ©jugĂ©s Ă combattre, monsieur Bovary ; bien des entĂÂȘtements de la routine, oĂÂč se heurteront quotidiennement tous les efforts de votre science ; car on a recours encore aux neuvaines, aux reliques, au curĂ©, plutĂÂŽt que de venir naturellement chez le mĂ©decin ou chez le pharmacien. Le climat, pourtant, n'est point, Ă vrai dire, mauvais, et mĂÂȘme nous comptons dans la commune quelques nonagĂ©naires. Le thermomĂštre j'en ai fait les observations descend en hiver jusqu'Ă quatre degrĂ©s, et, dans la forte saison, touche vingt-cinq, trente centigrades tout au plus, ce qui nous donne vingt-quatre RĂ©aumur au maximum, ou autrement cinquante-quatre Fahrenheit mesure anglaise , pas davantage ! - et, en effet, nous sommes abritĂ©s des vents du nord par la forĂÂȘt d'Argueil d'une part, des vents d'ouest par la cĂÂŽte Saint-Jean de l'autre ; et cette chaleur, cependant, qui Ă cause de la vapeur d'eau dĂ©gagĂ©e par la riviĂšre et la prĂ©sence considĂ©rable de bestiaux dans les prairies, lesquels exhalent, comme vous savez, beaucoup d'ammoniaque, c'est-Ă -dire azote, hydrogĂšne et oxygĂšne non, azote et hydrogĂšne seulement , et qui, pompant Ă elle l'humus de la terre, confondant toutes ces Ă©manations diffĂ©rentes, les rĂ©unissant en un faisceau, pour ainsi dire, et se combinant de soi-mĂÂȘme avec l'Ă©lectricitĂ© rĂ©pandue dans l'atmosphĂšre, lorsqu'il y en a, pourrait Ă la longue, comme dans les pays tropicaux, engendrer des miasmes insalubres ; - cette chaleur, dis-je, se trouve justement tempĂ©rĂ©e du cĂÂŽtĂ© oĂÂč elle vient, ou plutĂÂŽt d'oĂÂč elle viendrait, c'est-Ă -dire du cĂÂŽtĂ© sud, par les vents de sud-est, lesquels, s'Ă©tant rafraĂchis d'eux-mĂÂȘmes en passant sur la Seine, nous amĂšnent quelquefois tout d'un coup, comme des brises de Russie ! - Avez-vous du moins quelques promenades dans les environs ? continuait madame Bovary parlant au jeune homme. - Oh ! fort peu, rĂ©pondit-il. Il y a un endroit que l'on nomme la PĂÂąture, sur le haut de la cĂÂŽte, Ă la lisiĂšre de la forĂÂȘt. Quelquefois, le dimanche, je vais lĂ , et j'y reste avec un livre, Ă regarder le soleil couchant. - Je ne trouve rien d'admirable comme les soleils couchants, reprit-elle, mais au bord de la mer, surtout. - Oh ! j'adore la mer, dit M. LĂ©on. - Et puis ne vous semble-t-il pas, rĂ©pliqua madame Bovary, que l'esprit vogue plus librement sur cette Ă©tendue sans limites, dont la contemplation vous Ă©lĂšve l'ĂÂąme et donne des idĂ©es d'infini, d'idĂ©al ? - Il en est de mĂÂȘme des paysages de montagnes, reprit LĂ©on. J'ai un cousin qui a voyagĂ© en Suisse l'annĂ©e derniĂšre, et qui me disait qu'on ne peut se figurer la poĂ©sie des lacs, le charme des cascades, l'effet gigantesque des glaciers. On voit des pins d'une grandeur incroyable, en travers des torrents, des cabanes suspendues sur des prĂ©cipices, et, Ă mille pieds sous vous, des vallĂ©es entiĂšres, quand les nuages s'entrouvrent. Ces spectacles doivent enthousiasmer, disposer Ă la priĂšre, Ă l'extase ! Aussi je ne m'Ă©tonne plus de ce musicien cĂ©lĂšbre qui, pour exciter mieux son imagination, avait coutume d'aller jouer du piano devant quelque site imposant. - Vous faites de la musique ? demanda-t-elle. - Non, mais je l'aime beaucoup, rĂ©pondit-il. - Ah ! ne l'Ă©coutez pas, madame Bovary, interrompit Homais en se penchant sur son assiette, c'est modestie pure. - Comment, mon cher ! Eh ! l'autre jour, dans votre chambre, vous chantiez l'Ange gardien Ă ravir. Je vous entendais du laboratoire ; vous dĂ©tachiez cela comme un acteur. LĂ©on, en effet, logeait chez le pharmacien, oĂÂč il avait une petite piĂšce au second Ă©tage, sur la place. Il rougit Ă ce compliment de son propriĂ©taire, qui dĂ©jĂ s'Ă©tait tournĂ© vers le mĂ©decin et lui Ă©numĂ©rait les uns aprĂšs les autres les principaux habitants d'Yonville. Il racontait des anecdotes, donnait des renseignements ; on ne savait pas au juste la fortune du notaire, et il y avait la maison Tuvache qui faisait beaucoup d'embarras. Emma reprit - Et quelle musique prĂ©fĂ©rez-vous ? - Oh ! la musique allemande, celle qui porte Ă rĂÂȘver. - Connaissez-vous les Italiens ? - Pas encore ; mais je les verrai l'annĂ©e prochaine, quand j'irai habiter Paris, pour finir mon droit. - C'est comme j'avais l'honneur, dit le pharmacien, de l'exprimer Ă M. votre Ă©poux, Ă ce propos de ce pauvre Yanoda qui s'est enfui ; vous vous trouverez, grĂÂące aux folies qu'il a faites, jouir d'une des maisons les plus confortables d'Yonville. Ce qu'elle a principalement de commode pour un mĂ©decin, c'est une porte sur l'AllĂ©e , qui permet d'entrer et de sortir sans ĂÂȘtre vu. D'ailleurs, elle est fournie de tout ce qui est agrĂ©able Ă un mĂ©nage buanderie, cuisine avec office, salon de famille, fruitier, etc. C'Ă©tait un gaillard qui n'y regardait pas ! Il s'Ă©tait fait construire, au bout du jardin, Ă cĂÂŽtĂ© de l'eau, une tonnelle tout exprĂšs pour boire de la biĂšre en Ă©tĂ©, et si Madame aime le jardinage, elle pourra... - Ma femme ne s'en occupe guĂšre, dit Charles ; elle aime mieux, quoiqu'on lui recommande l'exercice, toujours rester dans sa chambre, Ă lire. - C'est comme moi, rĂ©pliqua LĂ©on ; quelle meilleure chose, en effet, que d'ĂÂȘtre le soir au coin du feu avec un livre, pendant que le vent bat les carreaux, que la lampe brĂ»le ?... - N'est-ce pas ? dit-elle, en fixant sur lui ses grands yeux noirs tout ouverts. - On ne songe Ă rien, continuait-il, les heures passent. On se promĂšne immobile dans des pays que l'on croit voir, et votre pensĂ©e, s'enlaçant Ă la fiction, se joue dans les dĂ©tails ou poursuit le contour des aventures. Elle se mĂÂȘle aux personnages ; il semble que c'est vous qui palpitez sous leurs costumes. - C'est vrai ! c'est vrai ! disait-elle. - Vous est-il arrivĂ© parfois, reprit LĂ©on, de rencontrer dans un livre une idĂ©e vague que l'on a eue, quelque image obscurcie qui revient de loin, et comme l'exposition entiĂšre de votre sentiment le plus dĂ©liĂ© ? - J'ai Ă©prouvĂ© cela, rĂ©pondit-elle. - C'est pourquoi, dit-il, j'aime surtout les poĂštes. Je trouve les vers plus tendres que la prose, et qu'ils font bien mieux pleurer. - Cependant ils fatiguent Ă la longue, reprit Emma ; et maintenant, au contraire, j'adore les histoires qui se suivent toutes d'une haleine, oĂÂč l'on a peur. Je dĂ©teste les hĂ©ros communs et les sentiments tempĂ©rĂ©s, comme il y en a dans la nature. - En effet, observa le clerc, ces ouvrages ne touchant pas le coeur, s'Ă©cartent, il me semble, du vrai but de l'Art. Il est si doux, parmi les dĂ©senchantements de la vie, de pouvoir se reporter en idĂ©e sur de nobles caractĂšres, des affections pures et des tableaux de bonheur. Quant Ă moi, vivant ici, loin du monde, c'est ma seule distraction ; mais Yonville offre si peu de ressources ! - Comme Tostes, sans doute, reprit Emma ; aussi j'Ă©tais toujours abonnĂ©e Ă un cabinet de lecture. - Si Madame veut me faire l'honneur d'en user, dit le pharmacien, qui venait d'entendre ces derniers mots, j'ai moi-mĂÂȘme Ă sa disposition une bibliothĂšque composĂ©e des meilleurs auteurs Voltaire, Rousseau, Delille, Walter Scott, l'Echo des Feuilletons , etc., et je reçois, de plus, diffĂ©rentes feuilles pĂ©riodiques, parmi lesquelles le Fanal de Rouen , quotidiennement, ayant l'avantage d'en ĂÂȘtre le correspondant pour les circonscriptions de Buchy, Forges, NeufchĂÂątel, Yonville et les alentours. Depuis deux heures et demie, on Ă©tait Ă table ; car la servante ArtĂ©mise, traĂnant nonchalamment sur les carreaux ses savates de lisiĂšre, apportait les assiettes les unes aprĂšs les autres, oubliait tout, n'entendait Ă rien et sans cesse laissait entrebĂÂąillĂ©e la porte du billard, qui battait contre le mur du bout de sa clenche. Sans qu'il s'en aperçût, tout en causant, LĂ©on avait posĂ© son pied sur un des barreaux de la chaise oĂÂč madame Bovary Ă©tait assise. Elle portait une petite cravate de soie bleue, qui tenait droit comme une fraise un col de batiste tuyautĂ© ; et, selon les mouvements de tĂÂȘte qu'elle faisait, le bas de son visage s'enfonçait dans le linge ou en sortait avec douceur. C'est ainsi, l'un prĂšs de l'autre, pendant que Charles et le pharmacien devisaient, qu'ils entrĂšrent dans une de ces vagues conversations oĂÂč le hasard des phrases vous ramĂšne toujours au centre fixe d'une sympathie commune. Spectacles de Paris, titres de romans, quadrilles nouveaux, et le monde qu'ils ne connaissaient pas, Tostes oĂÂč elle avait vĂ©cu, Yonville oĂÂč ils Ă©taient, ils examinĂšrent tout, parlĂšrent de tout jusqu'Ă la fin du dĂner. Quand le cafĂ© fut servi, FĂ©licitĂ© s'en alla prĂ©parer la chambre dans la nouvelle maison, et les convives bientĂÂŽt levĂšrent le siĂšge. Madame Lefrançois dormait auprĂšs des cendres, tandis que le garçon d'Ă©curie, une lanterne Ă la main, attendait M. et madame Bovary pour les conduire chez eux. Sa chevelure rouge Ă©tait entremĂÂȘlĂ©e de brins de paille, et il boitait de la jambe gauche. Lorsqu'il eut pris de son autre main le parapluie de M. le curĂ©, l'on se mit en marche. Le bourg Ă©tait endormi. Les piliers des halles allongeaient de grandes ombres. La terre Ă©tait toute grise, comme par une nuit d'Ă©tĂ©. Mais, la maison du mĂ©decin se trouvant Ă cinquante pas de l'auberge, il fallut presque aussitĂÂŽt se souhaiter le bonsoir, et la compagnie se dispersa. Emma, dĂšs le vestibule, sentit tomber sur ses Ă©paules, comme un linge humide, le froid du plĂÂątre. Les murs Ă©taient neufs, et les marches de bois craquĂšrent. Dans la chambre, au premier, un jour blanchĂÂątre passait par les fenĂÂȘtres sans rideaux. On entrevoyait des cimes d'arbres, et plus loin la prairie, Ă demi noyĂ©e dans le brouillard, qui fumait au clair de la lune, selon le cours de la riviĂšre. Au milieu de l'appartement, pĂÂȘle-mĂÂȘle, il y avait des tiroirs de commode, des bouteilles, des tringles, des bĂÂątons dorĂ©s avec des matelas sur des chaises et des cuvettes sur le parquet, - les deux hommes qui avaient apportĂ© les meubles ayant tout laissĂ© lĂ , nĂ©gligemment. C'Ă©tait la quatriĂšme fois qu'elle couchait dans un endroit inconnu. La premiĂšre avait Ă©tĂ© le jour de son entrĂ©e au couvent, la seconde celle de son arrivĂ©e Ă Tostes, la troisiĂšme Ă la Vaubyessard, la quatriĂšme Ă©tait celle-ci ; et chacune s'Ă©tait trouvĂ©e faire dans sa vie comme l'inauguration d'une phase nouvelle. Elle ne croyait pas que les choses pussent se reprĂ©senter les mĂÂȘmes Ă des places diffĂ©rentes, et, puisque la portion vĂ©cue avait Ă©tĂ© mauvaise, sans doute ce qui restait Ă consommer serait meilleur. III. Le lendemain, Ă son rĂ©veil, elle aperçut le clerc sur la place. Elle Ă©tait en peignoir. Il leva la tĂÂȘte et la salua. Elle fit une inclination rapide et referma la fenĂÂȘtre. LĂ©on attendit pendant tout le jour que six heures du soir fussent arrivĂ©es ; mais, en entrant Ă l'auberge, il ne trouva personne que M. Binet, attablĂ©. Ce dĂner de la veille Ă©tait pour lui un Ă©vĂ©nement considĂ©rable ; jamais, jusqu'alors, il n'avait causĂ© pendant deux heures de suite avec une dame . Comment donc avoir pu lui exposer, et en un tel langage, quantitĂ© de choses qu'il n'aurait pas si bien dites auparavant ? il Ă©tait timide d'habitude et gardait cette rĂ©serve qui participe Ă la fois de la pudeur et de la dissimulation. On trouvait Ă Yonville qu'il avait des maniĂšres comme il faut . Il Ă©coutait raisonner les gens mĂ»rs, et ne paraissait point exaltĂ© en politique, chose remarquable pour un jeune homme. Puis il possĂ©dait des talents, il peignait Ă l'aquarelle, savait lire la clef de sol, et s'occupait volontiers de littĂ©rature aprĂšs son dĂner, quand il ne jouait pas aux cartes. M. Homais le considĂ©rait pour son instruction ; madame Homais l'affectionnait pour sa complaisance, car souvent il accompagnait au jardin les petits Homais, marmots toujours barbouillĂ©s, fort mal Ă©levĂ©s et quelque peu lymphatiques, comme leur mĂšre. Ils avaient pour les soigner, outre la bonne, Justin, l'Ă©lĂšve en pharmacie, un arriĂšre-cousin de M. Homais que l'on avait pris dans la maison par charitĂ©, et qui servait en mĂÂȘme temps de domestique. L'apothicaire se montra le meilleur des voisins. Il renseigna madame Bovary sur les fournisseurs, fit venir son marchand de cidre tout exprĂšs, goĂ»ta la boisson lui-mĂÂȘme, et veilla dans la cave Ă ce que la futaille fĂ»t bien placĂ©e ; il indiqua encore la façon de s'y prendre pour avoir une provision de beurre Ă bon marchĂ©, et conclut un arrangement avec Lestiboudois, le sacristain, qui, outre ses fonctions sacerdotales et mortuaires, soignait les principaux jardins d'Yonville Ă l'heure ou Ă l'annĂ©e, selon le goĂ»t des personnes. Le besoin de s'occuper d'autrui ne poussait pas seul le pharmacien Ă tant de cordialitĂ© obsĂ©quieuse, et il y avait lĂ -dessous un plan. Il avait enfreint la loi du 19 ventĂÂŽse an XI, article 1er, qui dĂ©fend Ă tout individu non porteur de diplĂÂŽme l'exercice de la mĂ©decine ; si bien que, sur des dĂ©nonciations tĂ©nĂ©breuses, Homais avait Ă©tĂ© mandĂ© Ă Rouen, prĂ©s M. le procureur du roi, en son cabinet particulier. Le magistrat l'avait reçu debout, dans sa robe, hermine Ă l'Ă©paule et toque en tĂÂȘte. C'Ă©tait le matin, avant l'audience. On entendait dans le corridor passer les fortes bottes des gendarmes, et comme un bruit lointain de grosses serrures qui se fermaient. Les oreilles du pharmacien lui tintĂšrent Ă croire qu'il allait tomber d'un coup de sang ; il entrevit des culs de basse-fosse, sa famille en pleurs, la pharmacie vendue, tous les bocaux dissĂ©minĂ©s ; et il fut obligĂ© d'entrer dans un cafĂ© prendre un verre de rhum avec de l'eau de Seltz, pour se remettre les esprits. Peu Ă peu, le souvenir de cette admonition s'affaiblit, et il continuait, comme autrefois, Ă donner des consultations anodines dans son arriĂšre-boutique. Mais le maire lui en voulait, des confrĂšres Ă©taient jaloux, il fallait tout craindre ; en s'attachant M. Bovary par des politesses, c'Ă©tait gagner sa gratitude, et empĂÂȘcher qu'il ne parlĂÂąt plus tard, s'il s'apercevait de quelque chose. Aussi tous les matins, Homais lui apportait le journal , et souvent, dans l'aprĂšs-midi, quittait un instant la pharmacie pour aller chez l'officier de santĂ© faire la conversation. Charles Ă©tait triste la clientĂšle n'arrivait pas. Il demeurait assis pendant de longues heures, sans parler, allait dormir dans son cabinet ou regardait coudre sa femme. Pour se distraire, il s'employa chez lui comme homme de peine, et mĂÂȘme il essaya de peindre le grenier avec un reste de couleur que les peintres avaient laissĂ©. Mais les affaires d'argent le prĂ©occupaient. Il en avait tant dĂ©pensĂ© pour les rĂ©parations de Tostes, pour les toilettes de Madame et pour le dĂ©mĂ©nagement, que toute la dot, plus de trois mille Ă©cus, s'Ă©tait Ă©coulĂ©e en deux ans. Puis, que de choses endommagĂ©es ou perdues dans le transport de Tostes Ă Yonville, sans compter le curĂ© de plĂÂątre, qui, tombant de la charrette Ă un cahot trop fort, s'Ă©tait Ă©crasĂ© en mille morceaux sur le pavĂ© de Quincampoix ! Un souci meilleur vint le distraire, Ă savoir la grossesse de sa femme. A mesure que le terme en approchait, il la chĂ©rissait davantage. C'Ă©tait un autre lien de la chair s'Ă©tablissant et comme le sentiment continu d'une union plus complexe. Quand il voyait de loin sa dĂ©marche paresseuse et sa taille tourner mollement sur ses hanches sans corset, quand vis-Ă -vis l'un de l'autre il la contemplait tout Ă l'aise et qu'elle prenait, assise, des poses fatiguĂ©es dans son fauteuil, alors son bonheur ne se tenait plus il se levait, il l'embrassait, passait ses mains sur sa figure, l'appelait petite maman, voulait la faire danser, et dĂ©bitait, moitiĂ© riant, moitiĂ© pleurant, toutes sortes de plaisanteries caressantes qui lui venaient Ă l'esprit. L'idĂ©e d'avoir engendrĂ© le dĂ©lectait. Rien ne lui manquait Ă prĂ©sent. Il connaissait l'existence humaine tout du long, et il s'y attablait sur les deux coudes avec sĂ©rĂ©nitĂ©. Emma d'abord sentit un grand Ă©tonnement, puis eut envie d'ĂÂȘtre dĂ©livrĂ©e, pour savoir quelle chose c'Ă©tait que d'ĂÂȘtre mĂšre. Mais, ne pouvant faire les dĂ©penses qu'elle voulait, avoir un berceau en nacelle avec des rideaux de soie rose et des bĂ©guins brodĂ©s, elle renonça au trousseau dans un accĂšs d'amertume, et le commanda d'un seul coup Ă une ouvriĂšre du village, sans rien choisir ni discuter. Elle ne s'amusa donc pas Ă ces prĂ©paratifs oĂÂč la tendresse des mĂšres se met en appĂ©tit, et son affection, dĂšs l'origine, en fut peut-ĂÂȘtre attĂ©nuĂ©e de quelque chose. Cependant, comme Charles, Ă tous les repas, parlait du marmot, bientĂÂŽt elle y songea d'une façon plus continue. Elle souhaitait un fils ; il serait fort et brun, elle l'appellerait Georges ; et cette idĂ©e d'avoir pour enfant un mĂÂąle Ă©tait comme la revanche en espoir de toutes ses impuissances passĂ©es. Un homme, au moins, est libre ; il peut parcourir les passions et les pays, traverser les obstacles, mordre aux bonheurs les plus lointains. Mais une femme est empĂÂȘchĂ©e continuellement. Inerte et flexible Ă la fois, elle a contre elle les mollesses de la chair avec les dĂ©pendances de la loi. Sa volontĂ©, comme le voile de son chapeau retenu par un cordon, palpite Ă tous les vents ; il y a toujours quelque dĂ©sir qui entraĂne, quelque convenance qui retient. Elle accoucha un dimanche, vers six heures, au soleil levant. - C'est une fille ! dit Charles. Elle tourna la tĂÂȘte et s'Ă©vanouit. Presque aussitĂÂŽt, madame Homais accourut et l'embrassa, ainsi que la mĂšre Lefrançois, du Lion d'Or . Le pharmacien, en homme discret, lui adressa seulement quelques fĂ©licitations provisoires, par la porte entrebĂÂąillĂ©e. Il voulut voir l'enfant, et le trouva bien conformĂ©. Pendant sa convalescence, elle s'occupa beaucoup Ă chercher un nom pour sa fille. D'abord, elle passa en revue tous ceux qui avaient des terminaisons italiennes, tels que Clara, Louisa, Amanda, Atala ; elle aimait assez Galsuinde, plus encore Yseult ou LĂ©ocadie. Charles dĂ©sirait qu'on appelĂÂąt l'enfant comme sa mĂšre ; Emma s'y opposait. On parcourut le calendrier d'un bout Ă l'autre, et l'on consulta les Ă©trangers. - M. LĂ©on, disait le pharmacien, avec qui j'en causais l'autre jour, s'Ă©tonne que vous ne choisissiez point Madeleine, qui est excessivement Ă la mode maintenant. Mais la mĂšre Bovary se rĂ©cria bien fort sur ce nom de pĂ©cheresse. M. Homais, quant Ă lui, avait en prĂ©dilection tous ceux qui rappelaient un grand homme, un fait illustre ou une conception gĂ©nĂ©reuse, et c'est dans ce systĂšme-lĂ qu'il avait baptisĂ© ses quatre enfants. Ainsi, NapolĂ©on reprĂ©sentait la gloire et Franklin la libertĂ© ; Irma, peut-ĂÂȘtre, Ă©tait une concession au romantisme ; mais Athalie, un hommage au plus immortel chef-d'oeuvre de la scĂšne française. Car ses convictions philosophiques n'empĂÂȘchaient pas ses admirations artistiques, le penseur chez lui n'Ă©touffait point l'homme sensible ; il savait Ă©tablir des diffĂ©rences, faire la part de l'imagination et celle du fanatisme. De cette tragĂ©die, par exemple, il blĂÂąmait les idĂ©es, mais il admirait le style ; il maudissait la conception, mais il applaudissait Ă tous les dĂ©tails, et s'exaspĂ©rait contre les personnages, en s'enthousiasmant de leurs discours. Lorsqu'il lisait les grands morceaux, il Ă©tait transportĂ© ; mais, quand il songeait que les calotins en tiraient avantage pour leur boutique, il Ă©tait dĂ©solĂ©, et dans cette confusion de sentiments oĂÂč il s'embarrassait, il aurait voulu tout Ă la fois pouvoir couronner Racine de ses deux mains et discuter avec lui pendant un bon quart d'heure. Enfin, Emma se souvint qu'au chĂÂąteau de la Vaubyessard elle avait entendu la marquise appeler Berthe une jeune femme ; dĂšs lors ce nom-lĂ fut choisi, et, comme le pĂšre Rouault ne pouvait venir, on pria M. Homais d'ĂÂȘtre parrain. Il donna pour cadeaux tous produits de son Ă©tablissement, Ă savoir six boĂtes de jujubes, un bocal entier de racabout, trois coffins de pĂÂąte Ă la guimauve, et, de plus, six bĂÂątons de sucre candi qu'il avait retrouvĂ©s dans un placard. Le soir de la cĂ©rĂ©monie, il y eut un grand dĂner ; le curĂ© s'y trouvait ; on s'Ă©chauffa. M. Homais, vers les liqueurs, entonna le Dieu des bonnes gens . M. LĂ©on chanta une barcarolle, et madame Bovary mĂšre, qui Ă©tait la marraine, une romance du temps de l'Empire ; enfin M. Bovary pĂšre exigea que l'on descendĂt l'enfant, et se mit Ă le baptiser avec un verre de champagne qu'il lui versait de haut sur la tĂÂȘte. Cette dĂ©rision du premier des sacrements indigna l'abbĂ© Bournisien ; le pĂšre Bovary rĂ©pondit par une citation de La Guerre des dieux , le curĂ© voulut partir ; les dames suppliaient ; Homais s'interposa ; et l'on parvint Ă faire rasseoir l'ecclĂ©siastique, qui reprit tranquillement, dans sa soucoupe, sa demi-tasse de cafĂ© Ă moitiĂ© bue. M. Bovary pĂšre resta encore un mois Ă Yonville, dont il Ă©blouit les habitants par un superbe bonnet de police Ă galons d'argent, qu'il portait le matin, pour fumer sa pipe sur la place. Ayant aussi l'habitude de boire beaucoup d'eau-de-vie, souvent il envoyait la servante au Lion d'Or lui en acheter une bouteille, que l'on inscrivait au compte de son fils ; et il usa, pour parfumer ses foulards, toute la provision d'eau de Cologne qu'avait sa bru. Celle-ci ne se dĂ©plaisait point dans sa compagnie. Il avait couru le monde il parlait de Berlin, de Vienne, de Strasbourg, de son temps d'officier, des maĂtresses qu'il avait eues, des grands dĂ©jeuners qu'il avait faits ; puis il se montrait aimable, et parfois mĂÂȘme, soit dans l'escalier ou au jardin, il lui saisissait la taille en s'Ă©criant - Charles, prends garde Ă toi ! Alors la mĂšre Bovary s'effraya pour le bonheur de son fils, et, craignant que son Ă©poux, Ă la longue, n'eĂ»t une influence immorale sur les idĂ©es de la jeune femme, elle se hĂÂąta de presser le dĂ©part. Peut-ĂÂȘtre avait-elle des inquiĂ©tudes plus sĂ©rieuses. M. Bovary Ă©tait homme Ă ne rien respecter. Un jour, Emma fut prise tout Ă coup du besoin de voir sa petite fille, qui avait Ă©tĂ© mise en nourrice chez la femme du menuisier ; et, sans regarder Ă l'almanach si les six semaines de la Vierge duraient encore, elle s'achemina vers la demeure de Rolet, qui se trouvait Ă l'extrĂ©mitĂ© du village, au bas de la cĂÂŽte, entre la grande route et les prairies. Il Ă©tait midi ; les maisons avaient leurs volets fermĂ©s, et les toits d'ardoises, qui reluisaient sous la lumiĂšre ĂÂąpre du ciel bleu, semblaient Ă la crĂÂȘte de leurs pignons faire pĂ©tiller des Ă©tincelles. Un vent lourd soufflait. Emma se sentait faible en marchant ; les cailloux du trottoir la blessaient ; elle hĂ©sita si elle ne s'en retournerait pas chez elle, ou entrerait quelque part pour s'asseoir. A ce moment, M. LĂ©on sortit d'une porte voisine avec une liasse de papiers sous son bras. Il vint la saluer et se mit Ă l'ombre devant la boutique de Lheureux, sous la tente grise qui avançait. Madame Bovary dit qu'elle allait voir son enfant, mais qu'elle commençait Ă ĂÂȘtre lasse. - Si..., reprit LĂ©on, n'osant poursuivre. - Avez-vous affaire quelque part ? demanda-t-elle. Et, sur la rĂ©ponse du clerc, elle le pria de l'accompagner. DĂšs le soir, cela fut connu dans Yonville, et madame Tuvache, la femme du maire, dĂ©clara devant sa servante que madame Bovary se compromettait . Pour arriver chez la nourrice il fallait, aprĂšs la rue, tourner Ă gauche, comme pour gagner le cimetiĂšre, et suivre, entre des maisonnettes et des cours, un petit sentier que bordaient des troĂšnes. Ils Ă©taient en fleur et les vĂ©roniques aussi, les Ă©glantiers, les orties, et les ronces lĂ©gĂšres qui s'Ă©lançaient des buissons. Par le trou des haies, on apercevait, dans les masures , quelque pourceau sur un fumier, ou des vaches embricolĂ©es, frottant leurs cornes contre le tronc des arbres. Tous les deux, cĂÂŽte Ă cĂÂŽte, ils marchaient doucement, elle s'appuyant sur lui et lui retenant son pas qu'il mesurait sur les siens ; devant eux, un essaim de mouches voltigeait, en bourdonnant dans l'air chaud. Ils reconnurent la maison Ă un vieux noyer qui l'ombrageait. Basse et couverte de tuiles brunes, elle avait en dehors, sous la lucarne de son grenier, un chapelet d'oignons suspendu. Des bourrĂ©es, debout contre la clĂÂŽture d'Ă©pines, entouraient un carrĂ© de laitues, quelques pieds de lavande et des pois Ă fleurs montĂ©s sur des rames. De l'eau sale coulait en s'Ă©parpillant sur l'herbe, et il y avait tout autour plusieurs guenilles indistinctes, des bas de tricot, une camisole d'indienne rouge, et un grand drap de toile Ă©paisse Ă©talĂ© en long sur la haie. Au bruit de la barriĂšre, la nourrice parut, tenant sur son bras un enfant qui tĂ©tait. Elle tirait de l'autre main un pauvre marmot chĂ©tif, couvert de scrofules au visage, le fils d'un bonnetier de Rouen, que ses parents trop occupĂ©s de leur nĂ©goce laissaient Ă la campagne. - Entrez, dit-elle ; votre petite est lĂ qui dort. La chambre, au rez-de-chaussĂ©e, la seule du logis, avait au fond contre la muraille un large lit sans rideaux, tandis que le pĂ©trin occupait le cĂÂŽtĂ© de la fenĂÂȘtre, dont une vitre Ă©tait raccommodĂ©e avec un soleil de papier bleu. Dans l'angle, derriĂšre la porte, des brodequins Ă clous luisants Ă©taient rangĂ©s sous la dalle du lavoir, prĂšs d'une bouteille pleine d'huile qui portait une plume Ă son goulot ; un Mathieu Laensberg traĂnait sur la cheminĂ©e poudreuse, parmi des pierres Ă fusil, des bouts de chandelle et des morceaux d'amadou. Enfin la derniĂšre superfluitĂ© de cet appartement Ă©tait une RenommĂ©e soufflant dans des trompettes, image dĂ©coupĂ©e sans doute Ă mĂÂȘme quelque prospectus de parfumerie, et que six pointes Ă sabot clouaient au mur. L'enfant d'Emma dormait Ă terre, dans un berceau d'osier. Elle la prit avec la couverture qui l'enveloppait, et se mit Ă chanter doucement en se dandinant. LĂ©on se promenait dans la chambre ; il lui semblait Ă©trange de voir cette belle dame en robe de nankin, tout au milieu de cette misĂšre. Madame Bovary devint rouge ; il se dĂ©tourna, croyant que ses yeux peut-ĂÂȘtre avaient eu quelque impertinence. Puis elle recoucha la petite, qui venait de vomir sur sa collerette. La nourrice aussitĂÂŽt vint l'essuyer, protestant qu'il n'y paraĂtrait pas. - Elle m'en fait bien d'autres, disait-elle, et je ne suis occupĂ©e qu'Ă la rincer continuellement ! Si vous aviez donc la complaisance de commander Ă Camus l'Ă©picier, qu'il me laisse prendre un peu de savon lorsqu'il m'en faut ? Ce serait mĂÂȘme plus commode pour vous, que je ne dĂ©rangerais pas. - C'est bien, c'est bien ! dit Emma. Au revoir, mĂšre Rolet ! Et elle sortit, en essuyant ses pieds sur le seuil. La bonne femme l'accompagna jusqu'au bout de la cour, tout en parlant du mal qu'elle avait Ă se relever la nuit. - J'en suis si rompue quelquefois, que je m'endors sur ma chaise ; aussi, vous devriez pour le moins me donner une petite livre de cafĂ© moulu qui me ferait un mois et que je prendrai le matin avec du lait. AprĂšs avoir subi ses remerciements, madame Bovary s'en alla ; et elle Ă©tait quelque peu avancĂ©e dans le sentier, lorsqu'Ă un bruit de sabots elle tourna la tĂÂȘte c'Ă©tait la nourrice ! - Qu'y a-t-il ? Alors la paysanne, la tirant Ă l'Ă©cart, derriĂšre un orme, se mit Ă lui parler de son mari, qui, avec son mĂ©tier et six francs par an que le capitaine... - Achevez plus vite, dit Emma. - Eh bien, reprit la nourrice poussant des soupirs entre chaque mot, j'ai peur qu'il ne se fasse une tristesse de me voir prendre du cafĂ© toute seule ; vous savez, les hommes. - Puisque vous en aurez, rĂ©pĂ©tait Emma, je vous en donnerai !... Vous m'ennuyez ! - HĂ©las ! ma pauvre chĂšre dame, c'est qu'il a, par suite de ses blessures, des crampes terribles Ă la poitrine. Il dit mĂÂȘme que le cidre l'affaiblit. - Mais dĂ©pĂÂȘchez-vous, mĂšre Rolet ! - Donc, reprit celle-ci faisant une rĂ©vĂ©rence, si ce Ă©tait pas trop vous demander..., - elle salua encore une fois, - quand vous voudrez, - et son regard suppliait, - un cruchon d'eau-de-vie, dit-elle enfin, et j'en frotterai les pieds de votre petite, qui les a tendres comme la langue. DĂ©barrassĂ©e de la nourrice, Emma reprit le bras de M. LĂ©on. Elle marcha rapidement pendant quelque temps ; puis elle se ralentit, et son regard qu'elle promenait devant elle rencontra l'Ă©paule du jeune homme, dont la redingote avait un collet de velours noir. Ses cheveux chĂÂątains tombaient dessus, plats et bien peignĂ©s. Elle remarqua ses ongles, qui Ă©taient plus longs qu'on ne les portait Ă Yonville. C'Ă©tait une des grandes occupations du clerc que de les entretenir ; et il gardait, Ă cet usage, un canif tout particulier dans son Ă©critoire. Ils s'en revinrent Ă Yonville en suivant le bord de l'eau. Dans la saison chaude, la berge plus Ă©largie dĂ©couvrait jusqu'Ă leur base les murs des jardins, qui avaient un escalier de quelques marches descendant Ă la riviĂšre. Elle coulait sans bruit, rapide et froide Ă l'oeil ; de grandes herbes minces s'y courbaient ensemble, selon le courant qui les poussait, et comme des chevelures vertes abandonnĂ©es, s'Ă©talaient dans sa limpiditĂ©. Quelquefois, Ă la pointe des joncs ou sur la feuille des nĂ©nuphars, un insecte Ă pattes fines marchait ou se posait. Le soleil traversait d'un rayon les petits globules bleus des ondes qui se succĂ©daient en se crevant ; les vieux saules Ă©branchĂ©s miraient dans l'eau leur Ă©corce grise ; au-delĂ , tout alentour, la prairie semblait vide. C'Ă©tait l'heure du dĂner dans les fermes, et la jeune femme et son compagnon n'entendaient en marchant que la cadence de leurs pas sur la terre du sentier, les paroles qu'ils se disaient, et le frĂÂŽlement de la robe d'Emma qui bruissait tout autour d'elle. Les murs des jardins, garnis Ă leur chaperon de morceaux de bouteilles, Ă©taient chauds comme le vitrage d'une serre. Dans les briques, des ravenelles avaient poussĂ© ; et, du bord de son ombrelle dĂ©ployĂ©e, madame Bovary, tout en passant, faisait s'Ă©grener en poussiĂšre jaune un peu de leurs fleurs flĂ©tries, ou bien quelque branche des chĂšvrefeuilles et des clĂ©matites qui pendaient au dehors traĂnait un moment sur la soie, en s'accrochant aux effilĂ©s. Ils causaient d'une troupe de danseurs espagnols, que l'on attendait bientĂÂŽt sur le thĂ©ĂÂątre de Rouen. - Vous irez ? demanda-t-elle. - Si je le peux, rĂ©pondit-il. N'avaient-ils rien autre chose Ă se dire ? Leurs yeux pourtant Ă©taient pleins d'une causerie plus sĂ©rieuse ; et, tandis qu'ils s'efforçaient Ă trouver des phrases banales, ils sentaient une mĂÂȘme langueur les envahir tous les deux ; c'Ă©tait comme un murmure de l'ĂÂąme, profond, continu, qui dominait celui des voix. Surpris d'Ă©tonnement Ă cette suavitĂ© nouvelle, ils ne songeaient pas Ă s'en raconter la sensation ou Ă en dĂ©couvrir la cause. Les bonheurs futurs, comme les rivages des tropiques, projettent sur l'immensitĂ© qui les prĂ©cĂšde leurs mollesses natales, une brise parfumĂ©e, et l'on s'assoupit dans cet enivrement sans mĂÂȘme s'inquiĂ©ter de l'horizon que l'on n'aperçoit pas. La terre, Ă un endroit, se trouvait effondrĂ©e par le pas des bestiaux ; il fallut marcher sur de grosses pierres vertes, espacĂ©es dans la boue. Souvent elle s'arrĂÂȘtait une minute Ă regarder oĂÂč poser sa bottine, - et, chancelant sur le caillou qui tremblait, les coudes en l'air, la taille penchĂ©e, l'oeil indĂ©cis, elle riait alors, de peur de tomber dans les flaques d'eau. Quand ils furent arrivĂ©s devant son jardin, madame Bovary poussa la petite barriĂšre, monta les marches en courant et disparut. LĂ©on rentra Ă son Ă©tude. Le patron Ă©tait absent ; il jeta un coup d'oeil sur les dossiers, puis se tailla une plume, prit enfin son chapeau et s'en alla. Il alla sur la PĂÂąture, au haut de la cĂÂŽte d'Argueil, Ă l'entrĂ©e de la forĂÂȘt ; il se coucha par terre sous les sapins, et regarda le ciel Ă travers ses doigts. - Comme je m'ennuie ! se disait-il, comme je m'ennuie ! Il se trouvait Ă plaindre de vivre dans ce village, avec Homais pour ami et M. Guillaumin pour maĂtre. Ce dernier, tout occupĂ© d'affaires, portant des lunettes Ă branches d'or et favoris rouges sur cravate blanche, n'entendait rien aux dĂ©licatesses de l'esprit, quoiqu'il affectĂÂąt un genre raide et anglais qui avait Ă©bloui le clerc dans les premiers temps. Quant Ă la femme du pharmacien, c'Ă©tait la meilleure Ă©pouse de Normandie, douce comme un mouton, chĂ©rissant ses enfants, son pĂšre, sa mĂšre, ses cousins, pleurant aux maux d'autrui, laissant tout aller dans son mĂ©nage, et dĂ©testant les corsets ; - mais si lente Ă se mouvoir, si ennuyeuse Ă Ă©couter, d'un aspect si commun et d'une conversation si restreinte, qu'il n'avait jamais songĂ©, quoiqu'elle eĂ»t trente ans, qu'il en eĂ»t vingt, qu'ils couchassent porte Ă porte, et qu'il lui parlĂÂąt chaque jour, qu'elle pĂ»t ĂÂȘtre une femme pour quelqu'un, ni qu'elle possĂ©dĂÂąt de son sexe autre chose que la robe. Et ensuite, qu'y avait-il ? Binet, quelques marchands, deux ou trois cabaretiers, le curĂ©, et enfin M. Tuvache, le maire, avec ses deux fils, gens cossus, bourrus, obtus, cultivant leurs terres eux-mĂÂȘmes, faisant des ripailles en famille, dĂ©vots d'ailleurs, et d'une sociĂ©tĂ© tout Ă fait insupportable. Mais, sur le fond commun de tous ces visages humains, la figure d'Emma se dĂ©tachait isolĂ©e et plus lointaine cependant ; car il sentait entre elle et lui comme de vagues abĂmes. Au commencement, il Ă©tait venu chez elle plusieurs fois dans la compagnie du pharmacien. Charles n'avait point paru extrĂÂȘmement curieux de le recevoir ; et LĂ©on ne savait comment s'y prendre entre la peur d'ĂÂȘtre indiscret et le dĂ©sir d'une intimitĂ© qu'il estimait presque impossible. IV. DĂšs les premiers froids, Emma quitta sa chambre pour habiter la salle, longue piĂšce Ă plafond bas oĂÂč il y avait, sur la cheminĂ©e, un polypier touffu s'Ă©talant contre la glace. Assise dans son fauteuil, prĂšs de la fenĂÂȘtre, elle voyait passer les gens du village sur le trottoir. LĂ©on, deux fois par jour, allait de son Ă©tude au Lion d'Or . Emma, de loin, l'entendait venir ; elle se penchait en Ă©coutant ; et le jeune homme glissait derriĂšre le rideau, toujours vĂÂȘtu de mĂÂȘme façon et sans dĂ©tourner la tĂÂȘte. Mais au crĂ©puscule, lorsque, le menton dans sa main gauche, elle avait abandonnĂ© sur ses genoux sa tapisserie commencĂ©e, souvent elle tressaillait Ă l'apparition de cette ombre glissant tout Ă coup. Elle se levait et commandait qu'on mĂt le couvert. M. Homais arrivait pendant le dĂner. Bonnet grec Ă la main, il entrait Ă pas muets pour ne dĂ©ranger personne et toujours en rĂ©pĂ©tant la mĂÂȘme phrase " Bonsoir la compagnie ! " Puis, quand il s'Ă©tait posĂ© Ă sa place, contre la table, entre les deux Ă©poux, il demandait au mĂ©decin des nouvelles de ses malades, et celui-ci le consultait sur la probabilitĂ© des honoraires. Ensuite, on causait de ce qu'il y avait dans le journal . Homais, Ă cette heure-lĂ , le savait presque par coeur ; et il le rapportait intĂ©gralement, avec les rĂ©flexions du journaliste et toutes les histoires des catastrophes individuelles arrivĂ©es en France ou Ă l'Ă©tranger. Mais, le sujet se tarissant, il ne tardait pas Ă lancer quelques observations sur les mets qu'il voyait. Parfois mĂÂȘme, se levant Ă demi, il indiquait dĂ©licatement Ă Madame le morceau le plus tendre, ou, se tournant vers la bonne, lui adressait des conseils pour la manipulation des ragoĂ»ts et l'hygiĂšne des assaisonnements ; il parlait arĂÂŽme, osmazĂÂŽme, sucs et gĂ©latine d'une façon Ă Ă©blouir. La tĂÂȘte d'ailleurs plus remplie de recettes que sa pharmacie ne l'Ă©tait de bocaux, Homais excellait Ă faire quantitĂ© de confitures, vinaigres et liqueurs douces, et il connaissait aussi toutes les inventions nouvelles de calĂ©facteurs Ă©conomiques, avec l'art de conserver les fromages et de soigner les vins malades. A huit heures, Justin venait le chercher pour fermer la pharmacie. Alors M. Homais le regardait d'un oeil narquois, surtout si FĂ©licitĂ© se trouvait lĂ , s'Ă©tant aperçu que son Ă©lĂšve affectionnait la maison du mĂ©decin. - Mon gaillard, disait-il, commence Ă avoir des idĂ©es, et je crois, diable m'emporte, qu'il est amoureux de votre bonne ! Mais un dĂ©faut plus grave, et qu'il lui reprochait, c'Ă©tait d'Ă©couter continuellement les conversations. Le dimanche, par exemple, on ne pouvait le faire sortir du salon, oĂÂč madame Homais l'avait appelĂ© pour prendre les enfants, qui s'endormaient dans les fauteuils, en tirant avec leurs dos les housses de calicot, trop larges. Il ne venait pas grand monde Ă ces soirĂ©es du pharmacien, sa mĂ©disance et ses opinions politiques ayant Ă©cartĂ© de lui successivement diffĂ©rentes personnes respectables. Le clerc ne manquait pas de s'y trouver. DĂšs qu'il entendait la sonnette, il courait au-devant de madame Bovary, prenait son chĂÂąle, et posait Ă l'Ă©cart, sous le bureau de la pharmacie, les grosses pantoufles de lisiĂšre qu'elle portait sur sa chaussure, quand il y avait de la neige. On faisait d'abord quelques parties de trente-et-un ; ensuite M. Homais jouait Ă l'Ă©cartĂ© avec Emma ; LĂ©on, derriĂšre elle, lui donnait des avis. Debout et les mains sur le dossier de sa chaise, il regardait les dents de son peigne qui mordaient son chignon. A chaque mouvement qu'elle faisait pour jeter les cartes, sa robe du cĂÂŽtĂ© droit remontait. De ses cheveux retroussĂ©s, il descendait une couleur brune sur son dos, et qui, s'apĂÂąlissant graduellement, peu Ă peu se perdait dans l'ombre. Son vĂÂȘtement, ensuite, retombait des deux cĂÂŽtĂ©s sur le siĂšge, en bouffant, plein de plis, et s'Ă©talait jusqu'Ă terre. Quand LĂ©on parfois sentait la semelle de sa botte poser dessus, il s'Ă©cartait, comme s'il eĂ»t marchĂ© sur quelqu'un. Lorsque la partie de cartes Ă©tait finie, l'apothicaire et le mĂ©decin jouaient aux dominos, et Emma changeant de place, s'accoudait sur la table, Ă feuilleter l'Illustration . Elle avait apportĂ© son journal de modes. LĂ©on se mettait prĂšs d'elle ; ils regardaient ensemble les gravures et s'attardaient au bas des pages. Souvent elle le priait de lui dire des vers ; LĂ©on les dĂ©clamait d'une voix traĂnante et qu'il faisait expirer soigneusement aux passages d'amour. Mais le bruit des dominos le contrariait ; M. Homais y Ă©tait fort, il battait Charles Ă plein double-six. Puis, les trois centaines terminĂ©es, ils s'allongeaient tous deux devant le foyer et ne tardaient pas Ă s'endormir. Le feu se mourait dans les cendres ; la thĂ©iĂšre Ă©tait vide ; LĂ©on lisait encore. Emma l'Ă©coutait, en faisant tourner machinalement l'abat-jour de la lampe, oĂÂč Ă©taient peints sur la gaze des pierrots dans des voitures et des danseuses de corde, avec leurs balanciers. LĂ©on s'arrĂÂȘtait, dĂ©signant d'un geste son auditoire endormi ; alors ils se parlaient Ă voix basse, et la conversation qu'ils avaient leur semblait plus douce, parce qu'elle n'Ă©tait pas entendue. Ainsi s'Ă©tablit entre eux une sorte d'association, un commerce continuel de livres et de romances ; M. Bovary, peu jaloux, ne s'en Ă©tonnait pas. Il reçut pour sa fĂÂȘte une belle tĂÂȘte phrĂ©nologique, toute marquetĂ©e de chiffres jusqu'au thorax et peinte en bleu. C'Ă©tait une attention du clerc. Il en avait bien d'autres, jusqu'Ă lui faire, Ă Rouen, ses commissions ; et le livre d'un romancier ayant mis Ă la mode la manie des plantes grasses, LĂ©on en achetait pour Madame, qu'il rapportait sur ses genoux, dans l'Hirondelle , tout en se piquant les doigts Ă leurs poils durs. Elle fit ajuster, contre sa croisĂ©e, une planchette Ă balustrade pour tenir ses potiches. Le clerc eut aussi son jardinet suspendu ; ils s'apercevaient soignant leurs fleurs Ă leur fenĂÂȘtre. Parmi les fenĂÂȘtres du village, il y en avait une encore plus souvent occupĂ©e ; car, le dimanche, depuis le matin jusqu'Ă la nuit, et chaque aprĂšs-midi, si le temps Ă©tait clair, on voyait Ă la lucarne d'un grenier le profil maigre de M. Binet penchĂ© sur son tour, dont le ronflement monotone s'entendait jusqu'au Lion d'Or . Un soir, en rentrant, LĂ©on trouva dans sa chambre un tapis de velours et de laine avec des feuillages sur fond pĂÂąle, il appela madame Homais, M. Homais, Justin, les enfants, la cuisiniĂšre, il en parla Ă son patron ; tout le monde dĂ©sira connaĂtre ce tapis ; pourquoi la femme du mĂ©decin faisait-elle au clerc des gĂ©nĂ©rositĂ©s ? Cela parut drĂÂŽle, et l'on pensa dĂ©finitivement qu'elle devait ĂÂȘtre sa bonne amie . Il le donnait Ă croire, tant il vous entretenait sans cesse de ses charmes et de son esprit, si bien que Binet lui rĂ©pondit une fois fort brutalement - Que m'importe, Ă moi, puisque je ne suis pas de sa sociĂ©tĂ© ! Il se torturait Ă dĂ©couvrir par quel moyen lui faire sa dĂ©claration ; et, toujours hĂ©sitant entre la crainte de lui dĂ©plaire et la honte d'ĂÂȘtre si pusillanime, il en pleurait de dĂ©couragement et de dĂ©sirs. Puis il prenait des dĂ©cisions Ă©nergiques ; il Ă©crivait des lettres qu'il dĂ©chirait, s'ajournait Ă des Ă©poques qu'il reculait. Souvent il se mettait en marche, dans le projet de tout oser ; mais cette rĂ©solution l'abandonnait bien vite en la prĂ©sence d'Emma, et, quand Charles, survenant, l'invitait Ă monter dans son boc pour aller voir ensemble quelque malade aux environs, il acceptait aussitĂÂŽt, saluait Madame et s'en allait. Son mari, n'Ă©tait-ce pas quelque chose d'elle ? Quant Ă Emma, elle ne s'interrogea point pour savoir si elle l'aimait. L'amour, croyait-elle, devait arriver tout Ă coup, avec de grands Ă©clats et des fulgurations, - ouragan des cieux qui tombe sur la vie, la bouleverse, arrache les volontĂ©s comme des feuilles et emporte Ă l'abĂme le coeur entier. Elle ne savait pas que, sur la terrasse des maisons, la pluie fait des lacs quand les gouttiĂšres sont bouchĂ©es, et elle fĂ»t ainsi demeurĂ©e en sa sĂ©curitĂ©, lorsqu'elle dĂ©couvrit subitement une lĂ©zarde dans le mur. V. Ce fut un dimanche de fĂ©vrier, une aprĂšs-midi qu'il neigeait. Ils Ă©taient tous, M. et madame Bovary, Homais et M. LĂ©on, partis voir, Ă une demi-lieue d'Yonville, dans la vallĂ©e, une filature de lin que l'on Ă©tablissait. L'apothicaire avait amenĂ© avec lui NapolĂ©on et Athalie, pour leur faire faire de l'exercice, et Justin les accompagnait, portant des parapluies sur son Ă©paule. Rien pourtant n'Ă©tait moins curieux que cette curiositĂ©. Un grand espace de terrain vide, oĂÂč se trouvaient pĂÂȘle-mĂÂȘle, entre des tas de sable et de cailloux, quelques roues d'engrenage dĂ©jĂ rouillĂ©es, entourait un long bĂÂątiment quadrangulaire que perçaient quantitĂ© de petites fenĂÂȘtres. Il n'Ă©tait pas achevĂ© d'ĂÂȘtre bĂÂąti, et l'on voyait le ciel Ă travers les lambourdes de la toiture. AttachĂ© Ă la poutrelle du pignon, un bouquet de paille entremĂÂȘlĂ© d'Ă©pis faisait claquer au vent ses rubans tricolores. Homais parlait. Il expliquait Ă la compagnie l'importance future de cet Ă©tablissement, supputait la force des planchers, l'Ă©paisseur des murailles, et regrettait beaucoup de n'avoir pas de canne mĂ©trique, comme M. Binet en possĂ©dait une pour son usage particulier. Emma, qui lui donnait le bras, s'appuyait un peu sur son Ă©paule, et elle regardait le disque du soleil irradiant au loin, dans la brume, sa pĂÂąleur Ă©blouissante ; mais elle tourna la tĂÂȘte Charles Ă©tait lĂ . Il avait sa casquette enfoncĂ©e sur ses sourcils, et ses deux grosses lĂšvres tremblotaient, ce qui ajoutait Ă son visage quelque chose de stupide ; son dos mĂÂȘme, son dos tranquille Ă©tait irritant Ă voir, et elle y trouvait Ă©talĂ©e sur la redingote toute la platitude du personnage. Pendant qu'elle le considĂ©rait, goĂ»tant ainsi dans son irritation une sorte de voluptĂ© dĂ©pravĂ©e, LĂ©on s'avança d'un pas. Le froid qui le pĂÂąlissait semblait dĂ©poser sur sa figure une langueur plus douce ; entre sa cravate et son cou, le col de la chemise, un peu lĂÂąche, laissait voir la peau ; un bout d'oreille dĂ©passait sous une mĂšche de cheveux, et son grand oeil bleu, levĂ© vers les nuages, parut Ă Emma plus limpide et plus beau que ces lacs des montagnes oĂÂč le ciel se mire. - Malheureux ! s'Ă©cria tout Ă coup l'apothicaire. Et il courut Ă son fils, qui venait de se prĂ©cipiter dans un tas de chaux pour peindre ses souliers en blanc. Aux reproches dont on l'accablait, NapolĂ©on se prit Ă pousser des hurlements, tandis que Justin lui essuyait ses chaussures avec un torchis de paille. Mais il eĂ»t fallu un couteau ; Charles offrit le sien. - Ah ! se dit-elle, il porte un couteau dans sa poche, comme un paysan ! Le givre tombait, et l'on s'en retourna vers Yonville. Madame Bovary, le soir, n'alla pas chez ses voisins, et, quand Charles fut parti, lorsqu'elle se sentit seule, le parallĂšle recommença dans la nettetĂ© d'une sensation presque immĂ©diate et avec cet allongement de perspective que le souvenir donne aux objets. Regardant de son lit le feu clair qui brĂ»lait, elle voyait encore, comme lĂ -bas, LĂ©on debout, faisant plier d'une main sa badine et tenant de l'autre Athalie, qui suçait tranquillement un morceau de glace. Elle le trouvait charmant ; elle ne pouvait s'en dĂ©tacher ; elle se rappela ses autres attitudes en d'autres jours, des phrases qu'il avait dites, le son de sa voix, toute sa personne ; et elle rĂ©pĂ©tait, en avançant ses lĂšvres comme pour un baiser - Oui, charmant ! charmant !... N'aime-t-il pas ? se demanda-t-elle. Qui donc ?... mais c'est moi ! Toutes les preuves Ă la fois s'en Ă©talĂšrent, son coeur bondit. La flamme de la cheminĂ©e faisait trembler au plafond une clartĂ© joyeuse ; elle se tourna sur le dos en s'Ă©tirant les bras. Alors commença l'Ă©ternelle lamentation " Oh ! Si le ciel l'avait voulu ! Pourquoi n'est-ce pas ? Qui empĂÂȘchait donc ?... " Quand Charles, Ă minuit, rentra, elle eut l'air de s'Ă©veiller, et, comme il fit du bruit en se dĂ©shabillant, elle se plaignit de la migraine ; puis demanda nonchalamment ce qui s'Ă©tait passĂ© dans la soirĂ©e. - M. LĂ©on, dit-il, est remontĂ© de bonne heure. Elle ne put s'empĂÂȘcher de sourire, et elle s'endormit l'ĂÂąme remplie d'un enchantement nouveau. Le lendemain, Ă la nuit tombante, elle reçut la visite du sieur Lheureux, marchand de nouveautĂ©s. C'Ă©tait un homme habile que ce boutiquier. NĂ© Gascon, mais devenu Normand, il doublait sa faconde mĂ©ridionale de cautĂšle cauchoise. Sa figure grasse, molle et sans barbe, semblait teinte par une dĂ©coction de rĂ©glisse claire, et sa chevelure blanche rendait plus vif encore l'Ă©clat rude de ses petits yeux noirs. On ignorait ce qu'il avait Ă©tĂ© jadis porteballe, disaient les uns, banquier Ă Routot, selon les autres. Ce qu'il y a de sĂ»r, c'est qu'il faisait, de tĂÂȘte, des calculs compliquĂ©s, Ă effrayer Binet lui-mĂÂȘme. Poli jusqu'Ă l'obsĂ©quiositĂ©, il se tenait toujours les reins Ă demi courbĂ©s, dans la position de quelqu'un qui salue ou qui invite. AprĂšs avoir laissĂ© Ă la porte son chapeau garni d'un crĂÂȘpe, il posa sur la table un carton vert, et commença par se plaindre Ă Madame, avec force civilitĂ©s, d'ĂÂȘtre restĂ© jusqu'Ă ce jour sans obtenir sa confiance. Une pauvre boutique comme la sienne n'Ă©tait pas faite pour attirer une Ă©lĂ©gante ; il appuya sur le mot. Elle n'avait pourtant qu'Ă commander, et il se chargerait de lui fournir ce qu'elle voudrait, tant en mercerie que lingerie, bonneterie ou nouveautĂ©s ; car il allait Ă la ville quatre fois par mois, rĂ©guliĂšrement. Il Ă©tait en relation avec les plus fortes maisons. On pouvait parler de lui aux Trois FrĂšres , Ă la Barbe d'or ou au Grand Sauvage ; tous ces messieurs le connaissaient comme leur poche ! Aujourd'hui donc, il venait montrer Ă Madame, en passant, diffĂ©rents articles qu'il se trouvait avoir, grĂÂące Ă une occasion des plus rares. Et il retira de la boĂte une demi-douzaine de cols brodĂ©s. Madame Bovary les examina. - Je n'ai besoin de rien, dit-elle. Alors M. Lheureux exhiba dĂ©licatement trois Ă©charpes algĂ©riennes, plusieurs paquets d'aiguilles anglaises, une paire de pantoufles en paille, et, enfin, quatre coquetiers en coco, ciselĂ©s Ă jour par des forçats. Puis, les deux mains sur la table, le cou tendu, la taille penchĂ©e, il suivait, bouche bĂ©ante, le regard d'Emma, qui se promenait indĂ©cis parmi ces marchandises. De temps Ă autre, comme pour en chasser la poussiĂšre, il donnait un coup d'ongle sur la soie des Ă©charpes dĂ©pliĂ©es dans toute leur longueur ; et elles frĂ©missaient avec un bruit lĂ©ger, en faisant, Ă la lumiĂšre verdĂÂątre du crĂ©puscule, scintiller, comme de petites Ă©toiles, les paillettes d'or de leur tissu. - Combien coĂ»tent-elles ? - Une misĂšre, rĂ©pondit-il, une misĂšre ; mais rien ne presse ; quand vous voudrez ; nous ne sommes pas des Juifs ! Elle rĂ©flĂ©chit quelques instants, et finit encore par remercier M. Lheureux, qui rĂ©pliqua sans s'Ă©mouvoir - Eh bien, nous nous entendrons plus tard ; avec les dames je me suis toujours arrangĂ©, si ce n'est avec la mienne, cependant ! Emma sourit. - C'Ă©tait pour vous dire, reprit-il d'un air bonhomme aprĂšs sa plaisanterie, que ce n'est pas l'argent qui m'inquiĂšte... Je vous en donnerais, s'il le fallait. Elle eut un geste de surprise. - Ah ! fit-il vivement et Ă voix basse, je n'aurais pas besoin d'aller loin pour vous en trouver ; comptez-y ! Et il se mit Ă demander des nouvelles du pĂšre Tellier, le maĂtre du CafĂ© Français , que M. Bovary soignait alors. - Qu'est-ce qu'il a donc, le pĂšre Tellier ?... Il tousse qu'il en secoue toute sa maison, et j'ai bien peur que prochainement il ne lui faille plutĂÂŽt un paletot de sapin qu'une camisole de flanelle ! Il a fait tant de bamboches quand il Ă©tait jeune ! Ces gens-lĂ , madame, n'avaient pas le moindre ordre ! Il s'est calcinĂ© avec l'eau-de-vie ! Mais c'est fĂÂącheux tout de mĂÂȘme de voir une connaissance s'en aller. Et, tandis qu'il rebouclait son carton, il discourait ainsi sur la clientĂšle du mĂ©decin. - C'est le temps, sans doute, dit-il en regardant les carreaux avec une figure rechignĂ©e, qui est la cause de ces maladies-lĂ ! Moi aussi, je ne me sens pas en mon assiette ; il faudra mĂÂȘme un de ces jours que je vienne consulter Monsieur, pour une douleur que j'ai dans le dos. Enfin, au revoir, madame Bovary ; Ă votre disposition ; serviteur trĂšs humble ! Et il referma la porte doucement. Emma se fit servir Ă dĂner dans sa chambre, au coin du feu, sur un plateau ; elle fut longue Ă manger ; tout lui sembla bon. - Comme j'ai Ă©tĂ© sage ! se disait-elle en songeant aux Ă©charpes. Elle entendit des pas dans l'escalier c'Ă©tait LĂ©on. Elle se leva, et prit sur la commode, parmi des torchons Ă ourler, le premier de la pile. Elle semblait fort occupĂ©e quand il parut. La conversation fut languissante, madame Bovary l'abandonnant Ă chaque minute, tandis qu'il demeurait lui-mĂÂȘme comme tout embarrassĂ©. Assis sur une chaise basse, prĂšs de la cheminĂ©e, il faisait tourner dans ses doigts l'Ă©tui d'ivoire ; elle poussait son aiguille, ou, de temps Ă autre, avec son ongle, fronçait les plis de la toile. Elle ne parlait pas ; il se taisait, captivĂ© par son silence, comme il l'eĂ»t Ă©tĂ© par ses paroles. - Pauvre garçon pensait-elle - En quoi lui dĂ©plais-je ? se demandait-il. LĂ©on, cependant, finit par dire qu'il devait, un de ces jours, aller Ă Rouen, pour une affaire de son Ă©tude. - Votre abonnement de musique est terminĂ©, dois-je le reprendre ? - Non, rĂ©pondit-elle. - Pourquoi ? - Parce que... Et, pinçant ses lĂšvres, elle tira lentement une longue aiguillĂ©e de fil gris. Cet ouvrage irritait LĂ©on. Les doigts d'Emma semblaient s'y Ă©corcher par le bout ; il lui vint en tĂÂȘte une phrase galante, mais qu'il ne risqua pas. - Vous l'abandonnez donc ? reprit-il. - Quoi ? dit-elle vivement ; la musique ? Ah ! Mon Dieu, oui ! n'ai-je pas ma maison Ă tenir, mon mari Ă soigner, mille choses enfin, bien des devoirs qui passent auparavant ! Elle regarda la pendule. Charles Ă©tait en retard. Alors elle fit la soucieuse. Deux ou trois fois mĂÂȘme elle rĂ©pĂ©ta - Il est si bon ! Le clerc affectionnait M. Bovary. Mais cette tendresse Ă son endroit l'Ă©tonna d'une façon dĂ©sagrĂ©able ; nĂ©anmoins il continua son Ă©loge, qu'il entendait faire Ă chacun, disait-il, et surtout au pharmacien. - Ah ! c'est un brave homme, reprit Emma. - Certes, reprit le clerc. Et il se mit Ă parler de madame Homais, dont la tenue fort nĂ©gligĂ©e leur prĂÂȘtait Ă rire ordinairement. - Qu'est-ce que cela fait ? interrompit Emma. Une bonne mĂšre de famille ne s'inquiĂšte pas de sa toilette. Puis elle retomba dans son silence. Il en fut de mĂÂȘme les jours suivants ; ses discours, ses maniĂšres, tout changea. On la vit prendre Ă coeur son mĂ©nage, retourner Ă l'Ă©glise rĂ©guliĂšrement et tenir sa servante avec plus de sĂ©vĂ©ritĂ©. Elle retira Berthe de nourrice. FĂ©licitĂ© l'amenait quand il venait des visites, et madame Bovary la dĂ©shabillait afin de faire voir ses membres. Elle dĂ©clarait adorer les enfants ; c'Ă©tait sa consolation, sa joie, sa folie, et elle accompagnait ses caresses d'expansions lyriques, qui, Ă d'autres qu'Ă des Yonvillais, eussent rappelĂ© la Sachette de Notre-Dame de Paris . Quand Charles rentrait, il trouvait auprĂšs des cendres ses pantoufles Ă chauffer. Ses gilets maintenant ne manquaient plus de doublure, ni ses chemises de boutons, et mĂÂȘme il y avait plaisir Ă considĂ©rer dans l'armoire tous les bonnets de coton rangĂ©s par piles Ă©gales. Elle ne rechignait plus, comme autrefois, Ă faire des tours dans le jardin ; ce qu'il proposait Ă©tait toujours consenti, bien qu'elle ne devinĂÂąt pas les volontĂ©s auxquelles elle se soumettait sans un murmure ; - et lorsque LĂ©on le voyait au coin du feu, aprĂšs le dĂner, les deux mains sur son ventre, les deux pieds sur les chenets, la joue rougie par la digestion, les yeux humides de bonheur, avec l'enfant qui se traĂnait sur le tapis, et cette femme Ă taille mince qui par-dessus le dossier du fauteuil venait le baiser au front - Quelle folie se disait-il, et comment arriver jusqu'Ă elle ? Elle lui parut donc si vertueuse et inaccessible, que toute espĂ©rance, mĂÂȘme la plus vague, l'abandonna. Mais, par ce renoncement, il la plaçait en des conditions extraordinaires. Elle se dĂ©gagea, pour lui, des qualitĂ©s charnelles dont il n'avait rien Ă obtenir ; et elle alla, dans son coeur, montant toujours et s'en dĂ©tachant, Ă la maniĂšre magnifique d'une apothĂ©ose qui s'envole. C'Ă©tait un de ces sentiments purs qui n'embarrassent pas l'exercice de la vie, que l'on cultive parce qu'ils sont rares, et dont la perte affligerait plus que la possession n'est rĂ©jouissante. Emma maigrit, ses joues pĂÂąlirent, sa figure s'allongea. Avec ses bandeaux noirs, ses grands yeux, son nez droit, sa dĂ©marche d'oiseau, et toujours silencieuse, maintenant, ne semblait-elle pas traverser l'existence en y touchant Ă peine, et porter au front la vague empreinte de quelque prĂ©destination sublime ? Elle Ă©tait si triste et si calme, si douce Ă la fois et si rĂ©servĂ©e, que l'on se sentait prĂšs d'elle pris par un charme glacial, comme l'on frissonne dans les Ă©glises sous le parfum des fleurs mĂÂȘlĂ© au froid des marbres. Les autres mĂÂȘme n'Ă©chappaient point Ă cette sĂ©duction. Le pharmacien disait - C'est une femme de grands moyens et qui ne serait pas dĂ©placĂ©e dans une sous-prĂ©fecture. Les bourgeoises admiraient son Ă©conomie, les clients sa politesse, les pauvres sa charitĂ©. Mais elle Ă©tait pleine de convoitises, de rage, de haine. Cette robe aux plis droits cachait un coeur bouleversĂ©, et ces lĂšvres si pudiques n'en racontaient pas la tourmente. Elle Ă©tait amoureuse de LĂ©on, et elle recherchait la solitude, afin de pouvoir plus Ă l'aise se dĂ©lecter en son image. La vue de sa personne troublait la voluptĂ© de cette mĂ©ditation. Emma palpitait au bruit de ses pas ; puis, en sa prĂ©sence, l'Ă©motion tombait, et il ne lui restait ensuite qu'un immense Ă©tonnement qui se finissait en tristesse. LĂ©on ne savait pas, lorsqu'il sortait de chez elle dĂ©sespĂ©rĂ©, qu'elle se levait derriĂšre lui afin de le voir dans la rue. Elle s'inquiĂ©tait de ses dĂ©marches ; elle Ă©piait son visage ; elle inventa toute une histoire pour trouver prĂ©texte Ă visiter sa chambre. La femme du pharmacien lui semblait bien heureuse de dormir sous le mĂÂȘme toit ; et ses pensĂ©es continuellement s'abattaient sur cette maison, comme les pigeons du Lion d'Or qui venaient tremper lĂ , dans les gouttiĂšres, leurs pattes roses et leurs ailes blanches. Mais plus Emma s'apercevait de son amour, plus elle le refoulait, afin qu'il ne parĂ»t pas, et pour le diminuer. Elle aurait voulu que LĂ©on s'en doutĂÂąt ; et elle imaginait des hasards, des catastrophes qui l'eussent facilitĂ©. Ce qui la retenait, sans doute, c'Ă©tait la paresse ou l'Ă©pouvante, et la pudeur aussi. Elle songeait qu'elle l'avait repoussĂ© trop loin, qu'il n'Ă©tait plus temps, que tout Ă©tait perdu. Puis l'orgueil, la joie de se dire " Je suis vertueuse ", et de se regarder dans la glace en prenant des poses rĂ©signĂ©es, la consolait un peu du sacrifice qu'elle croyait faire. Alors, les appĂ©tits de la chair, les convoitises d'argent et les mĂ©lancolies de la passion, tout se confondit dans une mĂÂȘme souffrance ; - et, au lieu d'en dĂ©tourner sa pensĂ©e, elle l'y attachait davantage, s'excitant Ă la douleur et en cherchant partout les occasions. Elle s'irritait d'un plat mal servi ou d'une porte entrebĂÂąillĂ©e, gĂ©missait du velours qu'elle n'avait pas, du bonheur qui lui manquait, de ses rĂÂȘves trop hauts, de sa maison trop Ă©troite. Ce qui l'exaspĂ©rait, c'est que Charles n'avait pas l'air de se douter de son supplice. La conviction oĂÂč il Ă©tait de la rendre heureuse lui semblait une insulte imbĂ©cile, et sa sĂ©curitĂ© lĂ -dessus de l'ingratitude. Pour qui donc Ă©tait-elle sage ? N'Ă©tait-il pas, lui, l'obstacle Ă toute fĂ©licitĂ©, la cause de toute misĂšre, et comme l'ardillon pointu de cette courroie complexe qui la bouclait de tous cĂÂŽtĂ©s ? Donc, elle reporta sur lui seul la haine nombreuse qui rĂ©sultait de ses ennuis, et chaque effort pour l'amoindrir ne servait qu'Ă l'augmenter ; car cette peine inutile s'ajoutait aux autres motifs de dĂ©sespoir et contribuait encore plus Ă l'Ă©cartement. Sa propre douceur Ă elle-mĂÂȘme lui donnait des rĂ©bellions. La mĂ©diocritĂ© domestique la poussait Ă des fantaisies luxueuses, la tendresse matrimoniale en des dĂ©sirs adultĂšres. Elle aurait voulu que Charles la battĂt, pour pouvoir plus justement le dĂ©tester, s'en venger. Elle s'Ă©tonnait parfois des conjectures atroces qui lui arrivaient Ă la pensĂ©e ; et il fallait continuer Ă sourire, s'entendre rĂ©pĂ©ter qu'elle Ă©tait heureuse, faire semblant de l'ĂÂȘtre, le laisser croire ! Elle avait des dĂ©goĂ»ts, cependant, de cette hypocrisie. Des tentations la prenaient de s'enfuir avec LĂ©on, quelque part, bien loin, pour essayer une destinĂ©e nouvelle ; mais aussitĂÂŽt il s'ouvrait dans son ĂÂąme un gouffre vague, plein d'obscuritĂ©. - D'ailleurs, il ne m'aime plus, pensait-elle ; que devenir ? quel secours attendre, quelle consolation, quel allĂ©gement ? Elle restait brisĂ©e, haletante, inerte, sanglotant Ă voix basse et avec des larmes qui coulaient. - Pourquoi ne point le dire Ă Monsieur ? lui demandait la domestique, lorsqu'elle entrait pendant ces crises. - Ce sont les nerfs, rĂ©pondait Emma ; ne lui en parle pas, tu l'affligerais. - Ah ! oui, reprenait FĂ©licitĂ©, vous ĂÂȘtes justement comme la GuĂ©rine, la fille au pĂšre GuĂ©rin, le pĂÂȘcheur du Pollet, que j'ai connue Ă Dieppe, avant de venir chez vous. Elle Ă©tait si triste, si triste, qu'Ă la voir debout sur le seuil de sa maison, elle vous faisait l'effet d'un drap d'enterrement tendu devant la porte. Son mal, Ă ce qu'il paraĂt, Ă©tait une maniĂšre de brouillard qu'elle avait dans la tĂÂȘte, et les mĂ©decins n'y pouvaient rien, ni le curĂ© non plus. Quand ça la prenait trop fort, elle s'en allait toute seule sur le bord de la mer, si bien que le lieutenant de la douane, en faisant sa tournĂ©e, souvent la trouvait Ă©tendue Ă plat ventre et pleurant sur les galets. Puis, aprĂšs son mariage, ça lui a passĂ©, dit-on. - Mais, moi, reprenait Emma, c'est aprĂšs le mariage que ça m'est venu. VI. Un soir que la fenĂÂȘtre Ă©tait ouverte, et que, assise au bord, elle venait de regarder Lestiboudois, le bedeau, qui taillait le buis, elle entendit tout Ă coup sonner l'Angelus . On Ă©tait au commencement d'avril, quand les primevĂšres sont Ă©closes ; un vent tiĂšde se roule sur les plates-bandes labourĂ©es, et les jardins, comme des femmes, semblent faire leur toilette pour les fĂÂȘtes de l'Ă©tĂ©. Par les barreaux de la tonnelle et au-delĂ tout alentour, on voyait la riviĂšre dans la prairie, oĂÂč elle dessinait sur l'herbe des sinuositĂ©s vagabondes. La vapeur du soir passait entre les peupliers sans feuilles, estompant leurs contours d'une teinte violette, plus pĂÂąle et plus transparente qu'une gaze subtile arrĂÂȘtĂ©e sur leurs branchages. Au loin, des bestiaux marchaient ; on n'entendait ni leurs pas, ni leurs mugissements ; et la cloche, sonnant toujours, continuait dans les airs sa lamentation pacifique. A ce tintement rĂ©pĂ©tĂ©, la pensĂ©e de la jeune femme s'Ă©garait dans ses vieux souvenirs de jeunesse et de pension. Elle se rappela les grands chandeliers, qui dĂ©passaient sur l'autel les vases pleins de fleurs et le tabernacle Ă colonnettes. Elle aurait voulu comme autrefois, ĂÂȘtre encore confondue dans la longue ligne des voiles blancs, que marquaient de noir çà et lĂ les capuchons raides des bonnes soeurs inclinĂ©es sur leur prie-Dieu ; le dimanche, Ă la messe, quand elle relevait sa tĂÂȘte, elle apercevait le doux visage de la Vierge parmi les tourbillons bleuĂÂątres de l'encens qui montait. Alors un attendrissement la saisit ; elle se sentit molle et tout abandonnĂ©e, comme un duvet d'oiseau qui tournoie dans la tempĂÂȘte ; et ce fut sans en avoir conscience qu'elle s'achemina vers l'Ă©glise, disposĂ©e Ă n'importe qu'elle dĂ©votion, pourvu qu'elle y absorbĂÂąt son ĂÂąme et que l'existence entiĂšre y disparĂ»t. Elle rencontra, sur la place, Lestiboudois, qui s'en revenait ; car, pour ne pas rogner la journĂ©e, il prĂ©fĂ©rait interrompre sa besogne puis la reprendre, si bien qu'il tintait l'Angelus selon sa commoditĂ©. D'ailleurs, la sonnerie, faite plus tĂÂŽt, avertissait les gamins de l'heure du catĂ©chisme. DĂ©jĂ quelques-uns, qui se trouvaient arrivĂ©s, jouaient aux billes sur les dalles du cimetiĂšre. D'autres, Ă califourchon sur le mur, agitaient leurs jambes, en fauchant avec leurs sabots les grandes orties poussĂ©es entre la petite enceinte et les derniĂšres tombes. C'Ă©tait la seule place qui fĂ»t verte ; tout le reste n'Ă©tait que pierres, et couvert continuellement d'une poudre fine, malgrĂ© le balai de la sacristie. Les enfants en chaussons couraient lĂ comme sur un parquet fait pour eux, et on entendait les Ă©clats de leurs voix Ă travers le bourdonnement de la cloche. Il diminuait avec les oscillations de la grosse corde qui, tombant des hauteurs du clocher, traĂnait Ă terre par le bout. Des hirondelles passaient en poussant de petits cris, coupaient l'air au tranchant de leur vol, et rentraient vite dans leurs nids jaunes, sous les tuiles du larmier. Au fond de l'Ă©glise, une lampe brĂ»lait, c'est-Ă -dire une mĂšche de veilleuse dans un verre suspendu. Sa lumiĂšre, de loin, semblait une tache blanchĂÂątre qui tremblait sur l'huile. Un long rayon de soleil traversait toute la nef et rendait plus sombres encore les bas-cĂÂŽtĂ©s et les angles. - OĂÂč est le curĂ© ? demanda madame Bovary Ă un jeune garçon qui s'amusait Ă secouer le tourniquet dans son trou trop lĂÂąche. - Il va venir, rĂ©pondit-il. En effet, la porte du presbytĂšre grinça, l'abbĂ© Bournisien parut ; les enfants, pĂÂȘle-mĂÂȘle, s'enfuirent dans l'Ă©glise. - Ces polissons-lĂ ! murmura l'ecclĂ©siastique, toujours les mĂÂȘmes ! Et, ramassant un catĂ©chisme en lambeaux qu'il venait de heurter avec son pied ! - ĂâĄa ne respecte rien ! Mais, dĂšs qu'il aperçut madame Bovary - Excusez-moi, dit-il, je ne vous remettais pas. Il fourra le catĂ©chisme dans sa poche et s'arrĂÂȘta, continuant Ă balancer entre deux doigts la lourde clef de la sacristie. La lueur du soleil couchant qui frappait en plein son visage pĂÂąlissait le lasting de sa soutane, luisante sous les coudes, effiloquĂ©e par le bas. Des taches de graisse et de tabac suivaient sur sa poitrine large la ligne des petits boutons, et elles devenaient plus nombreuses en s'Ă©cartant de son rabat, oĂÂč reposaient les plis abondants de sa peau rouge ; elle Ă©tait semĂ©e de macules jaunes qui disparaissaient dans les poils rudes de sa barbe grisonnante. Il venait de dĂner et respirait bruyamment. - Comment vous portez-vous ? ajouta-t-il. - Mal, rĂ©pondit Emma ; je souffre. - Eh bien, moi aussi, reprit l'ecclĂ©siastique. Ces premiĂšres chaleurs, n'est-ce pas, vous amollissent Ă©tonnamment ? Enfin, que voulez-vous ! nous sommes nĂ©s pour souffrir, comme dit saint Paul. Mais, M. Bovary, qu'est-ce qu'il en pense ? - Lui ! fit-elle avec un geste de dĂ©dain. - Quoi ! rĂ©pliqua le bonhomme tout Ă©tonnĂ©, il ne vous ordonne pas quelque chose ? - Ah ! dit Emma, ce ne sont pas les remĂšdes de la terre qu'il me faudrait. Mais le curĂ©, de temps Ă autre, regardait dans l'Ă©glise, oĂÂč tous les gamins agenouillĂ©s se poussaient de l'Ă©paule, et tombaient comme des capucins de cartes. - Je voudrais savoir..., reprit-elle. - Attends, attends, Riboudet, cria l'ecclĂ©siastique d'une voix colĂšre, je m'en vas aller te chauffer les oreilles, mauvais galopin ! Puis, se tournant vers Emma - C'est le fils de Boudet le charpentier ; ses parents sont Ă leur aise et lui laissent faire ses fantaisies. Pourtant il apprendrait vite, s'il le voulait, car il est plein d'esprit. Et moi quelquefois, par plaisanterie, je l'appelle donc Riboudet comme la cĂÂŽte que l'on prend pour aller Ă Maromme , et je dis mĂÂȘme mon Riboudet. Ah ! ah ! Mont-Riboudet ! L'autre jour, j'ai rapportĂ© ce mot-lĂ Ă Monseigneur, qui en a ri... il a daignĂ© en rire. - Et M. Bovary, comment va-t-il ? Elle semblait ne pas entendre. Il continua - Toujours fort occupĂ©, sans doute ? car nous sommes certainement, lui et moi, les deux personnes de la paroisse qui avons le plus Ă faire. Mais lui, il est le mĂ©decin des corps, ajouta-t-il avec un rire Ă©pais, et moi, je le suis des ĂÂąmes ! Elle fixa sur le prĂÂȘtre des yeux suppliants. - Oui..., dit-elle, vous soulagez toutes les misĂšres. - Ah ! ne m'en parlez pas, madame Bovary ! Ce matin mĂÂȘme, il a fallu que j'aille dans le Bas-Diauville pour une vache qui avait l'enfle ; ils croyaient que c'Ă©tait un sort. Toutes leurs vaches, je ne sais comment... Mais, pardon ! Longuemarre et Boudet ! Sac Ă papier ! voulez-vous bien finir ! Et, d'un bond, il s'Ă©lança dans l'Ă©glise. Les gamins, alors, se pressaient autour du grand pupitre, grimpaient sur le tabouret du chantre, ouvraient le missel ; et d'autres, Ă pas de loup, allaient se hasarder bientĂÂŽt jusque dans le confessionnal. Mais le curĂ©, soudain, distribua sur tous une grĂÂȘle de soufflets. Les prenant par le collet de la veste, il les enlevait de terre et les reposait Ă deux genoux sur les pavĂ©s du choeur, fortement, comme s'il eĂ»t voulu les y planter. - Allez, dit-il quand il fut revenu prĂšs d'Emma, et en dĂ©ployant son large mouchoir d'indienne, dont il mit un angle entre ses dents, les cultivateurs sont bien Ă plaindre ! - Il y en a d'autres, rĂ©pondit-elle. - AssurĂ©ment ! les ouvriers des villes, par exemple. - Ce ne sont pas eux... - Pardonnez-moi ! j'ai connu lĂ de pauvres mĂšres de famille, des femmes vertueuses, je vous assure, de vĂ©ritables saintes, qui manquaient mĂÂȘme de pain. - Mais celles, reprit Emma et les coins de sa bouche se tordaient en parlant , celles, monsieur le curĂ©, qui ont du pain, et qui n'ont pas... - De feu l'hiver, dit le prĂÂȘtre. - Eh ! qu'importe ? - Comment ! qu'importe ? Il me semble, Ă moi, que lorsqu'on est bien chauffĂ©, bien nourri..., car enfin... - Mon Dieu ! mon Dieu ! soupirait-elle. - Vous vous trouvez gĂÂȘnĂ©e ? fit-il, en s'avançant d'un air inquiet ; c'est la digestion, sans doute ? Il faut rentrer chez vous, madame Bovary, boire un peu de thĂ© ; ça vous fortifiera, ou bien un verre d'eau fraĂche avec de la cassonade. - Pourquoi ? Et elle avait l'air de quelqu'un qui se rĂ©veille d'un songe. - C'est que vous passiez la main sur votre front. J'ai cru qu'un Ă©tourdissement vous prenait. Puis, se ravisant - Mais vous me demandiez quelque chose ? Qu'est-ce donc ? Je ne sais plus. - Moi ? Rien..., rien,. ., rĂ©pĂ©tait Emma. Et son regard, qu'elle promenait autour d'elle, s'abaissa lentement sur le vieillard Ă soutane. Ils se considĂ©raient tous les deux, face Ă face, sans parler. - Alors, madame Bovary, dit-il enfin, faites excuse, mais le devoir avant tout, vous savez ; il faut que j'expĂ©die mes garnements. VoilĂ les premiĂšres communions qui vont venir. Nous serons encore surpris, j'en ai peur ! Aussi, Ă partir de l'Ascension, je les tiens recta tous les mercredis une heure de plus. Ces pauvres enfants ! on ne saurait les diriger trop tĂÂŽt dans la voie du Seigneur, comme, du reste, il nous l'a recommandĂ© lui-mĂÂȘme par la bouche de son divin Fils... Bonne santĂ©, madame ; mes respects Ă monsieur votre mari ! Et il entra dans l'Ă©glise, en faisant dĂšs la porte une gĂ©nuflexion. Emma le vit qui disparaissait entre la double ligne des bancs, marchant Ă pas lourds, la tĂÂȘte un peu penchĂ©e sur l'Ă©paule, et avec ses deux mains entrouvertes, qu'il portait en dehors. Puis elle tourna sur ses talons, tout d'un bloc comme une statue sur un pivot, et prit le chemin de sa maison. Mais la grosse voix du curĂ©, la voix claire des gamins arrivaient encore Ă son oreille et continuaient derriĂšre elle - Etes-vous chrĂ©tien ? - Oui, je suis chrĂ©tien. - Qu'est-ce qu'un chrĂ©tien ? - C'est celui qui, Ă©tant baptisĂ©..., baptisĂ©..., baptisĂ©. Elle monta les marches de son escalier en se tenant Ă la rampe, et, quand elle fut dans sa chambre, se laissa tomber dans un fauteuil. Le jour blanchĂÂątre des carreaux s'abaissait doucement avec des ondulations. Les meubles Ă leur place semblaient devenus plus immobiles et se perdre dans l'ombre comme dans un ocĂ©an tĂ©nĂ©breux. La cheminĂ©e Ă©tait Ă©teinte, la pendule battait toujours, et Emma vaguement s'Ă©bahissait Ă ce calme des choses, tandis qu'il y avait en elle-mĂÂȘme tant de bouleversements. Mais, entre la fenĂÂȘtre et la table Ă ouvrage, la petite Berthe Ă©tait lĂ , qui chancelait sur ses bottines de tricot, et essayait de se rapprocher de sa mĂšre, pour lui saisir, par le bout, les rubans de son tablier. - Laisse-moi ! dit celle-ci en l'Ă©cartant avec la main. La petite fille bientĂÂŽt revint plus prĂšs encore contre ses genoux ; et, s'y appuyant des bras, elle levait vers elle son gros oeil bleu, pendant qu'un filet de salive pure dĂ©coulait de sa lĂšvre sur la soie du tablier. - Laisse-moi ! rĂ©pĂ©ta la jeune femme tout irritĂ©e. Sa figure Ă©pouvanta l'enfant, qui se mit Ă crier. - Eh ! laisse-moi donc ! fit-elle en la repoussant du coude. Berthe alla tomber au pied de la commode, contre la patĂšre de cuivre ; elle s'y coupa la joue, le sang sortit. Madame Bovary se prĂ©cipita pour la relever, cassa le cordon de la sonnette, appela la servante de toutes ses forces, et elle allait commencer Ă se maudire, lorsque Charles parut. C'Ă©tait l'heure du dĂner, il rentrait. - Regarde donc, cher ami, lui dit Emma d'une voix tranquille voilĂ la petite qui, en jouant, vient de se blesser par terre. Charles la rassura, le cas n'Ă©tait point grave, et il alla chercher du diachylum. Madame Bovary ne descendit pas dans la salle ; elle voulut demeurer seule Ă garder son enfant. Alors, en la contemplant dormir, ce qu'elle conservait d'inquiĂ©tude se dissipa par degrĂ©s, et elle se parut Ă elle-mĂÂȘme bien sotte et bien bonne de s'ĂÂȘtre troublĂ©e tout Ă l'heure pour si peu de chose. Berthe, en effet, ne sanglotait plus. Sa respiration, maintenant, soulevait insensiblement la couverture de coton. De grosses larmes s'arrĂÂȘtaient au coin de ses paupiĂšres Ă demi closes, qui laissaient voir entre les cils deux prunelles pĂÂąles, enfoncĂ©es ; le sparadrap, collĂ© sur sa joue, en tirait obliquement la peau tendue. - C'est une chose Ă©trange, pensait Emma, comme cette enfant est laide ! Quand Charles, Ă onze heures du soir, revint de la pharmacie oĂÂč il avait Ă©tĂ© remettre, aprĂšs le dĂner, ce qui lui restait du diachylum , il trouva sa femme debout auprĂšs du berceau. - Puisque je t'assure que ce ne sera rien, dit-il en la baisant au front ; ne te tourmente pas, pauvre chĂ©rie, tu te rendras malade ! Il Ă©tait restĂ© longtemps chez l'apothicaire. Bien qu'il ne s'y fĂ»t pas montrĂ© fort Ă©mu, M. Homais, nĂ©anmoins, s'Ă©tait efforcĂ© de le raffermir, de lui remonter le moral . Alors on avait causĂ© des dangers divers qui menaçaient l'enfance et de l'Ă©tourderie des domestiques. Madame Homais en savait quelque chose, ayant encore sur la poitrine les marques d'une Ă©cuellĂ©e de braise qu'une cuisiniĂšre, autrefois, avait laissĂ© tomber dans son sarrau. Aussi ces bons parents prenaient-ils quantitĂ© de prĂ©cautions. Les couteaux jamais n'Ă©taient affilĂ©s, ni les appartements cirĂ©s. Il y avait aux fenĂÂȘtres des grilles en fer et aux chambranles de fortes barres. Les petits Homais, malgrĂ© leur indĂ©pendance, ne pouvaient remuer sans un surveillant derriĂšre eux ; au moindre rhume, leur pĂšre les bourrait de pectoraux, et jusqu'Ă plus de quatre ans ils portaient tous, impitoyablement, des bourrelets matelassĂ©s. C'Ă©tait, il est vrai, une manie de madame Homais ; son Ă©poux en Ă©tait intĂ©rieurement affligĂ©, redoutant pour les organes de l'intellect les rĂ©sultats possibles d'une pareille compression, et il s'Ă©chappait jusqu'Ă lui dire - Tu prĂ©tends donc en faire des CaraĂÂŻbes ou des Botocudos ? Charles, cependant, avait essayĂ© plusieurs fois d'interrompre la conversation. - J'aurais Ă vous entretenir, avait-il soufflĂ© bas Ă l'oreille du clerc, qui se mit Ă marcher devant lui dans l'escalier. - Se douterait-il de quelque chose ? se demandait LĂ©on. Il avait des battements de coeur et se perdait en conjectures. Enfin Charles, ayant fermĂ© la porte, le pria de voir lui-mĂÂȘme Ă Rouen quels pouvaient ĂÂȘtre les prix d'un beau daguerrĂ©otype ; c'Ă©tait une surprise sentimentale qu'il rĂ©servait Ă sa femme, une attention fine, son portrait en habit noir. Mais il voulait auparavant savoir Ă quoi s'en tenir ; ces dĂ©marches ne devaient pas embarrasser M. LĂ©on, puisqu'il allait Ă la ville toutes les semaines, Ă peu prĂ©s. Dans quel but ? Homais soupçonnait lĂ -dessous quelque histoire de jeune homme , une intrigue. Mais il se trompait ; LĂ©on ne poursuivait aucune amourette. Plus que jamais il Ă©tait triste, et madame Lefrançois s'en apercevait bien Ă la quantitĂ© de nourriture qu'il laissait maintenant sur son assiette. Pour en savoir plus long, elle interrogea le percepteur ; Binet rĂ©pliqua, d'un ton rogue, qu'il n'Ă©tait point payĂ© par la police . Son camarade, toutefois, lui paraissait fort singulier ; car souvent LĂ©on se renversait sur sa chaise en Ă©cartant les bras, et se plaignait vaguement de l'existence. - C'est que vous ne prenez point assez de distraction, disait le percepteur. - Lesquelles ? - Moi, Ă votre place, j'aurais un tour ! - Mais je ne sais pas tourner, rĂ©pondait le clerc. - Oh ! c'est vrai ! faisait l'autre en caressant sa mĂÂąchoire, avec un air de dĂ©dain mĂÂȘlĂ© de satisfaction. LĂ©on Ă©tait las d'aimer sans rĂ©sultat ; puis il commençait Ă sentir cet accablement que vous cause la rĂ©pĂ©tition de la mĂÂȘme vie, lorsque aucun intĂ©rĂÂȘt ne la dirige et qu'aucune espĂ©rance ne la soutient. Il Ă©tait si ennuyĂ© d'Yonville et des Yonvillais, que la vue de certaines gens, de certaines maisons l'irritait Ă n'y pouvoir tenir ; et le pharmacien, tout bonhomme qu'il Ă©tait, lui devenait complĂštement insupportable. Cependant, la perspective d'une situation nouvelle l'effrayait autant qu'elle le sĂ©duisait. Cette apprĂ©hension se tourna vite en impatience, et Paris alors agita pour lui, dans le lointain, la fanfare de ses bals masquĂ©s avec le rire de ses grisettes. Puisqu'il devait y terminer son droit, pourquoi ne partait-il pas ? qui l'empĂÂȘchait ? Et il se mit Ă faire des prĂ©paratifs intĂ©rieurs il arrangea d'avance ses occupations. Il se meubla, dans sa tĂÂȘte, un appartement. Il y mĂšnerait une vie d'artiste ! Il y prendrait des leçons de guitare ! Il aurait une robe de chambre, un bĂ©ret basque, des pantoufles de velours bleu ! Et mĂÂȘme il admirait dĂ©jĂ sur sa cheminĂ©e deux fleurets en sautoir, avec une tĂÂȘte de mort et la guitare au-dessus. La chose difficile Ă©tait le consentement de sa mĂšre ; rien pourtant ne paraissait plus raisonnable. Son patron mĂÂȘme l'engageait Ă visiter une autre Ă©tude, oĂÂč il pĂ»t se dĂ©velopper davantage. Prenant donc un parti moyen, LĂ©on chercha quelque place de second clerc Ă Rouen, n'en trouva pas, et Ă©crivit enfin Ă sa mĂšre une longue lettre dĂ©taillĂ©e, oĂÂč il exposait les raisons d'aller habiter Paris immĂ©diatement. Elle y consentit. Il ne se hĂÂąta point. Chaque jour, durant tout un mois Hivert transporta pour lui d'Yonville Ă Rouen, de Rouen Ă Yonville, des coffres, des valises, des paquets ; et, quand LĂ©on eut remontĂ© sa garde-robe, fait rembourrer ses trois fauteuils, achetĂ© une provision de foulards, pris en un mot plus de dispositions que pour un voyage autour du monde, il s'ajourna de semaine en semaine, jusqu'Ă ce qu'il reçût une seconde lettre maternelle oĂÂč on le pressait de partir, puisqu'il dĂ©sirait, avant les vacances passer son examen. Lorsque le moment fut venu des embrassades, madame Homais pleura ; Justin sanglotait ; Homais, en homme fort, dissimula son Ă©motion ; il voulut lui-mĂÂȘme porter le paletot de son ami jusqu'Ă la grille du notaire, qui emmenait LĂ©on Ă Rouen dans sa voiture. Ce dernier avait juste le temps de faire ses adieux Ă M. Bovary. Quand il fut au haut de l'escalier, il s'arrĂÂȘta, tant il se sentait hors d'haleine. A son entrĂ©e, madame Bovary se leva vivement. - C'est encore moi ! dit LĂ©on. - J'en Ă©tais sĂ»re ! Elle se mordit les lĂšvres, et un flot de sang lui courut sous la peau, qui se colora tout en rose, depuis la racine des cheveux jusqu'au bord de sa collerette. Elle restait debout, s'appuyant de l'Ă©paule contre la boiserie. - Monsieur n'est donc pas lĂ ? reprit-il. - Il est absent. Elle rĂ©pĂ©ta - Il est absent. Alors il y eut un silence. Ils se regardĂšrent ; et leurs pensĂ©es, confondues dans la mĂÂȘme angoisse, s'Ă©treignaient Ă©troitement, comme deux poitrines palpitantes. - Je voudrais bien embrasser Berthe, dit LĂ©on. Emma descendit quelques marches, et elle appela FĂ©licitĂ©. Il jeta vite autour de lui un large coup d'oeil qui s'Ă©tala sur les murs, les Ă©tagĂšres, la cheminĂ©e, comme pour pĂ©nĂ©trer tout, emporter tout. Mais elle rentra, et la servante amena Berthe, qui secouait au bout d'une ficelle un moulin Ă vent la tĂÂȘte en bas. LĂ©on la baisa sur le cou Ă plusieurs reprises. - Adieu, pauvre enfant ! adieu, chĂšre petite, adieu ! Et il la remit Ă sa mĂšre. - Emmenez-la, dit celle-ci. Ils restĂšrent seuls. Madame Bovary, le dos tournĂ©, avait la figure posĂ©e contre un carreau ; LĂ©on tenait sa casquette Ă la main et la battait doucement le long de sa cuisse. - Il va pleuvoir, dit Emma. - J'ai un manteau, rĂ©pondit-il. - Ah ! Elle se dĂ©tourna, le menton baissĂ© et le front en avant. La lumiĂšre y glissait comme sur un marbre, jusqu'Ă la courbe des sourcils, sans que l'on pĂ»t savoir ce qu'Emma regardait Ă l'horizon ni ce qu'elle pensait au fond d'elle-mĂÂȘme. - Allons, adieu ! soupira-t-il. Elle releva sa tĂÂȘte d'un mouvement brusque - Oui, adieu..., partez ! Ils s'avancĂšrent l'un vers l'autre ; il tendit la main, elle hĂ©sita. - A l'anglaise donc, fit-elle abandonnant la sienne tout en s'efforçant de rire. LĂ©on la sentit entre ses doigts, et la substance mĂÂȘme de tout son ĂÂȘtre lui semblait descendre dans cette paume humide. Puis il ouvrit la main ; leurs yeux se rencontrĂšrent encore, et il disparut. Quand il fut sous les halles, il s'arrĂÂȘta, et il se cacha derriĂšre un pilier, afin de contempler une derniĂšre fois cette maison blanche avec ses quatre jalousies vertes. Il crut voir une ombre derriĂšre la fenĂÂȘtre, dans la chambre ; mais le rideau, se dĂ©crochant de la patĂšre comme si personne n'y touchait, remua lentement ses longs plis obliques, qui d'un seul bond s'Ă©talĂšrent tous, et il resta droit, plus immobile qu'un mur de plĂÂątre. LĂ©on se mit Ă courir. Il aperçut de loin, sur la route, le cabriolet de son patron, et Ă cĂÂŽtĂ© un homme en serpilliĂšre qui tenait le cheval. Homais et M. Guillaumin causaient ensemble. On l'attendait. - Embrassez-moi, dit l'apothicaire les larmes aux yeux. VoilĂ votre paletot, mon bon ami ; prenez garde au froid ! Soignez-vous ! mĂ©nagez-vous ! - Allons, LĂ©on, en voiture ! dit le notaire. Homais se pencha sur le garde-crotte, et d'une voix entrecoupĂ©e par les sanglots, laissa tomber ces deux mots tristes - Bon voyage ! - Bonsoir, rĂ©pondit M. Guillaumin. LĂÂąchez tout ! Ils partirent, et Homais s'en retourna. Madame Bovary avait ouvert sa fenĂÂȘtre sur le jardin, et elle regardait les nuages. Ils s'amoncelaient au couchant du cĂÂŽtĂ© de Rouen, et roulaient vite leurs volutes noires, d'oĂÂč dĂ©passaient par derriĂšre les grandes lignes du soleil, comme les flĂšches d'or d'un trophĂ©e suspendu, tandis que le reste du ciel vide avait la blancheur d'une porcelaine. Mais une rafale de vent fit se courber les peupliers, et tout Ă coup la pluie tomba ; elle crĂ©pitait sur les feuilles vertes. Puis le soleil reparut, les poules chantĂšrent, des moineaux battaient des ailes dans les buissons humides, et les flaques d'eau sur le sable emportaient en s'Ă©coulant les fleurs roses d'un acacia. - Ah ! qu'il doit ĂÂȘtre loin dĂ©jĂ ! pensa-t-elle. M. Homais, comme de coutume, vint Ă six heures et demie, pendant le dĂner. - Eh bien, dit-il en s'asseyant, nous avons donc tantĂÂŽt embarquĂ© notre jeune homme ? Il paraĂt ! rĂ©pondit le mĂ©decin. Puis, se tournant sur sa chaise - Et quoi de neuf chez vous ? Pas grand-chose. Ma femme, seulement, a Ă©tĂ©, cette aprĂšs-midi, un peu Ă©mue. Vous savez, les femmes, un rien les trouble ! la mienne surtout ! Et l'on aurait tort de se rĂ©volter lĂ contre, puisque leur organisation nerveuse est beaucoup plus mallĂ©able que la nĂÂŽtre. - Ce pauvre LĂ©on ! disait Charles, comment va-t-il vivre Ă Paris ?... S'y accoutumera-t-il ? Madame Bovary soupira. - Allons donc ! dit le pharmacien en claquant de la langue, les parties fines chez le traiteur ! les bals masquĂ©s ! le champagne ! tout cela va rouler, je vous assure. - Je ne crois pas qu'il se dĂ©range, objecta Bovary. - Ni moi ! reprit vivement M. Homais, quoiqu'il lui faudra pourtant suivre les autres, au risque de passer pour un jĂ©suite. Eh, vous ne savez pas la vie que mĂšnent ces farceurs-lĂ , dans le quartier Latin, avec les actrices ! Du reste, les Ă©tudiants sont fort bien vus Ă Paris. Pour peu qu'ils aient quelque talent d'agrĂ©ment, on les reçoit dans les meilleures sociĂ©tĂ©s, et il y a mĂÂȘme des dames du faubourg Saint-Germain qui en deviennent amoureuses, ce qui leur fournit, par la suite, les occasions de faire de trĂšs beaux mariages. - Mais, dit le mĂ©decin, j'ai peur pour lui que... lĂ -bas... - Vous avez raison, interrompit l'apothicaire, c'est le revers de la mĂ©daille ! et l'on y est obligĂ© continuellement d'avoir la main posĂ©e sur son gousset. Ainsi, vous ĂÂȘtes dans un jardin public, je suppose ; un quidam se prĂ©sente, bien mis, dĂ©corĂ© mĂÂȘme, et qu'on prendrait pour un diplomate ; il vous aborde ; vous causez ; il s'insinue, vous offre une prise ou vous ramasse votre chapeau. Puis on se lie davantage ; il vous mĂšne au cafĂ©, vous invite Ă venir dans sa maison de campagne, vous fait faire, entre deux vins, toutes sortes de connaissances, et, les trois quarts du temps ce n'est que pour flibuster votre bourse ou vous entraĂner en des dĂ©marches pernicieuses. - C'est vrai, rĂ©pondit Charles ; mais je pensais surtout aux maladies, Ă la fiĂšvre typhoĂÂŻde, par exemple, qui attaque les Ă©tudiants de la province. Emma tressaillit. - A cause du changement de rĂ©gime, continua le pharmacien, et de la perturbation qui en rĂ©sulte dans l'Ă©conomie gĂ©nĂ©rale. Et puis, l'eau de Paris, voyez-vous ! les mets des restaurateurs, toutes ces nourritures Ă©picĂ©es finissent par vous Ă©chauffer le sang et ne valent pas, quoi qu'on en dise, un bon pot-au-feu. J'ai toujours, quant Ă moi, prĂ©fĂ©rĂ© la cuisine bourgeoise c'est plus sain ! Aussi, lorsque j'Ă©tudiais Ă Rouen la pharmacie, je m'Ă©tais mis en pension dans une pension ; je mangeais avec les professeurs. Et il continua donc Ă exposer ses opinions gĂ©nĂ©rales et ses sympathies personnelles, jusqu'au moment oĂÂč Justin vint le chercher pour un lait de poule qu'il fallait faire. - Pas un instant de rĂ©pit ! s'Ă©cria-t-il, toujours Ă la chaĂne ! Je ne peux sortir une minute ! Il faut, comme un cheval de labour, ĂÂȘtre Ă suer sang et eau ! Quel collier de misĂšre ! Puis, quand il fut sur la porte - A propos, dit-il, savez-vous la nouvelle ? - Quoi donc ? - C'est qu'il est fort probable, reprit Homais en dressant ses sourcils et en prenant une figure des plus sĂ©rieuses, que les Comices agricoles de la Seine-InfĂ©rieure se tiendront cette annĂ©e Ă Yonville-l'Abbaye. Le bruit, du moins, en circule. Ce matin, le journal en touchait quelque chose. Ce serait pour notre arrondissement de la derniĂšre importance ! Mais nous en causerons plus tard. J'y vois, je vous remercie ; Justin a la lanterne. VII. Le lendemain fut, pour Emma, une journĂ©e funĂšbre. Tout lui parut enveloppĂ© par une atmosphĂšre noire qui flottait confusĂ©ment sur l'extĂ©rieur des choses, et le chagrin s'engouffrait dans son ĂÂąme avec des hurlements doux, comme fait le vent d'hiver dans les chĂÂąteaux abandonnĂ©s. C'Ă©tait cette rĂÂȘverie que l'on a sur ce qui ne reviendra plus, la lassitude qui vous prend aprĂšs chaque fait accompli, cette douleur enfin que vous apportent l'interruption de tout mouvement accoutumĂ©, la cessation brusque d'une vibration prolongĂ©e. Comme au retour de la Vaubyessard, quand les quadrilles tourbillonnaient dans sa tĂÂȘte, elle avait une mĂ©lancolie morne, un dĂ©sespoir engourdi. LĂ©on rĂ©apparaissait plus grand, plus beau, plus suave, plus vague ; quoiqu'il fĂ»t sĂ©parĂ© d'elle, il ne l'avait pas quittĂ©e, il Ă©tait lĂ , et les murailles de la maison semblaient garder son ombre. Elle ne pouvait dĂ©tacher sa vue de ce tapis oĂÂč il avait marchĂ©, de ces meubles vides oĂÂč il s'Ă©tait assis. La riviĂšre coulait toujours, et poussait lentement ses petits flots le long de la berge glissante. Ils s'y Ă©taient promenĂ©s bien des fois, Ă ce mĂÂȘme murmure des ondes, sur les cailloux couverts de mousse. Quels bons soleils ils avaient eus ! quelles bonnes aprĂšs-midi, seuls, Ă l'ombre, dans le fond du jardin ! Il lisait tout haut, tĂÂȘte nue, posĂ© sur un tabouret de bĂÂątons secs ; le vent frais de la prairie faisait trembler les pages du livre et les capucines de la tonnelle... Ah ! il Ă©tait parti, le seul charme de sa vie, le seul espoir possible d'une fĂ©licitĂ© ! Comment n'avait-elle pas saisi ce bonheur-lĂ , quand il se prĂ©sentait ! Pourquoi ne l'avoir pas retenu Ă deux mains, Ă deux genoux, quand il voulait s'enfuir ? Et elle se maudit de n'avoir pas aimĂ© LĂ©on ; elle eut soif de ses lĂšvres. L'envie la prit de courir le rejoindre, de se jeter dans ses bras, de lui dire " C'est moi, je suis Ă toi ! " Mais Emma s'embarrassait d'avance aux difficultĂ©s de l'entreprise, et ses dĂ©sirs, s'augmentant d'un regret, n'en devenaient que plus actifs. DĂšs lors, ce souvenir de LĂ©on fut comme le centre de son ennui ; il y pĂ©tillait plus fort que, dans un steppe de Russie, un feu de voyageurs abandonnĂ© sur la neige. Elle se prĂ©cipitait vers lui, elle se blottissait contre, elle remuait dĂ©licatement ce foyer prĂšs de s'Ă©teindre, elle allait cherchant tout autour d'elle ce qui pouvait l'aviver davantage ; et les rĂ©miniscences les plus lointaines comme les plus immĂ©diates occasions, ce qu'elle Ă©prouvait avec ce qu'elle imaginait, ses envies de voluptĂ© qui se dispersaient, ses projets de bonheur qui craquaient au vent comme des branchages morts, sa vertu stĂ©rile, ses espĂ©rances tombĂ©es, la litiĂšre domestique, elle ramassait tout, prenait tout, et faisait servir tout Ă rĂ©chauffer sa tristesse. Cependant les flammes s'apaisĂšrent, soit que la provision d'elle-mĂÂȘme s'Ă©puisĂÂąt, ou que l'entassement fĂ»t trop considĂ©rable. L'amour, peu Ă peu, s'Ă©teignit par l'absence, le regret s'Ă©touffa sous l'habitude ; et cette lueur d'incendie qui empourprait son ciel pĂÂąle se couvrit de plus d'ombre et s'effaça par degrĂ©s. Dans l'assoupissement de sa conscience, elle prit mĂÂȘme les rĂ©pugnances du mari pour des aspirations vers l'amant, les brĂ»lures de la haine pour des rĂ©chauffements de la tendresse ; mais, comme l'ouragan soufflait toujours, et que la passion se consuma jusqu'aux cendres, et qu'aucun secours ne vint, qu'aucun soleil ne parut, il fut de tous cĂÂŽtĂ©s nuit complĂšte, et elle demeura perdue dans un froid horrible qui la traversait. Alors les mauvais jours de Tostes recommencĂšrent. Elle s'estimait Ă prĂ©sent beaucoup plus malheureuse car elle avait l'expĂ©rience du chagrin, avec la certitude qu'il ne finirait pas. Une femme qui s'Ă©tait imposĂ© de si grands sacrifices pouvait bien se passer des fantaisies. Elle s'acheta un prie-Dieu gothique, et elle dĂ©pensa en un mois pour quatorze francs de citrons Ă se nettoyer les ongles ; elle Ă©crivit Ă Rouen, afin d'avoir une robe en cachemire bleu ; elle choisit chez Lheureux la plus belle de ses Ă©charpes ; elle se la nouait Ă la taille par-dessus sa robe de chambre ; et, les volets fermĂ©s, avec un livre Ă la main, elle restait Ă©tendue sur un canapĂ© dans cet accoutrement. Souvent, elle variait sa coiffure elle se mettait Ă la chinoise, en boucles molles, en nattes tressĂ©es ; elle se fit une raie sur le cĂÂŽtĂ© de la tĂÂȘte et roula ses cheveux en dessous, comme un homme. Elle voulut apprendre l'italien elle acheta des dictionnaires, une grammaire, une provision de papier blanc. Elle essaya des lectures sĂ©rieuses, de l'histoire et de la philosophie. La nuit, quelquefois, Charles se rĂ©veillait en sursaut, croyant qu'on venait le chercher pour un malade - J'y vais, balbutiait-il. Et c'Ă©tait le bruit d'une allumette qu'Emma frottait afin de rallumer sa lampe. Mais il en Ă©tait de ses lectures comme de ses tapisseries, qui, toutes commencĂ©es encombraient son armoire ; elle les prenait, les quittait, passait Ă d'autres. Elle avait des accĂšs, oĂÂč on l'eĂ»t poussĂ©e facilement Ă des extravagances. Elle soutint un jour, contre son mari, qu'elle boirait bien un grand demi-verre d'eau-de-vie, et, comme Charles eut la bĂÂȘtise de l'en dĂ©fier, elle avala l'eau-de-vie jusqu'au bout. MalgrĂ© ses airs Ă©vaporĂ©s c'Ă©tait le mot des bourgeoises d'Yonville , Emma pourtant ne paraissait pas joyeuse, et, d'habitude, elle gardait aux coins de la bouche cette immobile contraction qui plisse la figure des vieilles filles et celle des ambitieux dĂ©chus. Elle Ă©tait pĂÂąle partout, blanche comme du linge ; la peau du nez se tirait vers les narines, ses yeux vous regardaient d'une maniĂšre vague Pour s'ĂÂȘtre dĂ©couvert trois cheveux gris sur les tempes, elle parla beaucoup de sa vieillesse. Souvent des dĂ©faillances la prenaient. Un jour mĂÂȘme, elle eut un crachement de sang, et, comme Charles s'empressait, laissant apercevoir son inquiĂ©tude - Ah bah ! rĂ©pondit-elle, qu'est-ce que cela fait ? Charles s'alla rĂ©fugier dans son cabinet ; et il pleura, les deux coudes sur la table, assis dans son fauteuil de bureau, sous la tĂÂȘte phrĂ©nologique. Alors il Ă©crivit Ă sa mĂšre pour la prier de venir, et ils eurent ensemble de longues confĂ©rences au sujet d'Emma. A quoi se rĂ©soudre ? que faire, puisqu'elle se refusait Ă tout traitement ? - Sais-tu ce qu'il faudrait Ă ta femme ? reprenait la mĂšre Bovary. Ce seraient des occupations forcĂ©es, des ouvrages manuels ! Si elle Ă©tait comme tant d'autres, contrainte Ă gagner son pain, elle n'aurait pas ces vapeurs-lĂ , qui lui viennent d'un tas d'idĂ©es qu'elle se fourre dans la tĂÂȘte, et du dĂ©soeuvrement oĂÂč elle vit. - Pourtant elle s'occupe, disait Charles. - Ah ! elle s'occupe ! A quoi donc ? A lire des romans, de mauvais livres, des ouvrages qui sont contre la religion et dans lesquels on se moque des prĂÂȘtres par des discours tirĂ©s de Voltaire. Mais tout cela va loin, mon pauvre enfant, et quelqu'un qui n'a pas de religion finit toujours par tourner mal. Donc, il fut rĂ©solu que l'on empĂÂȘcherait Emma de lire des romans. L'entreprise ne semblait point facile. La bonne dame s'en chargea elle devait quand elle passerait par Rouen, aller en personne chez le loueur de livres et lui reprĂ©senter qu'Emma cessait ses abonnements. N'aurait-on pas le droit d'avertir la police, si le libraire persistait quand mĂÂȘme dans son mĂ©tier d'empoisonneur ? Les adieux de la belle-mĂšre et de la bru furent secs. Pendant les trois semaines qu'elles Ă©taient restĂ©es ensemble, elles n'avaient pas Ă©changĂ© quatre paroles, Ă part les informations et compliments quand elles se rencontraient Ă table, et le soir avant de se mettre au lit. Madame Bovary mĂšre partit un mercredi, qui Ă©tait jour de marchĂ© Ă Yonville. La place, dĂšs le matin, Ă©tait encombrĂ©e par une file de charrettes qui, toutes Ă cul et les brancards en l'air, s'Ă©tendaient le long des maisons depuis l'Ă©glise jusqu'Ă l'auberge. De l'autre cĂÂŽtĂ©, il y avait des baraques de toile oĂÂč l'on vendait des cotonnades, des couvertures et des bas de laine, avec des licous pour les chevaux et des paquets de rubans bleus, qui par le bout s'envolaient au vent. De la grosse quincaillerie s'Ă©talait par terre, entre les pyramides d'oeufs et les bannettes de fromages, d'oĂÂč sortaient des pailles gluantes ; prĂšs des machines Ă blĂ©, des poules qui gloussaient dans des cages plates passaient leurs cous par les barreaux. La foule, s'encombrant au mĂÂȘme endroit sans en vouloir bouger, menaçait quelquefois de rompre la devanture de la pharmacie. Les mercredis, elle ne dĂ©semplissait pas et l'on s'y poussait, moins pour acheter des mĂ©dicaments que pour prendre des consultations, tant Ă©tait fameuse la rĂ©putation du sieur Homais dans les villages circonvoisins. Son robuste aplomb avait fascinĂ© les campagnards. Ils le regardaient comme un plus grand mĂ©decin que tous les mĂ©decins. Emma Ă©tait accoudĂ©e Ă sa fenĂÂȘtre elle s'y mettait souvent la fenĂÂȘtre, en province, remplace les thĂ©ĂÂątres et la promenade , et elle s'amusait Ă considĂ©rer la cohue des rustres, lorsqu'elle aperçut un monsieur vĂÂȘtu d'une redingote de velours vert. Il Ă©tait gantĂ© de gants jaunes, quoiqu'il fĂ»t chaussĂ© de fortes guĂÂȘtres ; et il se dirigeait vers la maison du mĂ©decin, suivi d'un paysan marchant la tĂÂȘte basse d'un air tout rĂ©flĂ©chi. - Puis-je voir Monsieur ? demanda-t-il Ă Justin, qui causait sur le seuil avec FĂ©licitĂ©. Et, le prenant pour le domestique de la maison - Dites-lui que M. Rodolphe Boulanger de la Huchette est lĂ . Ce n'Ă©tait point par vanitĂ© territoriale que le nouvel arrivant avait ajoutĂ© Ă son nom la particule, mais afin de se faire mieux connaĂtre. La Huchette, en effet, Ă©tait un domaine prĂšs d'Yonville, dont il venait d'acquĂ©rir le chĂÂąteau, avec deux fermes qu'il cultivait lui-mĂÂȘme, sans trop se gĂÂȘner cependant. Il vivait en garçon, et passait pour avoir au moins quinze mille livres de rentes ! Charles entra dans la salle. M. Boulanger lui prĂ©senta son homme, qui voulait ĂÂȘtre saignĂ© parce qu'il Ă©prouvait des fourmis le long du corps . - ĂâĄa me purgera, objectait-il Ă tous les raisonnements. Bovary commanda donc d'apporter une bande et une cuvette, et pria Justin de la soutenir. Puis, s'adressant au villageois dĂ©jĂ blĂÂȘme - N'ayez point peur, mon brave. - Non, non, rĂ©pondit l'autre, marchez toujours ! Et, d'un air fanfaron, il tendit son gros bras. Sous la piqĂ»re de la lancette, le sang jaillit et alla s'Ă©clabousser contre la glace. - Approche le vase ! exclama Charles. - GuĂÂȘte ! disait le paysan, on jurerait une petite fontaine qui coule ! Comme j'ai le sang rouge ! ce doit ĂÂȘtre bon signe, n'est-ce pas ? - Quelquefois, reprit l'officier de santĂ©, l'on n'Ă©prouve rien au commencement, puis la syncope se dĂ©clare, et plus particuliĂšrement chez les gens bien constituĂ©s, comme celui-ci. Le campagnard, Ă ces mots, lĂÂącha l'Ă©tui qu'il tournait entre ses doigts. Une saccade de ses Ă©paules fit craquer le dossier de la chaise. Son chapeau tomba. - Je m'en doutais, dit Bovary en appliquant son doigt sur la veine. La cuvette commençait Ă trembler aux mains de Justin ; ses genoux chancelĂšrent, il devint pĂÂąle. - Ma femme ! ma femme ! appela Charles. D'un bond, elle descendit l'escalier. - Du vinaigre ! cria-t-il. Ah ! mon Dieu, deux Ă la fois ! Et, dans son Ă©motion, il avait peine Ă poser la compresse. - Ce n'est rien, disait tout tranquillement M. Boulanger, tandis qu'il prenait Justin entre ses bras. Et il l'assit sur la table, lui appuyant le dos contre la muraille. Madame Bovary se mit Ă lui retirer sa cravate. Il y avait un noeud aux cordons de la chemise ; elle resta quelques minutes Ă remuer ses doigts lĂ©gers dans le cou du jeune garçon ; ensuite elle versa du vinaigre sur son mouchoir de batiste ; elle lui en mouillait les tempes Ă petits coups et elle soufflait dessus, dĂ©licatement. Le charretier se rĂ©veilla ; mais la syncope de Justin durait encore, et ses prunelles disparaissaient dans leur sclĂ©rotique pĂÂąle, comme des fleurs bleues dans du lait. - Il faudrait, dit Charles, lui cacher cela. Madame Bovary prit la cuvette. Pour la mettre sous la table, dans le mouvement qu'elle fit en s'inclinant, sa robe c'Ă©tait une robe d'Ă©tĂ© Ă quatre volants, de couleur jaune, longue de taille, large de jupe , sa robe s'Ă©vasa autour d'elle sur les carreaux de la salle ; - et, comme Emma, baissĂ©e, chancelait un peu en Ă©cartant les bras, le gonflement de l'Ă©toffe se crevait de place en place, selon les inflexions de son corsage. Ensuite elle alla prendre une carafe d'eau, et elle faisait fondre des morceaux de sucre lorsque le pharmacien arriva. La servante l'avait Ă©tĂ© chercher dans l'algarade ; en apercevant son Ă©lĂšve les yeux ouverts, il reprit haleine. Puis, tournant autour de lui, il le regardait de haut en bas. - Sot ! disait-il ; petit sot, vraiment ! sot en trois lettres ! Grand-chose, aprĂšs tout, qu'une phlĂ©botomie ! et un gaillard qui n'a peur de rien ! une espĂšce d'Ă©cureuil, tel que vous le voyez, qui monte locher des noix Ă des hauteurs vertigineuses. Ah ! oui, parle, vante-toi ! voilĂ de belles dispositions Ă exercer plus tard la pharmacie ; car tu peux te trouver appelĂ© en des circonstances graves, par-devant les tribunaux, afin d'y Ă©clairer la conscience des magistrats ; et il faudra pourtant garder son sang-froid, raisonner, se montrer homme, ou bien passer pour un imbĂ©cile ! Justin ne rĂ©pondait pas. L'apothicaire continuait - Qui t'a priĂ© de venir ? Tu importunes toujours monsieur et madame ! Les mercredis, d'ailleurs, ta prĂ©sence m'est plus indispensable. Il y a maintenant vingt personnes Ă la maison. J'ai tout quittĂ© Ă cause de l'intĂ©rĂÂȘt que je te porte. Allons, va-t'en ! cours ! attends-moi, et surveille les bocaux ! Quand Justin, qui se rhabillait, fut parti, l'on causa quelque peu des Ă©vanouissements. Madame Bovary n'en avait jamais eu. - C'est extraordinaire pour une dame ! dit M. Boulanger. Du reste, il y a des gens bien dĂ©licats. Ainsi j'ai vu, dans une rencontre, un tĂ©moin perdre connaissance rien qu'au bruit des pistolets que l'on chargeait. - Moi, dit l'apothicaire, la vue du sang des autres ne me fait rien du tout ; mais l'idĂ©e seulement du mien qui coule suffirait Ă me causer des dĂ©faillances, si j'y rĂ©flĂ©chissais trop. Cependant M. Boulanger congĂ©dia son domestique, en l'engageant Ă se tranquilliser l'esprit, puisque sa fantaisie Ă©tait passĂ©e. - Elle m'a procurĂ© l'avantage de votre connaissance, ajouta-t-il. Et il regardait Emma durant cette phrase. Puis il dĂ©posa trois francs sur le coin de la table, salua nĂ©gligemment et s'en alla. Il fut bientĂÂŽt de l'autre cĂÂŽtĂ© de la riviĂšre c'Ă©tait son chemin pour s'en retourner Ă la Huchette ; et Emma l'aperçut dans la prairie, qui marchait sous les peupliers, se ralentissant de temps Ă autre, comme quelqu'un qui rĂ©flĂ©chit. - Elle est fort gentille ! se disait-il ; elle est fort gentille, cette femme du mĂ©decin ! De belles dents, les yeux noirs, le pied coquet, et de la tournure comme une Parisienne. D'oĂÂč diable sort-elle ? OĂÂč donc l'a-t-il trouvĂ©e, ce gros garçon-lĂ ? M. Rodolphe Boulanger avait trente-quatre ans ; il Ă©tait de tempĂ©rament brutal et d'intelligence perspicace, ayant d'ailleurs beaucoup frĂ©quentĂ© les femmes, et s'y connaissant bien. Celle-lĂ lui avait paru jolie ; il y rĂÂȘvait donc, et Ă son mari. - Je le crois trĂšs bĂÂȘte. Elle en est fatiguĂ©e sans doute. Il porte des ongles sales et une barbe de trois jours. Tandis qu'il trottine Ă ses malades, elle reste Ă ravauder des chaussettes. Et on s'ennuie ! on voudrait habiter la ville, danser la polka tous les soirs ! Pauvre petite femme ! ĂâĄa bĂÂąille aprĂšs l'amour, comme une carpe aprĂšs l'eau sur une table de cuisine. Avec trois mots de galanterie, cela vous adorerait, j'en suis sĂ»r ! ce serait tendre ! charmant !... Oui, mais comment s'en dĂ©barrasser ensuite ? Alors les encombrements du plaisir, entrevus en perspective, le firent, par contraste, songer Ă sa maĂtresse. C'Ă©tait une comĂ©dienne de Rouen, qu'il entretenait ; et, quand il se fut arrĂÂȘtĂ© sur cette image, dont il avait, en souvenir mĂÂȘme, des rassasiements - Ah ! madame Bovary, pensa-t-il, est bien plus jolie qu'elle, plus fraĂche surtout. Virginie, dĂ©cidĂ©ment, commence Ă devenir trop grosse. Elle est si fastidieuse avec ses joies. Et, d'ailleurs, quelle manie de salicoques ! La campagne Ă©tait dĂ©serte, et Rodolphe n'entendait autour de lui que le battement rĂ©gulier des herbes qui fouettaient sa chaussure, avec le cri des grillons tapis au loin sous les avoines ; il revoyait Emma dans la salle, habillĂ©e comme il l'avait vue, et il la dĂ©shabillait. - Oh ! je l'aurai ! s'Ă©cria-t-il en Ă©crasant, d'un coup de bĂÂąton, une motte de terre devant lui. Et aussitĂÂŽt il examina la partie politique de l'entreprise. Il se demandait - OĂÂč se rencontrer ? par quel moyen ? On aura continuellement le marmot sur les Ă©paules, et la bonne, les voisins, le mari, toute sorte de tracasseries considĂ©rables. Ah bah ! dit-il, on y perd trop de temps ! Puis il recommença - C'est qu'elle a des yeux qui vous entrent au coeur comme des vrilles. Et ce teint pĂÂąle !... Moi, qui adore les femmes pĂÂąles ! Au haut de la cĂÂŽte d'Argueil, sa rĂ©solution Ă©tait prise. - Il n'y a plus qu'Ă chercher les occasions. Eh bien, j'y passerai quelquefois, je leur enverrai du gibier, de la volaille ; je me ferai saigner, s'il le faut ; nous deviendrons amis, je les inviterai chez moi... Ah ! parbleu ! ajouta-t-il, voilĂ les Comices bientĂÂŽt ; elle y sera, je la verrai. Nous commencerons, et hardiment, car c'est le plus sĂ»r. VIII. Ils arrivĂšrent, en effet, ces fameux Comices ! DĂšs le matin de la solennitĂ©, tous les habitants, sur leurs portes, s'entretenaient des prĂ©paratifs ; on avait enguirlandĂ© de lierres le fronton de la mairie ; une tente dans un prĂ© Ă©tait dressĂ©e pour le festin, et, au milieu de la place, devant l'Ă©glise, une espĂšce de bombarde devait signaler l'arrivĂ©e de M. le prĂ©fet et le nom des cultivateurs laurĂ©ats. La garde nationale de Buchy il n'y en avait point Ă Yonville Ă©tait venue s'adjoindre au corps des pompiers, dont Binet Ă©tait le capitaine. Il portait ce jour-lĂ un col encore plus haut que de coutume ; et, sanglĂ© dans sa tunique, il avait le buste si roide et immobile, que toute la partie vitale de sa personne semblait ĂÂȘtre descendue dans ses deux jambes, qui se levaient en cadence, Ă pas marquĂ©s, d'un seul mouvement. Comme une rivalitĂ© subsistait entre le percepteur et le colonel, l'un et l'autre, pour montrer leurs talents, faisaient Ă part manoeuvrer leurs hommes. On voyait alternativement passer et repasser les Ă©paulettes rouges et les plastrons noirs. Cela ne finissait pas et toujours recommençait ! Jamais il n'y avait eu pareil dĂ©ploiement de pompe ! Plusieurs bourgeois, dĂšs la veille, avaient lavĂ© leurs maisons ; des drapeaux tricolores pendaient aux fenĂÂȘtres entrouvertes ; tous les cabarets Ă©taient pleins ; et, par le beau temps qu'il faisait, les bonnets empesĂ©s, les croix d'or et les fichus de couleur paraissaient plus blancs que neige, miroitaient au soleil clair et relevaient de leur bigarrure Ă©parpillĂ©e la sombre monotonie des redingotes et des bourgerons bleus. Les fermiĂšres des environs retiraient, en descendant de cheval, la grosse Ă©pingle qui leur serrait autour du corps leur robe retroussĂ©e de peur des taches ; et les maris, au contraire, afin de mĂ©nager leurs chapeaux, gardaient par-dessus des mouchoirs de poche, dont ils tenaient un angle entre les dents. La foule arrivait dans la grande rue par les deux bouts du village. Il s'en dĂ©gorgeait des ruelles, des allĂ©es, des maisons, et l'on entendait de temps Ă autre retomber le marteau des portes, derriĂšre les bourgeoises en gants de fil, qui sortaient pour aller voir la fĂÂȘte. Ce que l'on admirait surtout, c'Ă©taient deux longs ifs couverts de lampions qui flanquaient une estrade oĂÂč s'allaient tenir les autoritĂ©s ; et il y avait de plus, contre les quatre colonnes de la mairie, quatre maniĂšres de gaules, portant chacune un petit Ă©tendard de toile verdĂÂątre, enrichi d'inscriptions en lettres d'or. On lisait sur l'un " Au Commerce " ; sur l'autre " A l'Agriculture " ; sur le troisiĂšme " A l'industrie " ; et sur le quatriĂšme " Aux Beaux-Arts " . Mais la jubilation qui Ă©panouissait tous les visages paraissait assombrir madame Lefrançois, l'aubergiste. Debout sur les marches de sa cuisine, elle murmurait dans son menton - Quelle bĂÂȘtise ! quelle bĂÂȘtise avec leur baraque de toile ! Croient-ils que le prĂ©fet sera bien aise de dĂner lĂ -bas, sous une tente, comme un saltimbanque ? Ils appellent ces embarras-lĂ , faire le bien du pays ! Ce n'Ă©tait pas la peine, alors, d'aller chercher un gargotier Ă NeufchĂÂątel ! Et pour qui ? pour des vachers ! des va-nu-pieds !... L'apothicaire passa. Il portait un habit noir, un pantalon de nankin, des souliers de castor, et par extraordinaire un chapeau, - un chapeau bas de forme. - Serviteur ! dit-il ; excusez-moi, je suis pressĂ©. Et comme la grosse veuve lui demanda oĂÂč il allait - Cela vous semble drĂÂŽle, n'est-ce pas ? moi qui reste toujours plus confinĂ© dans mon laboratoire que le rat du bonhomme dans son fromage. - Quel fromage ? fit l'aubergiste. - Non, rien ! ce n'est rien ! reprit Homais. Je voulais vous exprimer seulement, madame Lefrançois, que je demeure d'habitude tout reclus chez moi. Aujourd'hui cependant, vu la circonstance, il faut bien que... - Ah ! vous allez lĂ -bas ? dit-elle avec un air de dĂ©dain. - Oui, j'y vais, rĂ©pliqua l'apothicaire Ă©tonnĂ© ; ne fais-je point partie de la commission consultative ? La mĂšre Lefrançois le considĂ©ra quelques minutes, et finit par rĂ©pondre en souriant - C'est autre chose ! Mais qu'est-ce que la culture vous regarde ? vous vous y entendez donc ? - Certainement, je m'y entends, puisque je suis pharmacien, c'est-Ă -dire chimiste ! et la chimie, madame Lefrançois, ayant pour objet la connaissance de l'action rĂ©ciproque et molĂ©culaire de tous les corps de la nature, il s'ensuit que l'agriculture se trouve comprise dans son domaine ! Et, en effet, composition des engrais, fermentation des liquides, analyse des gaz et influence des miasmes, qu'est-ce que tout cela, je vous le demande, si ce n'est de la chimie pure et simple ? L'aubergiste ne rĂ©pondit rien. Homais continua - Croyez-vous qu'il faille, pour ĂÂȘtre agronome, avoir soi-mĂÂȘme labourĂ© la terre ou engraissĂ© des volailles ? Mais il faut connaĂtre plutĂÂŽt la constitution des substances dont il s'agit, les gisements gĂ©ologiques, les actions atmosphĂ©riques, la qualitĂ© des terrains, des minĂ©raux, des eaux, la densitĂ© des diffĂ©rents corps et leur capillaritĂ© ! que sais-je ? Et il faut possĂ©der Ă fond tous ses principes d'hygiĂšne, pour diriger, critiquer la construction des bĂÂątiments, le rĂ©gime des animaux, l'alimentation des domestiques ! Il faut encore, madame Lefrançois, possĂ©der la botanique ; pouvoir discerner les plantes, entendez-vous, quelles sont les salutaires d'avec les dĂ©lĂ©tĂšres, quelles les improductives et quelles les nutritives, s'il est bon de les arracher par-ci et de les ressemer par-lĂ , de propager les unes, de dĂ©truire les autres ; bref, il faut se tenir au courant de la science par les brochures et papiers publics, ĂÂȘtre toujours en haleine, afin d'indiquer les amĂ©liorations... L'aubergiste ne quittait point des yeux la porte du CafĂ© Français , et le pharmacien poursuivit - PlĂ»t Ă Dieu que nos agriculteurs fussent des chimistes, ou que du moins ils Ă©coutassent davantage les conseils de la science ! Ainsi, moi, j'ai derniĂšrement Ă©crit un fort opuscule, un mĂ©moire de plus de soixante et douze pages, intitulĂ© Du cidre, de sa fabrication et de ses effets ; suivi de quelques rĂ©flexions nouvelles Ă ce sujet , que j'ai envoyĂ© Ă la SociĂ©tĂ© agronomique de Rouen ; ce qui m'a mĂÂȘme valu l'honneur d'ĂÂȘtre reçu parmi ses membres, section d'agriculture, classe de pomologie, eh bien, si mon ouvrage avait Ă©tĂ© livrĂ© Ă la publicitĂ©... Mais l'apothicaire s'arrĂÂȘta, tant madame Lefrançois paraissait prĂ©occupĂ©e. - Voyez-les donc ! disait-elle, on n'y comprend rien ! une gargote semblable ! Et, avec des haussements d'Ă©paules qui tiraient sur sa poitrine les mailles de son tricot, elle montrait des deux mains le cabaret de son rival, d'oĂÂč sortaient alors des chansons. - Du reste, il n'en a pas pour longtemps, ajouta-t-elle ; avant huit jours, tout est fini. Homais se recula de stupĂ©faction. Elle descendit ses trois marches, et, lui parlant Ă l'oreille - Comment ! vous ne savez pas cela ? On va le saisir cette semaine. C'est Lheureux qui le fait vendre. Il l'a assassinĂ© de billets. - Quelle Ă©pouvantable catastrophe ! s'Ă©cria l'apothicaire, qui avait toujours des expressions congruantes Ă toutes les circonstances imaginables. L'hĂÂŽtesse donc se mit Ă lui raconter cette histoire, qu'elle savait par ThĂ©odore, le domestique de M. Guillaumin, et, bien qu'elle exĂ©crĂÂąt Tellier, elle blĂÂąmait Lheureux. C'Ă©tait un enjĂÂŽleur, un rampant. - Ah ! tenez, dit-elle, le voilĂ sous les halles ; il salue madame Bovary, qui a un chapeau vert. Elle est mĂÂȘme au bras de M. Boulanger. - Madame Bovary fit Homais. Je m'empresse d'aller lui offrir mes hommages. Peut-ĂÂȘtre qu'elle sera bien aise d'avoir une place dans l'enceinte, sous le pĂ©ristyle. Et, sans Ă©couter la mĂšre Lefrançois, qui le rappelait pour lui en conter plus long, le pharmacien s'Ă©loigna d'un pas rapide, sourire aux lĂšvres et jarret tendu, distribuant de droite et de gauche quantitĂ© de salutations et emplissant beaucoup d'espace avec les grandes basques de son habit noir, qui flottaient au vent derriĂšre lui. Rodolphe, l'ayant aperçu de loin, avait pris un train rapide ; mais madame Bovary s'essouffla ; il se ralentit donc et lui dit en souriant, d'un ton brutal - C'est pour Ă©viter ce gros bonhomme vous savez, l'apothicaire. Elle lui donna un coup de coude. - Qu'est-ce que cela signifie ? se demanda-t-il. Et il la considĂ©ra du coin de l'oeil, tout en continuant Ă marcher. Son profil Ă©tait si calme, que l'on n'y devinait rien. Il se dĂ©tachait en pleine lumiĂšre, dans l'ovale de sa capote qui avait des rubans pĂÂąles ressemblant Ă des feuilles de roseau. Ses yeux aux longs cils courbes regardaient devant elle, et, quoique bien ouverts, ils semblaient un peu bridĂ©s par les pommettes, Ă cause du sang, qui battait doucement sous sa peau fine. Une couleur rose traversait la cloison de son nez. Elle inclinait la tĂÂȘte sur l'Ă©paule, et l'on voyait entre ses lĂšvres le bout nacrĂ© de ses dents blanches. - Se moque-t-elle de moi ? songeait Rodolphe. Ce geste d'Emma pourtant n'avait Ă©tĂ© qu'un avertissement ; car M. Lheureux les accompagnait, et il leur parlait de temps Ă autre, comme pour entrer en conversation. - Voici une journĂ©e superbe ! tout le monde est dehors ! les vents sont Ă l'est. Et madame Bovary, non plus que Rodolphe, ne lui rĂ©pondait guĂšre, tandis qu'au moindre mouvement qu'ils faisaient, il se rapprochait en disant " PlaĂt-il ? " et portait la main Ă son chapeau. Quand ils furent devant la maison du marĂ©chal, au lieu de suivre la route jusqu'Ă la barriĂšre, Rodolphe, brusquement, prit un sentier, entraĂnant madame Bovary ; il cria - Bonsoir, M. Lheureux ! au plaisir ! - Comme vous l'avez congĂ©diĂ© ! dit-elle en riant. - Pourquoi, reprit-il, se laisser envahir par les autres ? et, puisque, aujourd'hui, j'ai le bonheur d'ĂÂȘtre avec vous... Emma rougit. Il n'acheva point sa phrase. Alors il parla du beau temps et du plaisir de marcher sur l'herbe. Quelques marguerites Ă©taient repoussĂ©es. - Voici de gentilles pĂÂąquerettes, dit-il, et de quoi fournir bien des oracles Ă toutes les amoureuses du pays. Il ajouta - Si j'en cueillais. Qu'en pensez-vous ? - Est-ce que vous ĂÂȘtes amoureux ? fit-elle en toussant un peu. - Eh ! eh ! qui sait ? rĂ©pondit Rodolphe. Le prĂ© commençait Ă se remplir, et les mĂ©nagĂšres vous heurtaient avec leurs grands parapluies, leurs paniers et leurs bambins. Souvent il fallait se dĂ©ranger devant une longue file de campagnardes, servantes en bas bleus, Ă souliers plats, Ă bagues d'argent, et qui sentaient le lait, quand on passait prĂšs d'elles. Elles marchaient en se tenant pars la main, et se rĂ©pandaient ainsi sur toute la longueur de la prairie, depuis la ligne des trembles jusqu'Ă la tente du banquet. Mais c'Ă©tait le moment de l'examen, et les cultivateurs, les uns aprĂšs les autres, entraient dans une maniĂšre d'hippodrome que formait une longue corde portĂ©e sur des bĂÂątons. Les bĂÂȘtes Ă©taient lĂ , le nez tournĂ© vers la ficelle, et alignant confusĂ©ment leurs croupes inĂ©gales. Des porcs assoupis enfonçaient en terre leur groin ; des veaux beuglaient ; des brebis bĂÂȘlaient ; les vaches, un jarret repliĂ©, Ă©talaient leur ventre sur le gazon, et, ruminant lentement, clignaient leurs paupiĂšres lourdes, sous les moucherons qui bourdonnaient autour d'elles. Des charretiers, les bras nus, retenaient par le licou des Ă©talons cabrĂ©s, qui hennissaient Ă pleins naseaux du cĂÂŽtĂ© des juments. Elles restaient paisibles, allongeant la tĂÂȘte et la criniĂšre pendante, tandis que leurs poulains se reposaient Ă leur ombre, ou venaient les tĂ©ter quelquefois ; et, sur la longue ondulation de tous ces corps tassĂ©s, on voyait se lever au vent, comme un flot, quelque criniĂšre blanche, ou bien saillir des cornes aiguĂs, et des tĂÂȘtes d'hommes qui couraient. A l'Ă©cart, en dehors des lices, cent pas plus loin, il y avait un grand taureau noir muselĂ©, portant un cercle de fer Ă la narine, et qui ne bougeait pas plus qu'une bĂÂȘte de bronze. Un enfant en haillons le tenait par une corde. Cependant, entre les deux rangĂ©es, des messieurs s'avançaient d'un pas lourd, examinant chaque animal, puis se consultaient Ă voix basse. L'un d'eux, qui semblait plus considĂ©rable, prenait, tout en marchant, quelques notes sur un album. C'Ă©tait le prĂ©sident du jury M. Derozerays de la Panville. SitĂÂŽt qu'il reconnut Rodolphe, il s'avança vivement, et lui dit en souriant d'un air aimable - Comment, monsieur Boulanger, vous nous abandonnez ? Rodolphe protesta qu'il allait venir. Mais quand le prĂ©sident eut disparu - Ma foi, non, reprit-il, je n'irai pas ; votre compagnie vaut bien la sienne. Et, tout en se moquant des comices, Rodolphe, pour circuler plus Ă l'aise, montrait au gendarme sa pancarte bleue, et mĂÂȘme il s'arrĂÂȘtait parfois devant quelque beau sujet , que madame Bovary n'admirait guĂšre. Il s'en aperçut, et alors se mit Ă faire des plaisanteries sur les dames d'Yonville, Ă propos de leur toilette ; puis il s'excusa lui-mĂÂȘme du nĂ©gligĂ© de la sienne. Elle avait cette incohĂ©rence de choses communes et recherchĂ©es, oĂÂč le vulgaire, d'habitude, croit entrevoir la rĂ©vĂ©lation d'une existence excentrique, les dĂ©sordres du sentiment, les tyrannies de l'art, et toujours un certain mĂ©pris des conventions sociales, ce qui le sĂ©duit ou l'exaspĂšre. Ainsi sa chemise de batiste Ă manchettes plissĂ©es bouffait au hasard du vent, dans l'ouverture de son gilet, qui Ă©tait de coutil gris, et son pantalon Ă larges raies dĂ©couvrait aux chevilles ses bottines de nankin, claquĂ©es de cuir verni. Elles Ă©taient si vernies, que l'herbe s'y reflĂ©tait. Il foulait avec elles les crottins de cheval, une main dans la poche de sa veste et son chapeau de paille mis de cĂÂŽtĂ©. - D'ailleurs, ajouta-t-il, quand on habite la campagne... - Tout est peine perdue, dit Emma. - C'est vrai ! rĂ©pliqua Rodolphe. Songer que pas un seul de ces braves gens n'est capable de comprendre mĂÂȘme la tournure d'un habit ! Alors ils parlĂšrent de la mĂ©diocritĂ© provinciale, des existences qu'elle Ă©touffait, des illusions qui s'y perdaient. - Aussi, disait Rodolphe, je m'enfonce dans une tristesse... - Vous ! fit-elle avec Ă©tonnement. Mais je vous croyais trĂšs gai ? - Ah ! oui d'apparence, parce qu'au milieu du monde je sais mettre sur mon visage un masque railleur ; et cependant que de fois, Ă la vue d'un cimetiĂšre, au clair de lune je me suis demandĂ© si je ne ferais pas mieux d'aller rejoindre ceux qui sont Ă dormir... - Oh ! Et vos amis ? dit-elle. Vous n'y pensez pas. - Mes amis ? lesquels donc ? en ai-je ? Qui s'inquiĂšte de moi ? Et il accompagna ces derniers mots d'une sorte de sifflement entre ses lĂšvres. Mais ils furent obligĂ©s de s'Ă©carter l'un de l'autre, Ă cause d'un grand Ă©chafaudage de chaises qu'un homme portait derriĂšre eux. Il en Ă©tait si surchargĂ©, que l'on apercevait seulement la pointe de ses sabots, avec le bout de ses deux bras, Ă©cartĂ©s droit. C'Ă©tait Lestiboudois, le fossoyeur, qui charriait dans la multitude les chaises de l'Ă©glise. Plein d'imagination pour tout ce qui concernait ses intĂ©rĂÂȘts, il avait dĂ©couvert ce moyen de tirer parti des comices ; et son idĂ©e lui rĂ©ussissait, car il ne savait plus auquel entendre. En effet, les villageois, qui avaient chaud, se disputaient ces siĂšges dont la paille sentait l'encens, et s'appuyaient contre leurs gros dossiers salis par la cire des cierges, avec une certaine vĂ©nĂ©ration. Madame Bovary reprit le bras de Rodolphe ; il continua comme se parlant Ă lui-mĂÂȘme - Oui ! tant de choses m'ont manquĂ© ! toujours seul ! Ah ! Si j'avais eu un but dans la vie, si j'eusse rencontrĂ© une affection, si j'avais trouvĂ© quelqu'un... Oh ! comme j'aurais dĂ©pensĂ© toute l'Ă©nergie dont je suis capable, j'aurais surmontĂ© tout, brisĂ© tout ! - Il me semble pourtant, dit Emma, que vous n'ĂÂȘtes guĂšre Ă plaindre. - Ah ! vous trouvez ? fit Rodolphe. - Car enfin..., reprit-elle, vous ĂÂȘtes libre. Elle hĂ©sita - Riche. - Ne vous moquez pas de moi, rĂ©pondit-il. Et elle jurait qu'elle ne se moquait pas, quand un coup de canon retentit ; aussitĂÂŽt, on se poussa, pĂÂȘle-mĂÂȘle, vers le village. C'Ă©tait une fausse alerte. M. le prĂ©fet n'arrivait pas ; et les membres du jury se trouvaient fort embarrassĂ©s, ne sachant s'il fallait commencer la sĂ©ance ou bien attendre encore. Enfin, au fond de la Place, parut un grand landau de louage, traĂnĂ© par deux chevaux maigres, que fouettait Ă tour de bras un cocher en chapeau blanc. Binet n'eut que le temps de crier " Aux armes ! " et le colonel de l'imiter. On courut vers les faisceaux. On se prĂ©cipita. Quelques-uns mĂÂȘme oubliĂšrent leur col. Mais l'Ă©quipage prĂ©fectoral sembla deviner cet embarras, et les deux rosses accouplĂ©es, se dandinant sur leur chaĂnette, arrivĂšrent au petit trot devant le pĂ©ristyle de la mairie, juste au moment oĂÂč la garde nationale et les pompiers s'y dĂ©ployaient, tambour battant, et marquant le pas. - Balancez ! cria Binet. - Halte ! cria le colonel. Par file Ă gauche ! Et, aprĂšs un port d'armes oĂÂč le cliquetis des capucines, se dĂ©roulant, sonna comme un chaudron de cuivre qui dĂ©gringole les escaliers, tous les fusils retombĂšrent. Alors on vit descendre du carrosse un monsieur vĂÂȘtu d'un habit court Ă broderie d'argent, chauve sur le front, portant toupet Ă l'occiput, ayant le teint blafard et l'apparence des plus bĂ©nignes. Ses deux yeux, fort gros et couverts de paupiĂšres Ă©paisses, se fermaient Ă demi pour considĂ©rer la multitude, en mĂÂȘme temps qu'il levait son nez pointu et faisait sourire sa bouche rentrĂ©e. Il reconnut le maire Ă son Ă©charpe, et lui exposa que M. le prĂ©fet n'avait pu venir. Il Ă©tait, lui, un conseiller de prĂ©fecture ; puis il ajouta quelques excuses. Tuvache y rĂ©pondit par des civilitĂ©s, l'autre s'avoua confus ; et ils restaient ainsi, face Ă face, et leurs fronts se touchant presque, avec les membres du jury tout alentour, le conseil municipal, les notables, la garde nationale et la foule. M. le conseiller, appuyant contre sa poitrine son petit tricorne noir, rĂ©itĂ©rait ses salutations, tandis que Tuvache, courbĂ© comme un arc, souriait aussi, bĂ©gayait, cherchait ses phrases, protestait de son dĂ©vouement Ă la monarchie, et de l'honneur que l'on faisait Ă Yonville. Hippolyte, le garçon de l'auberge, vint prendre par la bride les chevaux du cocher, et tout en boitant de son pied bot, il les conduisit sous le porche du Lion d'Or , oĂÂč beaucoup de paysans s'amassĂšrent Ă regarder la voiture. Le tambour battit, l'obusier tonna, et les messieurs Ă la file montĂšrent s'asseoir sur l'estrade, dans les fauteuils en utrecht rouge qu'avait prĂÂȘtĂ©s madame Tuvache. Tous ces gens-lĂ se ressemblaient. Leurs molles figures blondes, un peu hĂÂąlĂ©es par le soleil, avaient la couleur du cidre doux, et leurs favoris bouffants s'Ă©chappaient de grands cols roides, que maintenaient des cravates blanches Ă rosette bien Ă©talĂ©e. Tous les gilets Ă©taient de velours, Ă chĂÂąle ; toutes les montres portaient au bout d'un long ruban quelque cachet ovale en cornaline ; et l'on appuyait ses deux mains sur ses deux cuisses, en Ă©cartant avec soin la fourche du pantalon, dont le drap non dĂ©cati reluisait plus brillamment que le cuir des fortes bottes. Les dames de la sociĂ©tĂ© se tenaient derriĂšre, sous le vestibule, entre les colonnes, tandis que le commun de la foule Ă©tait en face, debout, ou bien assis sur des chaises. En effet, Lestiboudois avait apportĂ© lĂ toutes celles qu'il avait dĂ©mĂ©nagĂ©es de la prairie, et mĂÂȘme il courait Ă chaque minute en chercher d'autres dans l'Ă©glise, et causait un tel encombrement par son commerce, que l'on avait grand-peine Ă parvenir jusqu'au petit escalier de l'estrade. - Moi, je trouve, dit M. Lheureux s'adressant au pharmacien, qui passait pour gagner sa place , que l'on aurait dĂ» planter lĂ deux mĂÂąts vĂ©nitiens avec quelque chose d'un peu sĂ©vĂšre et de riche comme nouveautĂ©s, c'eĂ»t Ă©tĂ© d'un fort joli coup d'oeil. - Certes, rĂ©pondit Homais. Mais, que voulez-vous ! c'est le maire qui a tout pris sous son bonnet. Il n'a pas grand goĂ»t, ce pauvre Tuvache, et il est mĂÂȘme complĂštement dĂ©nuĂ© de ce qui s'appelle le gĂ©nie des arts. Cependant Rodolphe, avec madame Bovary, Ă©tait montĂ© au premier Ă©tage de la mairie, dans la salle des dĂ©libĂ©rations , et, comme elle Ă©tait vide, il avait dĂ©clarĂ© que l'on y serait bien pour jouir du spectacle plus Ă son aise. Il prit trois tabourets autour de la table ovale, sous le buste du monarque, et, les ayant approchĂ©s de l'une des fenĂÂȘtres, ils s'assirent l'un prĂšs de l'autre. Il y eut une agitation sur l'estrade, de longs chuchotements, des pourparlers. Enfin, M. le Conseiller se leva. On savait maintenant qu'il s'appelait Lieuvain, et l'on se rĂ©pĂ©tait son nom de l'un Ă l'autre, dans la foule. Quand il eut donc collationnĂ© quelques feuilles et appliquĂ© dessus son oeil pour y mieux voir, il commença " Messieurs, " Qu'il me soit permis d'abord avant de vous entretenir de l'objet de cette rĂ©union d'aujourd'hui, et ce sentiment, j'en suis sĂ»r, sera partagĂ© par vous tous , qu'il me soit permis, dis-je, de rendre justice Ă l'administration supĂ©rieure, au gouvernement, au monarque, messieurs, Ă notre souverain, Ă ce roi bien-aimĂ© Ă qui aucune branche de la prospĂ©ritĂ© publique ou particuliĂšre n'est indiffĂ©rente, et qui dirige Ă la fois d'une main si ferme et si sage le char de l'Etat parmi les pĂ©rils incessants d'une mer orageuse, sachant d'ailleurs faire respecter la paix comme la guerre, l'industrie, le commerce, l'agriculture et les beaux-arts. " - Je devrais, dit Rodolphe ; me reculer un peu. - Pourquoi ? dit Emma. Mais, Ă ce moment, la voix du Conseiller s'Ă©leva d'un ton extraordinaire. Il dĂ©clamait " Le temps n'est plus, messieurs, oĂÂč la discorde civile ensanglantait nos places publiques, oĂÂč le propriĂ©taire, le nĂ©gociant, l'ouvrier lui-mĂÂȘme, en s'endormant le soir d'un sommeil paisible, tremblaient de se voir rĂ©veillĂ©s tout Ă coup au bruit des tocsins incendiaires, oĂÂč les maximes les plus subversives sapaient audacieusement les bases. " - C'est qu'on pourrait, reprit Rodolphe, m'apercevoir d'en bas ; puis j'en aurais pour quinze jours Ă donner des excuses, et, avec ma mauvaise rĂ©putation... - Oh ! vous vous calomniez, dit Emma. - Non, non, elle est exĂ©crable, je vous jure. " Mais, messieurs, poursuivait le Conseiller, que si, Ă©cartant de mon souvenir ces sombres tableaux, je reporte mes yeux sur la situation actuelle de notre belle patrie qu'y vois-je ? Partout fleurissent le commerce et les arts ; partout des voies nouvelles de communication, comme autant d'artĂšres nouvelles dans le corps de l'Etat, y Ă©tablissent des rapports nouveaux ; nos grands centres manufacturiers ont repris leur activitĂ© ; la religion, plus affermie, sourit Ă tous les coeurs ; nos ports sont pleins, la confiance renaĂt, et enfin la France respire !... " - Du reste, ajouta Rodolphe, peut-ĂÂȘtre, au point de vue du monde, a-t-on raison ? - Comment cela ? fit-elle. - Eh quoi ! dit-il, ne savez-vous pas qu'il y a des ĂÂąmes sans cesse tourmentĂ©es ? Il leur faut tour Ă tour le rĂÂȘve et l'action, les passions les plus pures, les jouissances les plus furieuses, et l'on se jette ainsi dans toutes sortes de fantaisies, de folies. Alors elle le regarda comme on contemple un voyageur qui a passĂ© par des pays extraordinaires, et elle reprit - Nous n'avons pas mĂÂȘme cette distraction, nous autres pauvres femmes ! - Triste distraction, car on n'y trouve pas le bonheur. - Mais le trouve-t-on jamais ? demanda-t-elle. - Oui, il se rencontre un jour, rĂ©pondit-il. " Et c'est lĂ ce que vous avez compris, disait le Conseiller. Vous, agriculteurs et ouvriers des campagnes ; vous, pionniers pacifiques d'une oeuvre toute de civilisation ! vous, hommes de progrĂšs et de moralitĂ© ! vous avez compris, dis-je, que les orages politiques sont encore plus redoutables vraiment que les dĂ©sordres de l'atmosphĂšre... " - Il se rencontre un jour, rĂ©pĂ©ta Rodolphe, un jour, tout Ă coup, et quand on en dĂ©sespĂ©rait. Alors des horizons s'entrouvrent, c'est comme une voix qui crie " Le voilĂ ! " Vous sentez le besoin de faire Ă cette personne la confidence de votre vie, de lui donner tout, de lui sacrifier tout ! On ne s'explique pas, on se devine. On s'est entrevu dans ses rĂÂȘves. Et il la regardait. Enfin, il est lĂ , ce trĂ©sor que l'on a tant cherchĂ©, lĂ , devant vous ; il brille, il Ă©tincelle. Cependant on en doute encore, on n'ose y croire ; on en reste Ă©bloui ; comme si l'on sortait des tĂ©nĂšbres Ă la lumiĂšre. Et, en achevant ces mots, Rodolphe ajouta la pantomime Ă sa phrase. Il se passa la main sur le visage, tel qu'un homme pris d'Ă©tourdissement ; puis il la laissa retomber sur celle d'Emma. Elle retira la sienne. Mais le Conseiller lisait toujours " Et qui s'en Ă©tonnerait, messieurs ? Celui-lĂ seul qui serait assez aveugle, assez plongĂ© Je ne crains pas de le dire , assez plongĂ© dans les prĂ©jugĂ©s d'un autre ĂÂąge pour mĂ©connaĂtre encore l'esprit des populations agricoles. OĂÂč trouver, en effet, plus de patriotisme que dans les campagnes, plus de dĂ©vouement Ă la cause publique, plus d'intelligence en un mot ? Et je n'entends pas, messieurs, cette intelligence superficielle, vain ornement des esprits oisifs, mais plus de cette intelligence profonde et modĂ©rĂ©e, qui s'applique par-dessus toute chose Ă poursuivre des buts utiles, contribuant ainsi au bien de chacun, Ă l'amĂ©lioration commune et au soutien des Etats, fruit du respect des lois et de la pratique des devoirs... " - Ah ! encore, dit Rodolphe. Toujours les devoirs, je suis assommĂ© de ces mots-lĂ . Ils sont un tas de vieilles gan
ï»żIlfaut se mĂ©fier de ce qu'on peut lire sur Internet. Sur certains sites, il est mentionnĂ© que les acrochordons sont dus au papillomavirus. Or, il s'agit d'une confusion avec les condylomes, des verrues qui, elles, sont plutĂŽt localisĂ©es sur les parties gĂ©nitales. Il est en tout cas recommandĂ© de montrer ses petits bouts de peau Ă un dermatologue. Lui seul pourra TĂ©lĂ©charger l'article TĂ©lĂ©charger l'article Vous ĂȘtes vous dĂ©jĂ rĂ©veillĂ© puis avez dĂ©couvert avec horreur qu'un bouton rouge et bombĂ© s'est installĂ© sur votre visage pendant la nuit ? Les boutons peuvent bien entendu faire partie de notre quotidien, mais nous ne devons pas tolĂ©rer les rougeurs et gonflements qu'ils entrainent. De la mĂȘme maniĂšre qu'on souhaite Ă©viter les boutons ou combattre l'acnĂ©, souhaiter rĂ©duire les gonflements et rougeurs peut ĂȘtre une bataille difficile quand on ne sait pas comment faire. Heureusement, il existe certaines mĂ©thodes Ă©prouvĂ©es pour y parvenir. 1 Appliquez de l'hamamĂ©lis pour rĂ©duire les rougeurs et gonflements. L'hamamĂ©lis est une plante souvent utilisĂ©e comme astringent, c'est-Ă -dire qu'elle tonifie temporairement la peau. L'hamamĂ©lis est un remĂšde courant pour soulager les rougeurs et dĂ©mangeaisons liĂ©es Ă l'acnĂ©. Elle ne guĂ©rira surement pas votre acnĂ©, mais elle apaisera votre peau et minimisera l'aspect des boutons [1] . Le plus souvent l'hamamĂ©lis est utilisĂ© comme astringent. Vous pouvez vous en procurer avec ou sans alcool les solutions contiennent gĂ©nĂ©ralement 14 % d'alcool environ, mais on recommande gĂ©nĂ©ralement de l'acheter avec alcool. L'alcool peut Ă la fois sĂ©cher et irriter la peau [2] . 2Appliquez un glaçon. Cette mĂ©thode Ă court terme vous aidera si votre acnĂ© est rouge ou douloureuse. Sortez un glaçon du congĂ©lateur et, aprĂšs quelques minutes, appliquez-le sur votre bouton pour rĂ©duire le gonflement. Le froid entraine la contraction des vaisseaux sanguins se situant sous la peau et rĂ©duit donc la taille et la rougeur des boutons [3] . 3 Appliquez un sachet de thĂ© imbibĂ© sur la zone du bouton. Pendant quelques minutes, faites infuser un sachet de thĂ© dans l'eau chaude, le thĂ© noir fonctionne particuliĂšrement bien. Pour une gorge saine, buvez aussi le thĂ©. Sortez le sachet puis Ă©gouttez-le pour en sortir la plus grande partie du liquide. Attendez ensuite qu'il refroidisse un peu puis appliquez-le doucement sur votre bouton. Les sachets de thĂ© contiennent des tanins en grandes quantitĂ©s. Ces tanins aident Ă rĂ©duire les gonflements et sont souvent utilisĂ©s pour traiter les problĂšmes d'yeux gonflĂ©s [4] . 4Pour rĂ©duire l'inflammation des boutons, vous pouvez essayer de prendre de la serrapeptase, un substitut d'ibuprofĂšne. La serrapeptase est un produit chimique naturel tirĂ© des vers Ă soie et officiellement classĂ© comme un complĂ©ment diĂ©tĂ©tique. Elle rĂ©duit l'inflammation en dĂ©gradant les protĂ©ines plus rapidement et plus efficacement [5] . 5 Faites une prĂ©paration Ă base d'aspirine pour rĂ©duire les rougeurs et gonflements. L'aspirine est un remĂšde maison contre les rougeurs et gonflements. En effet l'aspirine contient de l'acide salicylique, un produit chimique utilisĂ© pour soulager les petites douleurs et les inflammations [6] . L'aspirine est censĂ©e rĂ©duire les gonflements en assĂ©chant le bouton, faisant d'une pierre deux coups. RĂ©duisez les comprimĂ©s d'aspirine en une fine poudre. Vous la mĂ©langerez ensuite Ă de l'eau que vous ajouterez progressivement. Ajoutez suffisamment d'eau pour que le mĂ©lange soit une pĂąte granuleuse. Recouvrez totalement le bouton de cette prĂ©paration Ă l'aide d'un coton ou coton-tige. Laissez la pĂąte durcir sur le bouton et laisser reposer plusieurs heures. Beaucoup de personnes appliquent la prĂ©paration sur le bouton juste avant d'aller se coucher et l'enlĂšvent lors de leur toilette matinale. 6 Essayez les huiles d'arbre Ă neem et d'arbre Ă thĂ© pour rĂ©duire les gonflements. Ces deux huiles essentielles viennent des arbres, elles rĂ©duisent les gonflements en combattant la bactĂ©rie responsable de l'acnĂ©. Le neem est un guĂ©ri tout pour de nombreuses maladies, l'huile essentielle d'arbre Ă thĂ© est particuliĂšrement utile pour traiter les infections et problĂšmes de peau [7] [8] .Ces deux huiles essentielles peuvent ĂȘtre irritantes si elles sont utilisĂ©es pures elles sont trop concentrĂ©es en bons Ă©lĂ©ments, vous devez donc les diluer dans l'eau moitiĂ© eau pure, moitiĂ© huile avant de les appliquer sur votre peau. Utilisez ensuite un coton-tige pour tamponner l'huile sur votre bouton puis laissez agir 10 Ă 20 minutes. Essuyez ensuite. 7Essayez un masque d'argile. Un masque d'argile peut aider la peau Ă se dĂ©barrasser de son excĂšs d'humiditĂ© en traitant l'inflammation et en faisant sortir le pus. Pour beaucoup, aprĂšs l'application du masque les pores seront visiblement plus fins et resserrĂ©s. Pour de meilleurs rĂ©sultats, appliquez le masque sur tout le visage une fois par semaine et, si nĂ©cessaire, traitez les boutons ponctuellement entre les masques. 8 Essayez le citron, les concombres ou les tomates. De nombreux patients cherchant des remĂšdes maison ont pu rĂ©duire leurs inflammations grĂące Ă ce trio d'ingrĂ©dients naturels. Bien qu'ils fonctionnent tous diffĂ©remment, ils sont censĂ©s lutter contre l'acnĂ© avec la mĂȘme tĂ©nacitĂ©. Il n'existe pourtant aucune preuve scientifique que ces ingrĂ©dients naturels peuvent guĂ©rir l'acnĂ© ou rĂ©duire l'inflammation. Utilisez-les donc Ă votre grĂ©. Coupez une rondelle de citron et placez-la sur votre peau au niveau du bouton. L'acide citrique du jus de citron est censĂ© lutter contre les bactĂ©ries de l'acnĂ© et peut mĂȘme guĂ©rir les cicatrices [9] . L'application du jus de citron va piquer. Le concombre est un antiinflammatoire [10] . Coupez une rondelle de concombre et placez-la sur votre bouton. Le concombre apaise la peau et rĂ©duit l'inflammation. La lĂ©gĂšre aciditĂ© des tomates aide Ă combattre l'acnĂ©. En fait, de nombreux remĂšdes contre l'acnĂ© contiennent de la vitamine A et C, des vitamines qu'on retrouve dans les tomates. Coupez une rondelle de tomate, appliquez-la sur le bouton et laissez-la agir pendant une heure. 1 DĂ©terminez votre type de peau. Chaque personne a un type de peau qui lui est propre peau normale, sĂšche, sensible, grasse ou mixte [11] . Connaitre votre type de peau vous permettra de trouver des produits de soin appropriĂ©s Ă votre peau et des traitements efficaces tout en rĂ©duisant les irritations. Si vous ne connaissez pas votre type de peau, demandez-le Ă un dermatologue, un maquilleur professionnel ou Ă un employĂ© d'un magasin de beautĂ©. Ils pourront tester votre peau et vous donner des conseils concernant les diffĂ©rents soins. Peau normale pores Ă peine visibles, pas de sensibilitĂ©, beau teint. Peau sĂšche pores fins, rougeurs, moins d'Ă©lasticitĂ©, teint terne. Sensible rougeurs, dĂ©mangeaisons, sensation de brulure ou de sĂšcheresse lorsque la peau est exposĂ©e Ă un produit irritant. Peau grasse pores larges, teint brillant, points noirs, boutons et autres imperfections. Peau mixte la peau est normale Ă certains endroits, sĂšche ou grasse dans d'autres zones comme le T facial. 2 Lavez votre visage deux fois par jour avec un savon doux ou un nettoyant. Essayez d'ĂȘtre aussi doux que possible avec la zone affectĂ©e et lavez Ă l'eau tiĂšde et non chaude. Certaines marques comme Dove, Jergens et Dial fabriquent des savons doux conçus pour nettoyer la peau sans l'assĂ©cher ou l'irriter. Vous pouvez Ă©galement utiliser un nettoyant contenant de l'acide salicylique, un composant qui aide Ă combattre et prĂ©venir l'acnĂ©. Ayez les doigts propres lorsque vous vous lavez le visage et Ă©vitez les fleurs d'Ă©ponges, les gants en luffa et les gants de toilette qui sont irritants. Il est prĂ©fĂ©rable de se laver le visage avec les mains. En vous lavant le visage avec autre chose, vous irriterez probablement plus votre peau que vous ne l'aiderez. 3 Hydratez votre peau, c'est important pour lutter contre les irritations. Si vous hydratez votre peau rĂ©guliĂšrement, elle restera ferme et saine. Pour de meilleurs rĂ©sultats, hydratez votre peau aprĂšs chaque lavage en utilisant un hydratant non comĂ©dogĂšne. Non comĂ©dogĂšnes » signifie simplement n'obstruant pas les pores ». Utilisez un hydratant adaptĂ© Ă votre peau. Par exemple, si vous avez la peau grasse, utilisez un hydratant sans huile ». S'il est inutile de vous mettre de l'hydratant toutes les vingt minutes, gardez-en cependant toujours Ă portĂ©e de main au cas oĂč votre peau s'assĂšche dans la journĂ©e. Cela peut ĂȘtre un problĂšme en hiver Ă cause du froid et du vent. Il existe deux types d'hydratants ceux Ă base de gel et ceux Ă base de crĂšme. Les hydratants Ă base de gel fonctionnent mieux pour les peaux grasses ou mixtes et ceux Ă base de crĂšme seront plus adaptĂ©s aux peaux sĂšches ou sensibles. 4Restez hydratĂ©. En buvant davantage d'eau, vous aiderez votre corps Ă rester hydratĂ© et Ă fonctionner correctement. Boire de l'eau n'est pas boire des boissons sucrĂ©es comme les jus de fruits, les sodas et les boissons Ă©nergisantes. En effet, il y a de plus en plus de preuves comme quoi ce que l'on mange et boit a une influence sur l'acnĂ© [12] [13] [14] . En hydratant votre corps, vous hydraterez votre peau. Votre peau et votre teint seront Ă©clatants de santĂ© et de douceur. 5DĂ©maquillez-vous avant d'aller au lit si possible. Ne soyez pas paresseuse en laissant tomber. Si vous gardez votre maquillage pendant la nuit, cela peut obstruer les pores et aggraver vos problĂšmes d'acnĂ©. Si possible, gardez des lingettes Ă disposition Ă cĂŽtĂ© de votre lit et utilisez-les lorsque vous ĂȘtes trop fatiguĂ©e pour aller vous nettoyer le visage Ă la salle de bain. 6Exfoliez votre peau une fois par semaine. Cela aidera Ă Ă©liminer les cellules mortes de la peau, Ă l'adoucir et Ă la lisser. Vous pouvez acheter un gommage ou un exfoliant. Il n'est pas bon d'exfolier trop. Si vous exfoliez plus d'une fois par semaine, cela peut en fait assĂ©cher ou irriter votre peau. 7 Utilisez un astringent. Un astringent est une substance qui raffermit et tonifie la peau en resserrant les pores. Les astringents, utilisĂ©s trop souvent, ne seront probablement pas bons pour la peau, mais ils peuvent cependant la dĂ©barrasser de l'excĂšs de graisse et de poussiĂšre avant que vous ne laviez votre visage. Si vous dĂ©sirez utiliser un astringent naturel, essayez de frotter des rondelles de citron sur votre peau, comme mentionnĂ© auparavant. Rincez ensuite votre peau et laissez-la sĂ©cher Ă l'air libre ou en tapotant doucement Ă l'aide d'une serviette. Cela a l'avantage supplĂ©mentaire de laisser une bonne odeur. Si vous utilisez un astringent puissant, assurez-vous d'appliquer ensuite un hydratant pour Ă©viter que votre peau ne s'assĂšche exagĂ©rĂ©ment. Si vous utilisez du citron, faites attention Ă vos yeux. Si du jus de citron entre dans vos yeux, arrĂȘtez immĂ©diatement l'application et rincez vos yeux avec de l'eau pendant quelques minutes. 8 Utilisez des protecteurs solaires. S'il est sain de prendre un peu de soleil, trop d'expositions peuvent crĂ©er des rougeurs et irritations sur votre visage. Les rayons UV peuvent Ă©galement crĂ©er des taches brunes sur votre peau et augmenter vos risques de cancer de la peau. Avant chaque exposition, appliquez-vous un protecteur d'un indice de 30 ou 45. Les produits ayant un indice supĂ©rieur sont peu utiles, les indices de 30 ou 45 bloquent dĂ©jĂ plus de 90 % des rayons nocifs. 9 Sachez reconnaitre les diffĂ©rentes causes d'acnĂ©. Adolescents et boutons vont souvent de pair, mais les boutons peuvent avoir diffĂ©rentes causes. En voici quelques-unes. Les changements hormonaux dĂ©clenchĂ©s par la pubertĂ© ou par la prise de certains mĂ©dicaments ou moyens contraceptifs, etc. Des cheveux sales. L'huile capillaire peut obstruer les pores, particuliĂšrement au niveau de la couronne de votre tĂȘte. Les produits cosmĂ©tiques si vous en portez. MĂȘme aprĂšs vous ĂȘtre nettoyĂ© le visage, des rĂ©sidus de maquillage peuvent rester, boucher vos pores et crĂ©er des boutons. Vous devez vous procurer un bon dĂ©maquillant. Des produits trop gras ou trop agressifs pour votre type de peau peuvent avoir le mĂȘme effet nĂ©gatif. Une transpiration ou humiditĂ© excessive. Cela peut paraitre Ă©trange, mais votre peau contient une levure appelĂ©e la Malassezia. Elle peut ĂȘtre prĂ©sente sur votre peau sans crĂ©er de problĂšme, mais si elle est exposĂ©e Ă une humiditĂ© excessive elle peut s'Ă©tendre rapidement et causer des Ă©ruptions. Les aliments contenant du gluten et les produits laitiers peuvent provoquer des boutons. 10Ne touchez pas votre acnĂ© ou la peau de votre visage. MĂȘme si c'est tentant de percer vos boutons surtout les points noirs et points blancs, c'est en fait contreproductif. En perçant les boutons, les bactĂ©ries responsables de l'acnĂ© peuvent se propager aux diffĂ©rentes zones de votre visage. Cela risque donc d'Ă©tendre votre acnĂ©. Sans compter que vos mains sont pleines de poussiĂšre, de gras et autres saletĂ©s que les peaux sensibles n'apprĂ©cient guĂšre. Ăvitez autant que possible de toucher votre visage et d'autres zones sujettes Ă l'acnĂ©. Conseils Ne touchez pas votre visage avec vos mains et vos doigts. Votre peau produit naturellement de l'huile, c'est pourquoi vous toucher le visage avec les mains peut transfĂ©rer l'huile de vos doigts Ă votre visage et obstruer vos pores. N'essayez pas toutes les solutions que propose cet article en mĂȘme temps. Choisissez-en une ou deux, tentez de les combiner et voyez si cela fonctionne. En faire de trop n'est pas toujours meilleur. Certains masques pour le visage peuvent rĂ©duire temporairement les rougeurs et hydrater votre peau. Pour essayer, cherchez un masque contenant de l'Aloe Vera ou un autre composant Ă l'action calmante. Avertissements Si votre acnĂ© persiste pendant des semaines, prenez rendez-vous avec un mĂ©decin ou un dermatologue. Certaines formes d'acnĂ© sont tenaces et ne peuvent ĂȘtre traitĂ©es efficacement qu'avec des mĂ©dicaments sous ordonnance ou des lotions mĂ©dicamenteuses. De plus, la persistance du problĂšme peut ĂȘtre le signe d'autres problĂšmes de peau. Cet article contient des informations mĂ©dicales ou des conseils pouvant affecter votre santĂ©. wikiHow s'efforce de proposer du contenu aussi prĂ©cis que possible, mais ne peut en aucun cas ĂȘtre responsable du rĂ©sultat de l'application liste non exhaustive des traitement, des techniques, des mĂ©dicaments des dosages et/ou mĂ©thodes proposĂ©es dans ce document. L'utilisateur en assume la pleine les symptĂŽmes persistent plus de quelques jours, allez voir un professionnel de la santĂ©. Lui seul est apte Ă vous fournir un avis mĂ©dical, quelle que soit votre condition. S'il s'agit d'un jeune enfant, consultez un pĂ©diatre sans numĂ©ro des urgences mĂ©dicales europĂ©en est le 112 Vous retrouverez les autres numĂ©ros des urgences mĂ©dicales pour de nombreux pays en cliquant ici. RĂ©fĂ©rences Ă propos de ce wikiHow Cette page a Ă©tĂ© consultĂ©e 725 688 fois. Cet article vous a-t-il Ă©tĂ© utile ?